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Discrimination pour conviction syndicale : action en cessation

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 2 mars 2020, R.G. 2019/AB/597

Mis en ligne le vendredi 13 novembre 2020


Cour du travail de Bruxelles, 2 mars 2020, R.G. 2019/AB/597

Terra Laboris

Par arrêt du 2 mars 2020, la Cour du travail de Bruxelles, saisie d’une demande de cessation d’une discrimination fondée sur la conviction syndicale, a jugé qu’il peut être admis d’ordonner la cessation d’un acte ou d’une pratique qui a pris fin dans la mesure où subsiste un risque de récidive, le juge de la cessation pouvant également ordonner la cessation d’une politique discriminatoire.

Les faits

Une employée est engagée dans un organisme public en octobre 1990. Elle devient statutaire dix ans plus tard. Elle se voit, ensuite, confier des fonctions supérieures par intérim, pour de courtes périodes. Ses intérims sont régulièrement renouvelés jusqu’en 2015. L’intéressée tombe alors en incapacité de travail. Pendant celle-ci, elle est nommée à titre définitif dans la fonction supérieure qu’elle exerçait à titre intérimaire quelques années précédemment, nomination intervenue en exécution d’un protocole d’accord paritaire. Elle s’était entre-temps vu confier, toujours par intérim, l’exercice de fonctions supérieures et a bénéficié d’une indemnité correspondante.

Ce dernier intérim ayant lui-même été reconduit, l’intéressée fut alors élue secrétaire politique d’une organisation syndicale, au sein de l’institution. Le syndicat informa l’employeur de cette élection et l’intéressée fut peu de temps plus tard détachée à temps plein vers son syndicat.

Il fut parallèlement décidé par l’employeur de mettre fin à l’intérim en cours, celui-ci ayant été remplacé par un « intérim de revalorisation », ce qui entraîna une diminution de rémunération de 700 euros bruts par mois.

L’incapacité de travail prit rapidement fin.

Une action fut introduite devant le président du tribunal de première instance, action en cessation. L’affaire fut renvoyée par le tribunal d’arrondissement vers le président du tribunal du travail.

L’objet de la demande porte sur la reconnaissance d’une discrimination, eu égard au retrait de la désignation de l’intéressée pour l’exercice de fonctions supérieures, la cessation de celle-ci étant demandée avec astreinte.

Le président du tribunal du travail ne fit pas droit à la demande et appel est dès lors interjeté par l’organisation syndicale et la travailleuse. La demande formée devant la cour est identique à celle présentée en première instance.

La décision de la cour

La cour examine le cadre réglementaire propre à l’institution, qui est la RTBF.

S’applique l’arrêté de l’exécutif de la Communauté française du 15 mars 1985. La cour souligne que, malgré les modifications intervenues vu l’entrée en vigueur du décret du 14 juillet 1997 portant le statut de la RTBF, les effets de cet arrêté (qui a été abrogé) ont été maintenus jusqu’à l’élaboration d’un nouveau statut syndical. Celui-ci est toujours inexistant.

Cet arrêté règle notamment la situation du membre du personnel en congé syndical, étant qu’il n’est plus soumis à l’autorité hiérarchique mais est censé être en activité de service. A l’expiration de son congé, le délégué permanent doit (sauf exceptions non visées dans la présente espèce) être réaffecté à l’emploi ou à la fonction qu’il occupait auparavant.

Pour ce qui est des intérims, ceux-ci sont régis par un protocole d’accord paritaire du 27 mai 2014. Les modalités d’exercice d’une fonction par intérim ainsi que le retrait de celui-ci et les congés liés à cet exercice sont repris dans ce texte, que la cour reprend, pour clarification.

Pour ce qui est de la discrimination, est applicable le décret du Parlement de la Communauté française du 12 décembre 2008 (décret relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination). Parmi les critères protégés figure la conviction syndicale.

La cour examine, dès lors, conformément aux principes dégagés par le texte quant à la discrimination elle-même, quant à la charge de la preuve et l’action en cessation, la question du retrait de l’intérim. L’échéance est en effet dépassée et la cour ne peut plus utilement ordonner la cessation de celui-ci.

L’organisation syndicale fait valoir qu’un tel retrait anticipé pourrait être reproduit à l’égard d’un autre agent qui envisagerait de se présenter comme délégué permanent à l’avenir et que ceci pourrait l’en dissuader, portant entrave à l’activité syndicale. L’action en cessation a pour but, pour le syndicat, de prévenir la répétition de la discrimination.

La cour examine, dès lors, la demande sous cet angle.

Partant du constat que la réduction sensible de la rémunération est un traitement défavorable, tant pour l’intéressée que pour le syndicat (vu l’existence d’un précédent qui risque d’entraver l’action syndicale en décourageant les agents de demander un congé syndical), la cour conclut, après avoir examiné les conditions de retrait anticipé de l’intérim telles que prévues par le statut, que le lien de causalité entre le traitement défavorable et le congé syndical est établi, le seul motif du retrait de l’intérim, concomitant au détachement, étant bien ce dernier.

Dès lors que ce retrait anticipé a été décidé exclusivement en raison du congé syndical, l’on peut présumer l’existence d’une discrimination. La preuve de l’absence de discrimination est à rapporter par l’employeur, ce qu’il ne fait pas. La cour constate qu’il a adopté envers l’intéressée, en raison de son congé syndical, une mesure préjudiciable individuelle, qui s’écarte de la mesure générale figurant au statut. La mesure prise n’est pas dans un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi, vu l’importante diminution de la rémunération, le risque de dissuasion d’autres candidats et l’entorse faite aux règles générales. La mesure n’était donc pas justifiée conformément au décret.

La cour fait dès lors droit à la demande de cessation, dans la mesure où elle porte sur le retrait anticipé de l’intérim. Il est en conséquence fait interdiction à l’employeur de réitérer une telle mesure.

Elle examine ensuite un autre volet de la demande, étant que l’intérim n’a plus été renouvelé après le 31 décembre 2016, puisque, suite au retrait anticipé du dernier intérim en cours d’année, il n’en a plus été proposé d’autres après la fin de la période que celui-ci aurait dû couvrir.

La cour constate que les parties appelantes ont également intérêt à demander la cessation de cette situation, dans la mesure où elles en subissent toujours les conséquences au jour où la cour est saisie. Ici encore, elle retient qu’il n’y a qu’un motif au non-renouvellement de l’intérim, qui est le détachement à temps plein à l’organisation syndicale. Ce détachement implique en effet également que l’intéressée n’est plus en mesure d’exercer effectivement la fonction qui faisait l’objet de l’intérim et c’est ce qui justifie, pour l’employeur, sa décision. La cour recherche dès lors le véritable motif de la décision prise, cet élément étant étroitement lié à la justification de la mesure.

Suivant le même schéma quant à la charge de la preuve, elle retient qu’il y a présomption de discrimination et que l’employeur doit la renverser.

Ne s’estimant pas suffisamment informée, elle ordonne sur cette question une réouverture des débats, demandant la production de données factuelles qu’elle reprend à son dispositif, étant la liste des agents bénéficiant d’un congé de plus de douze mois et qui, avant celui-ci, étaient désignés ad interim pour l’exercice d’une fonction supérieure, la question de la reconduction ou non de l’intérim devant également être clarifiée.

Intérêt de la décision

La cour effectue, dans cet arrêt, l’examen « classique » de la discrimination, rappelant qu’il y a lieu de déterminer en premier lieu l’existence d’un traitement défavorable, d’identifier celui-ci (étant en l’espèce retenus une diminution sensible de rémunération, un effet « dissuasif » pour d’autres et une entorse aux règles générales applicables) pour, ensuite, vérifier auprès de l’employeur si la présomption est renversée. Elle ne l’est pas en l’espèce, ce qui permet à la cour de retenir un lien de causalité évident entre un motif protégé, qui est la conviction syndicale, et la mesure prise.

La cour a été saisie dans le cadre d’une action en cessation. Elle a admis que les parties demanderesses (appelantes devant elle) ont intérêt à agir, malgré l’écoulement du temps, qui ne permet pas un retour en arrière quant à la situation dénoncée, qui est définitivement acquise. La demande conserve en effet son intérêt dans la mesure où il s’agit d’éviter que les agissements dénoncés se répètent vis-à-vis d’un autre travailleur.

La cour a ici admis qu’elle peut connaître, dans le cadre de l’action en cessation, d’une demande qui ne concernera plus, si elle est accueillie, le demandeur lui-même mais un tiers, étant en l’espèce un autre travailleur qui serait candidat aux fonctions permanentes auprès d’une organisation syndicale. Elle a de même retenu l’intérêt juridique pour cette organisation à faire cesser un traitement discriminatoire.


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