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Confirmation de la jurisprudence en matière de standstill (allocations d’insertion)

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 2 juin 2020, R.G. 2018/AL/231

Mis en ligne le mercredi 28 octobre 2020


C. trav. Liège (div. Liège), 2 juin 2020, R.G. 2018/AL/231

Confirmation de la jurisprudence en matière de standstill (allocations d’insertion)

Par arrêt du 2 juin 2020, la Cour du travail de Liège (division Liège) confirme le courant jurisprudentiel qui écarte, eu égard aux éléments de l’espèce, la version de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 telle que modifiée par celui du 30 décembre 2014 abaissant l’âge maximum pour introduire une demande d’allocations d’insertion.

Les faits

Le demandeur originaire a terminé des études d’instituteur à la fin de l’année académique 2014. Il a effectué des remplacements l’année suivante et a sollicité le bénéfice des allocations d’insertion le 25 juillet 2015. Celles-ci lui ont été refusées, dans la mesure où il était alors âgé de 26 ans (l’âge de 25 ans ayant été atteint en juin 2014, avant la fin de ses études).

Un recours a été introduit devant le tribunal du travail, qui l’a accueilli par jugement du 20 mars 2018. Le tribunal a considéré qu’il y avait une violation de l’effet de standstill attaché à l’article 23 de la Constitution et à l’article 12 de la Charte sociale européenne.

L’ONEm a interjeté appel.

La décision de la cour

La cour a rendu deux arrêts.

L’arrêt du 25 avril 2019

Cet arrêt a essentiellement porté sur une demande de traduction de pièces, la cour ordonnant la réouverture des débats.

L’arrêt du 2 juin 2020

Dans cet arrêt, la cour vide sa saisine, se livrant à un imposant rappel du cadre juridique.

Il s’agit de l’examen de l’article 36 de l’arrêté royal organique, qui a été modifié, avec effet au 1er janvier 2015, suite à l’arrêté royal du 30 décembre 2014. Son § 1er, 5°, impose un âge maximum au moment de la demande d’allocations, étant 25 ans, alors que, précédemment, cet âge était de 30 ans.

La cour en vient, à partir de cette modification de la disposition légale, au rappel des principes constitutionnels, étant que chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine, le droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé et à l’aide sociale, médicale et juridique figurant dans les droits protégés.

Viennent ensuite la doctrine et la jurisprudence récentes relatives à l’obligation de standstill, la cour rappelant le principe général selon lequel celui-ci s’oppose à la réduction sensible du niveau de protection offert par une norme existante sans qu’existent, pour ce faire, des motifs liés à l’intérêt général.

Le rappel est ensuite fait des étapes du contrôle permettant de vérifier si, oui ou non, le principe est violé. Il faut, dans un premier lieu, vérifier si la mesure entraîne un recul du niveau de protection sociale, si celui-ci est sensible ou significatif, s’il est justifié par des motifs liés à l’intérêt général (c’est-à-dire s’il est approprié et nécessaire à la réalisation de ceux-ci) et s’il est proportionné à ces motifs.

La cour examine ensuite le préambule de l’arrêté royal, dont elle reprend le texte, ainsi que l’avis du Conseil d’Etat sur celui-ci. Elle rappelle les remarques effectuées par le Conseil d’Etat, qui se concluent, eu égard à l’article 23 de la Constitution, par la recommandation de mettre à profit la rédaction du rapport au Roi pour y justifier si nécessaire les mesures en projet au regard du principe de standstill qui découle de l’article 23 de la Constitution, compte tenu de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle.

Après avoir tracé le cadre de référence, la cour passe aux différentes étapes de l’examen de la violation (ou non) de la protection constitutionnelle.

Il y a, en ce qui concerne l’existence d’un recul significatif, constatation que celui-ci existe bel et bien, la cour soulignant que l’abaissement de l’âge n’a pas été accompagné de mesures compensatoires ou de substitution. Par ailleurs, la possibilité de recours au C.P.A.S. ne suffit pas à tempérer le caractère sensible et significatif du recul constaté.

Les motifs d’intérêt général sont au nombre de deux, étant d’une part la réalisation d’économies aux fins d’atteindre l’équilibre budgétaire et, d’autre part, la volonté de favoriser l’insertion des jeunes sur le marché du travail. Il s’agit, pour la cour, de motifs d’intérêt général.

Quant à la proportionnalité de la mesure, il est fait grief à l’ONEm de ne donner aucun élément permettant d’évaluer l’économie pouvant être réalisée par l’abaissement de l’âge à 25 ans. Seule est déposée une note d’un agent de l’ONEm, qui fait état de chiffres, ceux-ci n’étant cependant pas autrement documentés. Aucune référence n’est donnée à un rapport ou une étude qui viendrait conforter ce document, la cour déplorant également à cet égard l’absence de mise en perspective des chiffres produits.

Il n’est pas davantage donné d’indication quant à la possibilité d’atteindre les mêmes objectifs par des mesures entraînant un recul moins important et la cour rappelle ici un arrêt récent rendu sur la question (C. trav. Liège, div. Namur, 18 février 2020, R.G. 2019/AN/21).

Elle conclut à l’impossibilité de procéder au contrôle de proportionnalité, même marginal. Elle déplore tout particulièrement, dans le cadre de l’examen de ce point également, l’absence de toute mesure transitoire pour les jeunes âgés de plus de 25 ans et ayant, avant l’adoption de la mesure, entamé le stage d’insertion destiné à leur donner accès au bénéfice des allocations d’insertion, pour qui le stage d’insertion entamé a été sans utilité aucune. Or, une telle mesure transitoire était tout à fait possible, la cour constatant qu’il en a été adopté pour d’autres mesures de l’arrêté royal (renvoyant à son article 20, alinéas 2 et 3). Le recul est dès lors disproportionné par rapport aux objectifs poursuivis. La nouvelle version de l’article 36 est dès lors écartée, au motif qu’elle viole l’article 23 de la Constitution.

Intérêt de la décision

Les cours et tribunaux sont actuellement acquis à l’idée de l’examen des règles en matière de protection sociale telles que garanties par l’article 23 de la Constitution, dans la matière des allocations d’insertion.

Le constat de l’absence de proportionnalité – ou encore celui-ci relatif aux objectifs poursuivis (généralement non documentés autrement que par l’énoncé de ceux-ci) – est généralement fait pour des jeunes étudiants, qui ont entamé des études supérieures, de court ou de long cycle, précisément en vue d’augmenter leurs chances d’insertion sur le marché du travail et qui ont atteint ou dépassé l’âge de 25 ans en cours d’études.

La modification de leurs droits en matière de sécurité sociale est drastique et ce n’est pas la possibilité de recourir à l’aide du C.P.A.S. qui est susceptible de venir compenser les effets de la mesure, l’intervention du C.P.A.S. se faisant dans un cadre non contributif, dès lors résiduaire et répondant aux règles habituelles en matière de ressources.

L’on peut très utilement consulter, outre l’arrêt du 18 février 2020 auquel la cour se réfère, à plusieurs décisions rendues dans le courant de l’année 2019. Ceux-ci ont progressivement affiné les critères.

Dans un arrêt du 25 mars 2019 (C. trav. Liège, div. Liège, 25 mars 2019, R.G. 2017/AL/441), la Cour du travail de Liège (division Liège) a précisé que la méthode d’examen est la suivante : aux fins de vérifier s’il n’y a pas atteinte au principe de standstill, il faut examiner successivement (i) si l’assuré social a ressenti du fait de la modification de la législation applicable une réduction sensible ou significative de sa protection sociale – examen à faire en l’occurrence au regard de l’article 36 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 dans sa mouture précédente –, (ii) dans l’affirmative examiner s’il existe pour ce faire des motifs appropriés et nécessaires liés à l’intérêt général et (iii) si de tels motifs existent, vérifier si le recul infligé est proportionné aux motifs d’intérêt général.

Ainsi, aux fins de vérifier s’il n’y a pas atteinte au principe de standstill, il faut examiner successivement (i) si l’assuré social a ressenti du fait de la modification de la législation applicable une réduction sensible ou significative de sa protection sociale – examen à faire en l’occurrence au regard de l’article 36 de l’A.R. du 25 novembre 1991 dans sa mouture précédente –, (ii) dans l’affirmative examiner s’il existe pour ce faire des motifs appropriés et nécessaires liés à l’intérêt général et (iii) si de tels motifs existent, vérifier si le recul infligé est proportionné aux motifs d’intérêt général.

Pour la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 20 février 2019, R.G. 2017/AB/479), les motifs visés au préambule de l’arrêté royal du 28 décembre 2011 qui a abaissé l’âge maximal d’admissibilité aux allocations d’insertion (réalisation d’un objectif budgétaire et programme de relance de l’emploi) ont été invoqués pour justifier l’absence d’avis du Conseil d’Etat. Pour la cour, ils n’ont pas été invoqués dans le préambule pour justifier la réduction de la protection sociale par des motifs liés à l’intérêt général. Sur le point de vérifier si ceux-ci sont appropriés et nécessaires à la réalisation des objectifs, l’ONEm procède en l’espèce par affirmations abstraites, sans aucun élément tangible dans le cadre d’une appréciation in concreto. Les motifs ne sont pas appropriés à la cause et rien ne vient confirmer le bien-fondé de la limitation.

Rappelons encore que c’est un premier arrêt de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, div. Neufchâteau, 10 février 2016, R.G. 2015/AU/48) qui a donné lieu à la décision de la Cour de cassation du 5 mars 2018 (Cass., 5 mars 2018, n° S.16.0033.F), rejetant un pourvoi de l’ONEm contre la décision de la cour du travail. Il s’agissait en l’espèce d’une chômeuse âgée (née en 1966, ayant été admise aux allocations d’insertion et ayant ultérieurement pu prester dans le cadre de temps partiels, le dernier emploi étant celui d’assistante de prévention de sécurité dans le cadre d’un contrat de travail ALE).


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