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Décision de transfert prise par l’Agence FEDASIL : contrariété aux normes de confinement

Commentaire de Prés. Trib. trav. Liège (div. Arlon) (réf.), 25 mars 2020, R.Req. 20/2/K

Mis en ligne le mardi 13 octobre 2020


Ordonnance du Président du Tribunal du travail de Liège (division Arlon) (réf.), 25 mars 2020, R.Req. 20/2/K

Terra Laboris

Saisi en extrême urgence, le Président du Tribunal du travail de Liège (div. Arlon), constate par ordonnance rendue le 25 mars 2020 la contrariété d’une décision prise par l’Agence FEDASIL de modifier la structure désignée pour l’hébergement d’un demandeur d’asile avec les normes imposées par l’arrêté ministériel du 18 mars 2020 portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus Covid-19 et enjoint à celle-ci de maintenir provisoirement le statu quo.

Les faits

Une citoyenne marocaine a introduit une demande d’asile en Belgique le 13 septembre 2019, pour elle et ses enfants. Il s’est avéré que l’Etat compétent est l’Italie. Celui-ci a marqué accord sur la prise en charge.

L’Office des Etrangers a, en conséquence, notifié une décision de refus de séjour et un ordre de quitter le territoire. L’Agence FEDASIL a désigné le centre de Jodoigne comme nouveau lieu obligatoire d’inscription. C’est contre cette décision, prise le 23 mars 2020, qu’un recours est introduit devant le Président du Tribunal du travail de Liège (division Arlon). Le fondement du recours est l’arrêté ministériel du 18 mars 2020 portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus Covid-19. L’intéressée considère en effet que son transfert vers une autre structure est contraire aux règles de confinement.

L’ordonnance

Le Président du tribunal reprend les dispositions pertinentes de cet arrêté ministériel, étant essentiellement son article 8, qui prévoit que les personnes sont tenues de rester chez elle et qu’il est interdit de se trouver sur la voie publique et dans les lieux publics, sauf en cas de nécessité et pour des raisons urgentes. Celles-ci sont précisées, étant (i) celles liées aux trajets vers et depuis les magasins d’alimentation, les pharmacies, les librairies, les stations-service, les coiffeurs sous restriction ainsi que les entreprises de secteurs cruciaux et les services essentiels, (ii) l’accès aux distributeurs de billets de banque et aux bureaux de poste, (iii) l’accès aux soins médicaux, l’assistance aux personnes âgées, mineures, personnes en situation de handicap et autres personnes vulnérables et (iv) les déplacements professionnels. Sont également visées les activités en cercle intime ou familial et situations assimilées.

Est repris le fondement de cet arrêté ministériel, qui est le principe de précaution figurant à l’article 191 du T.F.U.E., dans le cadre de la gestion d’une crise sanitaire internationale. Le tribunal rappelle avec cet arrêté ministériel que ce principe implique que, lorsqu’un risque grave présente une forte probabilité de se réaliser, il revient aux autorités publiques d’adopter des mesures urgentes et provisoires. L’O.M.S. a, dans le cadre de la pandémie qu’il a constatée par décision du 11 mars 2020, relevé à son degré maximum le niveau de la menace en date du 16 mars 2020.

L’arrêté ministériel retient également l’urgence et le risque sanitaire pour la population belge, s’agissant d’une maladie infectieuse qui touche généralement les poumons et les voies respiratoires. Il souligne qu’il est nécessaire, afin de ralentir et de limiter la propagation du virus, d’ordonner immédiatement les mesures indispensables sur le plan de la santé publique et qu’une mesure de police imposant l’interdiction de tout rassemblement est indispensable et proportionnée.

Pour ce qui concerne les demandeurs d’asile, le Président du tribunal souligne que, si l’Agence FEDASIL peut modifier la structure désignée pour accueillir le demandeur d’asile, elle doit le faire tenant compte des circonstances liées au respect de la dignité humaine et que celles-ci peuvent notamment justifier la prolongation d’une prise en charge en centre d’accueil. Or, vu la situation sanitaire actuelle, le transfert de la demanderesse et de ses enfants, sans nécessité particulière autre que l’exécution d’un trajet retour, apparaît contraire à l’arrêté ministériel ci-dessus et à la dignité humaine.

L’ordonnance souligne également que l’Agence FEDASIL ne tient pas compte de la situation sanitaire actuelle en Italie, étant renvoyé au SPF Affaires étrangères, qui, sur son site, précise : « Il est défendu de sortir d’Italie ou d’y entrer, sauf exceptions pour raisons professionnelles attestées, raisons de première nécessité, médicales ou urgentes ». La demande est dès lors accueillie et une astreinte unique est prononcée. Celle-ci est de 3.000 euros.

Statuant dans le cadre de l’extrême urgence, le Président du tribunal enjoint à l’Agence de poursuivre provisoirement l’hébergement de la demanderesse au centre d’accueil où elle se trouve, sous condition de l’introduction auprès du tribunal d’une demande au fond dans un délai de 30 jours.

Intérêt de la décision

Cette ordonnance nous semble être une des premières à constater la contrariété de décisions de l’Agence FEDASIL avec les dispositions prévues par l’arrêté ministériel du 18 mars 2020.

Soulignons que le Président du Tribunal du travail de Liège (division Marche-en-Famenne) avait rendu une première décision, dans le même cadre, quelques jours auparavant (Prés. Trib. trav. Liège (div. Marche-en-Famenne) (réf.), 20 mars 2020, R.Req. 20/3/K). Il s’agissait de faits identiques, un autre Etat membre étant compétent pour connaître de la demande d’asile et l’Agence FEDASIL ayant désigné aux parties demanderesses le centre de Jodoigne comme nouvelle structure d’accueil. La motivation de l’ordonnance est identique, le Président du tribunal ayant relevé que, vu la situation sanitaire actuelle du pays, le transfert des parties demanderesses vers un autre centre, sans nécessité particulière, apparaît contraire aux mesures imposées par l’arrêté ministériel et à la dignité des parties demanderesses. L’Etat compétent pour connaître de la demande d’asile n’était, dans cette espèce, pas précisé.


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