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Reprise d’un travail non autorisé dans le secteur AMI

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 6 janvier 2020, R.G. 14/2.703/A et 14/3.764/A

Mis en ligne le mardi 13 octobre 2020


Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), 6 janvier 2020, R.G. 14/2.703/A et 14/3.764/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 6 janvier 2020, le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) rappelant la jurisprudence la plus récente sur la question, a jugé que, si l’examen médical prévu par l’article 101 de la loi coordonnée n’a pas été pratiqué et qu’une décision médicale de fin de reconnaissance de l’incapacité de travail n’a pas été prise, il y a lieu de considérer que l’assuré social est présumé avoir réuni les conditions de reconnaissance de l’incapacité de travail pendant la période litigieuse.

Les faits

Alors qu’il était reconnu en incapacité de travail (et en invalidité), un assuré social a travaillé à temps partiel à raison de 24 heures et demi par semaine pendant l’année 2012, pour de courtes périodes. Aucune autorisation n’a été demandée au médecin-conseil. Une demande de remboursement est intervenue en 2013, pour un montant de l’ordre de 665 euros. L’administrateur provisoire de biens de l’intéressé a proposé des termes et délais. Il fut alors décidé par l’organisme assureur de notifier une fin d’incapacité de travail, avec effet au 2 décembre 2013, au motif que les troubles ou lésions fonctionnelles n’entraînait plus une réduction de deux tiers de la capacité de travail.

Pour l’I.N.A.M.I., qui réexamine alors le dossier à l’attention de l’organisme assureur, il y a eu fin de l’incapacité de travail dès le début de la reprise, en juillet 2012, au motif que l’intéressé a repris son activité antérieure, selon le même régime de travail que précédemment, durant plus de dix jours. Pour l’Institut, la position de l’organisme assureur est incorrecte, dans la mesure où il a fait application de l’article 101 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 alors que le volume de l’activité est égal et la rémunération supérieure à la situation antérieure à l’incapacité de travail. Les paiements intervenus par la suite constituent dès lors un indu. Il s’agit d’un montant de l’ordre de 11.600 euros.

L’organisme assureur prend en conséquence deux décisions réclamant cet indu. L’ombudsman de la mutuelle informe l’administrateur de biens que la seule solution pour réduire (mais non annuler) l’indu est que l’intéressé puisse être à nouveau reconnu incapable de travailler avec effet rétroactif, pour la période d’août 2012 (fin des prestations dans le cadre de la reprise intervenue) au 5 décembre 2013, date à laquelle l’incapacité de travail a été constatée par le médecin-conseil de l’organisme assureur. La récupération des indemnités indues ne couvrirait, dans cette hypothèse, qu’une courte période et seule serait opérée, pour la période réadmise, une récupération de 10% des indemnités vu la remise tardive du certificat médical.

Un recours a été introduit contre les deux décisions prises par l’organisme assureur.

Depuis le 15 octobre 2015, l’intéressé a été réadmis dans le régime AMI, étant reconnu incapable de travailler au sens de l’article 100 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994.

La décision du tribunal

Dans le cadre de la procédure, le tribunal en ordonne la jonction pour connexité.

Se pose un problème de recevabilité, l’administrateur provisoire sollicitant l’annulation de la décision de l’organisme assureur mettant un terme à l’incapacité de travail à dater du 6 décembre 2013, la mutuelle considère que cette demande, introduite par voie de conclusions, est irrecevable, ayant été introduite en-dehors du délai de 3 mois prévu par l’article 23 de la Charte de l’assuré social.

Le tribunal souligne notamment à cet égard qu’une notification à faire pour une personne pourvue d’un administrateur provisoire doit être faite à ce dernier, à défaut de quoi elle est nulle et sans effet. Renvoi est fait à un arrêt de la Cour de cassation du 26 mai 2014 rendu en matière d’allocations familiales (Cass., 26 mai 2014, n° S.12.0106.F), dont un long extrait est repris.

Sur le plan de la prescription, par ailleurs, un point reste à débattre, pour lequel le tribunal rouvre les débats. Les conclusions sollicitant l’annulation de la décision de l’organisme assureur ont en effet été déposées le 1er février 2019 et, pour le tribunal, la demande revient en réalité à solliciter les indemnités d’incapacité pour la période du 6 décembre 2013 au 14 octobre 2015.

Il en vient néanmoins au fondement de la demande, rappelant les principes de l’indemnisation dans le secteur AMI. Les règles des articles 100, § 1er, et 101 de la loi sont exposées, cette dernière disposition prévoyant actuellement que, si le titulaire a été reconnu incapable de travailler et a effectué un travail sans autorisation préalable ou sans en avoir respecté les conditions, un examen médical doit être organisé dans un délai de 30 jours à compter de la constatation par l’organisme assureur de l’activité non autorisée ou de la communication de celle-ci à l’organisme. Le but de l’examen médical est d’examiner si l’assuré social remplit ou non les conditions de l’état d’incapacité à la date de l’examen. Indépendamment du résultat de celui-ci, l’assuré social sera tenu de rembourser les indemnités d’incapacité de travail perçues pour les jours pendant lesquels il a accompli un travail non autorisé.

Le tribunal rappelle encore qu’aucune distinction n’est faite selon que l’assuré social a repris le travail à temps partiel ou à temps plein (avec renvoi à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 19 février 2015 n° 21/2015). Reprenant un arrêt du 26 mai 2016 de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 26 mai 2016, R.G. 2014/AB/874), le tribunal souligne qu’il ne résulte pas des dispositions légales applicables (à l’époque et actuellement) qu’il faut opérer une distinction entre une reprise d’activité réduite par rapport à la situation de l’intéressé avant le début de l’incapacité de travail (avec application de l’article 101) et une reprise d’activité équivalente ou à temps plein (avec application de l’article 100). Le même arrêt a précisé que, si cette théorie pouvait trouver un fondement sur la base des dispositions antérieurement applicables, tel n’est plus le cas actuellement.

Enfin, avec la jurisprudence très récente sur la question (dont Trib. trav. fr. Bruxelles, 15 novembre 2019, R.G. 16/914/A), le tribunal conclut qu’à supposer que la procédure visée à l’article 101 n’ait pas été respectée et qu’aucun examen médical n’ait été pratiqué par le médecin-conseil de l’organisme assureur, il faut considérer qu’aucune décision négative quant à la reconnaissance de l’état d’incapacité n’a été prise, de telle sorte que l’assuré social est toujours présumé réunir les conditions de la reconnaissance de celle-ci.

Ces principes sont ensuite appliqués au cas d’espèce. Pour le tribunal, l’article 101 s’applique donc pour toute reprise du travail non autorisée (indépendamment du régime de travail). Dans la mesure où aucun examen médical n’a été pratiqué et qu’aucune décision médicale de fin de reconnaissance de l’incapacité de travail n’a été prise, l’intéressé est présumé avoir continué à réunir les conditions de reconnaissance de l’état d’incapacité pendant la période litigieuse relative à l’indu (qui s’étend du 17 juillet 2012 au 5 décembre 2013).

La décision initiale de l’organisme assureur (remboursement des indemnités pour les courtes périodes prestées en 2012) est dès lors confirmée et l’intéressé est condamné à rembourser ce montant. L’affaire fait, comme vu ci-dessus, l’objet d’une réouverture des débats pour la question de la prescription de la demande pour la période ultérieure.

Intérêt de la décision

L’intérêt particulier de la décision commentée porte sur les effets de la reprise du travail eu égard au volume de l’activité exercée. Dans l’espèce tranchée par le Tribunal du travail du Hainaut le 6 janvier 2020, l’intéressé avait travaillé à temps partiel (24,5 heures) et avait repris, sans l’autorisation du médecin-conseil, une activité d’un égal volume (avec une rémunération supérieure). Renvoyant à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 19 février 2015 (n° 21/2015), le tribunal rappelle qu’aucune distinction n’est faite selon que l’assuré social a repris le travail à temps partiel ou à temps plein. Il ne résulte, en effet, pas qu’il faille opérer une distinction entre une reprise d’activité réduite par rapport à la situation avant l’incapacité de travail et une reprise d’activité équivalente ou à temps plein. La première situation justifierait l’application de l’article 101 de la loi coordonnée et la seconde celle de l’article 100.

Le tribunal renvoie à un jugement rendu par le Tribunal du travail francophone de Bruxelles le 15 novembre 2019 (R.G. 16/914/A). Dans cette espèce, l’Union mutuelliste considérait que, la reprise ayant eu lieu pendant plus de 10 jours et à temps partiel, celle-ci entraînait la perte du droit aux indemnités d’incapacité de travail dès la date de la reprise, s’appuyant sur la circonstance que la reprise « s’apparentait » à une reprise à temps plein, dans la mesure où, avant l’incapacité de travail, l’intéressée prestait à temps partiel chez le même employeur. Le tribunal a conclu à l’application de l’article 101, § 2, de la loi coordonnée, permettant à celle-ci de bénéficier de la limitation de la récupération des indemnités aux seules journées travaillées. Cette solution est également retenue dans l’espèce commentée.


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