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Assujettissement de personnel domestique d’une ambassade à la sécurité sociale belge : un arrêt de la Cour de cassation

Commentaire de Cass., 4 mai 2020, n° S.19.0075.F

Mis en ligne le mardi 13 octobre 2020


Cour de cassation, 4 mai 2020, n° S.19.0075.F

Terra Laboris

Par arrêt du 4 mai 2020, la Cour de cassation a rejeté un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 12 février 2019, qui a admis qu’en présence d’une clause contractuelle, par laquelle l’Etat étranger s’engage à assujettir une travailleuse domestique de sa Mission diplomatique à la sécurité sociale belge, cette obligation contractuelle doit être respectée, même après la rupture du contrat de travail.

La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi contre un arrêt rendu par la Cour du travail de Bruxelles le 12 février 2019 (R.G. 2016/AB/461).

Les faits

La défenderesse en cassation (demanderesse originaire) est une citoyenne philippine entrée en Belgique avec visa touristique en 1996. Elle a été engagée en qualité de domestique à la résidence du chef de la Mission diplomatique de l’Etat de Libye en 2001. Elle n’a pas été déclarée auprès de l’Office national de la sécurité sociale belge.

L’Etat libyen a rompu le contrat de travail, avec effet au 30 juin 2011.

Il a à ce moment été interpellé par l’organisation syndicale, qui a postulé le paiement d’arriérés de rémunération, de l’indemnité compensatoire de préavis et a demandé la régularisation de l’assujettissement à la sécurité sociale belge.

Le jugement du tribunal du travail

Le tribunal du travail francophone de Bruxelles a statué le 29 juin 2016, condamnant l’Etat libyen à payer des sommes au titre d’indemnité compensatoire de préavis, d’arriérés de pécules de vacances et de pécule de vacances de sortie.

Il a également condamné l’Etat étranger à régulariser la situation de l’intéressée sur le plan de l’assujettissement à la sécurité sociale belge dans les 60 jours de la signification du jugement, c’est-à-dire à verser les cotisations relatives à la période à régulariser. Il s’agissait d’un montant de l’ordre de 50.000 euros provisionnels.

Il a également condamné à la délivrance des documents sociaux. Ces deux dernières condamnations l’ont été avec astreinte.

Appel a été interjeté de ce jugement. L’arrêt de la cour a été rendu le 12 février 2019.

Position des parties devant la cour en ce qui concerne l’assujettissement à la sécurité sociale belge

La demanderesse originaire estime qu’il y avait lieu de l’assujettir à l’O.N.S.S. soit en vertu des articles 37, § 3, et 33, § 1er, de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961, soit en vertu du contrat de travail.

Elle expose qu’elle bénéficiait d’une résidence permanente en Belgique au moment de son engagement et que, par contrat, les parties ont expressément renoncé à l’exemption prévue dans la Convention de Vienne par le biais d’une clause spécifique.

Pour l’Etat libyen, l’intéressée ne devait pas être affiliée auprès de l’O.N.S.S. en application de cette Convention, de telle sorte qu’elle était exemptée d’impôts et du paiement de cotisations sociales, la travailleuse n’étant pas ressortissante belge et n’ayant pas de résidence permanente. Pour ce qui est de la clause contractuelle, l’Etat libyen conteste qu’elle contienne une renonciation à cette exemption.

La décision de la cour du travail

La cour reprend la définition de la résidence permanente au sens de la Convention de Vienne. Les membres du personnel de service de la Mission sont en effet exemptés des dispositions de sécurité sociale de l’Etat accréditaire moyennant deux conditions cumulatives, étant qu’ils n’en aient pas la nationalité et qu’ils n’y résident pas de manière permanente. Il s’agit pour la cour de deux facettes d’une notion unique, étant la condition de non-appartenance et de non-connectivité avec l’Etat accréditaire.

Si la définition de « résidence permanente » n’est pas donnée dans la convention, il faut lui réserver le sort habituel, à savoir le fait de demeurer habituellement dans un lieu déterminé, sans intermittence ni changement.

La cour relève encore que, si les domestiques sont au service exclusif de l’agent diplomatique, il y a une condition supplémentaire, étant d’être soumis à la sécurité sociale en vigueur dans l’Etat accréditant ou dans un Etat tiers.

Cette condition n’est cependant pas reprise à l’article 33 ci-dessus en ce qui concerne les membres du personnel de service de la Mission. Tel était cependant le cas de l’intéressée, membre du personnel de la Mission, employée au service domestique de celle-ci et non domestique, c’est-à-dire employée au service domestique d’un membre de cette Mission. Elle ne prestait en effet pas exclusivement pour l’ambassadeur ou un membre de la Mission diplomatique.

Pour ce qui est des conditions à remplir, la cour fait grief à l’intéressée de ne pas établir qu’elle disposait d’une résidence permanente en Belgique au moment de la signature du contrat. Elle avait en effet quitté la Belgique à une époque, pour rentrer aux Philippines. Elle a reçu à son retour un titre de séjour spécifique, étant une carte d’identité spéciale valable pour deux ans et renouvelable moyennant l’accord du Protocole. Il ne s’agissait pas d’un titre de séjour ordinaire.

Les conditions requises ci-dessus ne sont dès lors pas remplies.

Cependant, la demanderesse originaire soutient à titre subsidiaire qu’il a été renoncé valablement à l’exemption par le biais d’une clause contractuelle. Dans celle-ci, l’Etat a en effet pris l’engagement d’affilier l’intéressée à la sécurité sociale belge, dans l’hypothèse où elle ne serait pas assujettie à un régime de sécurité sociale étranger, par le fait de son travail presté en Belgique. Tel est bien le cas et la cour conclut sur ce point que l’absence d’assujettissement constitue une violation par l’Etat de Libye à ses obligations contractuelles (et non légales).

L’article 1146 du Code civil règle la question, qui dispose que toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts, en cas d’inexécution de la part du débiteur. En principe, il y aura lieu d’exécuter le contrat et ce n’est qu’à titre subsidiaire que le débiteur de l’obligation sera éventuellement forcé de payer des dommages et intérêts.

En l’espèce, la cour constate que l’intéressée demande à titre principal l’exécution forcée de l’obligation de l’assujettir à l’O.N.S.S. L’Etat doit dès lors payer les cotisations de sécurité sociale qu’il s’est abstenu de payer pendant dix ans.

Pour ce qui est de la prescription, la Cour souligne que, s’il est vrai que l’O.N.S.S. ne peut plus procéder au recouvrement des cotisations pour une période prescrite, alors qu’une régularisation devrait intervenir, de tels recouvrements peuvent être pris en compte et donner lieu à régularisation du travailleur lorsque l’employeur verse intégralement les cotisations relatives à celle-ci. Ainsi en va-t-il, pour la cour, que le versement intervienne de manière spontanée ou à la suite d’une condamnation judiciaire. En outre, les cotisations quote-part travailleur, qui n’ont pas été retenues, doivent être assumées par l’employeur. Il y a lieu également, s’agissant de personnel ouvrier, d’y inclure la part de cotisations relative au secteur des vacances annuelles. L’employeur est dès lors condamné à verser les montants dus à l’O.N.S.S. Il s’agit d’un global de l’ordre de 93.500 euros.

La Cour réserve encore d’autres développements sur des points litigieux, ne concernant cependant pas la question des cotisations de sécurité sociale.

L’arrêt de la Cour de cassation

L’Etat de Libye s’est pourvu en cassation contre cet arrêt et celle-ci a rejeté le pourvoi par arrêt du 4 mai 2020.

S’agissant d’une obligation contractuelle, la Cour de cassation reprend d’abord l’article 37 de la loi du 3 juillet 1978, selon lequel la résiliation unilatérale du contrat de travail conclu pour une durée indéterminée entraîne l’extinction immédiate du contrat. Par ailleurs, l’article 1142 du Code civil, qui dispose que toute obligation de faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur n’exclut pas que l’exécution en nature constitue le mode normal d’exécution forcée des obligations de faire lorsque celle-ci demeure possible.

L’extinction du contrat ne fait pas obstacle à l’application de cet article. Elle n’a dès lors pas rendu impossible l’exécution en nature de l’obligation souscrite par l’employeur, dans le contrat de travail, d’assujettir le travailleur à la sécurité sociale belge et de payer les cotisations de sécurité sociale. La Cour précise que, selon l’arrêt, le demandeur en cassation, qui n’y était pas tenu par la loi, s’est obligé par le contrat de travail à assujettir l’intéressée à la sécurité sociale belge des travailleurs salariés et à payer les cotisations sociales et qu’il a mis fin au contrat sans avoir exécuté cette obligation. La cour du travail pouvait dès lors le condamner à régulariser l’assujettissement à la sécurité sociale en versant les cotisations de sécurité sociale, cotisations personnelles et patronales, pour toute la période contractuelle. Il n’y a pas de violation des articles 37 de la loi du 3 juillet 1978 non plus que 1134 et 1142 du Code civil.

Intérêt de la décision

L’espèce tranchée concerne une travailleuse domestique, au service de la Mission (et non d’un diplomate) n’ayant pas de résidence permanente en Belgique au moment de l’engagement.

Après avoir rigoureusement fait l’analyse des dispositions pertinentes de la Convention de Vienne, la cour du travail a constaté que l’intéressée ne pouvait bénéficier des dispositions qui y sont prévues, au motif qu’elle ne disposait pas d’une résidence permanente en Belgique. Elle remplissait cependant une autre condition (exigée mais non suffisante) relative à la nationalité.

Pour la cour du travail, l’inexécution de l’obligation contractuelle expressément prise par l’employeur crée un droit à un assujettissement à la sécurité sociale et pas seulement un droit à des dommages et intérêts découlant de l’inexécution contractuelle. La cour s’est encore appuyée, pour retenir l’exécution en nature, sur un arrêt de la Cour de cassation du 14 avril 1994 (Cass., 14 avril 1994, n° C.93.0161.F), selon lequel l’exécution en nature constitue le mode normal d’exécution forcée tant des obligations de faire que de celles de ne pas faire. Ce n’est que lorsque cette exécution en nature n’est pas ou plus possible que l’exécution par équivalent s’impose.


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