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Abandon de travail et acte équipollent à rupture

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 13 janvier 2020, R.G. 18/1.482/A

Mis en ligne le mardi 13 octobre 2020


Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), 13 janvier 2020, R.G. 18/1.482/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 13 janvier 2020, le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) rappelle que la volonté de rompre ne peut se déduire que d’un comportement non équivoque, que cette volonté soit expresse ou implicite, et qu’après une longue période d’incapacité de travail, si le travailleur ne reprend pas le travail sans remettre un nouveau certificat, l’incapacité de travail est prolongée, l’employeur devant s’assurer de la réalité de l’abandon de travail s’il estime qu’il y a lieu d’invoquer un acte équipollent à rupture.

Les faits

Une aide-ménagère engagée à temps partiel et à durée indéterminée tombe en incapacité de travail en novembre 2016 et remet plusieurs certificats médicaux successifs. Pendant cette période, elle déménage et son nouveau domicile est confirmé, à partir du 16 mai 2017.

L’employeur lui adresse un avertissement, pendant la période couverte par le dernier certificat médical pour absence injustifiée. Celui-ci est envoyé à l’ancienne adresse, de même qu’un suivant, contenant un second avertissement, pour les mêmes motifs. Un délai lui est donné pour justifier de son absence.

Etant sans nouvelles, la société constate, à l’issue de celui-ci, un abandon d’emploi.

L’intéressée continue pour sa part à envoyer des certificats médicaux pour la poursuite de son incapacité.

Une décision de fin d’incapacité est notifiée par l’organisme assureur AMI à partir d’octobre 2017, l’intéressée prenant alors contact avec son employeur, qui lui signale qu’elle ne fait plus partir du personnel depuis le mois de juin.

Un échange de correspondance intervient avec l’organisation syndicale et, chacune des parties restant sur sa position, un recours est introduit devant le tribunal du travail.

Le tribunal est saisi de la seule question de la validité du congé.

La décision du tribunal

La jurisprudence de la Cour de cassation, qui est rappelée au niveau des principes, donne la définition du congé. C’est l’acte par lequel une partie notifie à l’autre qu’elle entend que le contrat prenne fin (avec renvoi à Cass., 19 mai 2008, n° S.07.0068.N).

Il y a congé dès qu’une partie manifeste sa volonté de mettre fin au contrat, que cette manifestation soit explicite ou implicite. Pour ce qui est du mode implicite, le tribunal rappelle que la volonté peut transparaître d’un comportement ou d’une négligence qui ne peut être interprétée autrement.

Il s’agit d’un acte unilatéral qui n’est soumis à aucune exigence de forme, qui est définitif et irrévocable (avec renvoi à Cass., 28 janvier 2008, n° S.07.0097.N). Le congé n’a de conséquence juridique à l’égard de la partie qui le reçoit que lorsque la décision qui le contient est portée de manière non équivoque à sa connaissance. Aucun doute ne doit donc subsister quant à la volonté de le donner (avec renvoi à Cass., 16 juin 1976).

Le tribunal en vient, ainsi, à des cas d’illustration repris en doctrine et en jurisprudence, pour ce qui est des déclarations du travailleur susceptibles de constituer – ou non – l’expression de la rupture du contrat de travail. Ainsi, l’abandon du travail dans une ambiance exacerbée suite à échange de mots ou un accès de colère et le fait qu’un travailleur, dans un contexte de grande excitation, dit ne plus vouloir travailler mais introduit un certificat médical, n’ont pas été considérés comme la manifestation non équivoque de la démission.

Pour ce qui est des absences injustifiées suite à l’absence d’envoi d’un certificat médical, le tribunal reprend la jurisprudence de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 11 avril 2011, R.G. 2008/AM/21.401) selon laquelle si, après une longue période d’incapacité de travail, le travailleur ne reprend pas le travail sans remettre de nouveaux certificats, il y a présomption de poursuite de l’incapacité et il ne peut être déduit que le travailleur a rompu le contrat. S’il y a un éventuel abandon de travail, l’employeur doit en effet dans un premier temps s’assurer de la réalité de celui-ci et des raisons de ce manquement avant de pouvoir qualifier le comportement du travailleur comme constitutif de motif grave.

Le renvoi est également fait à la jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 30 mai 2016, R.G. 2014/AB/470) : un manquement du travailleur à ses obligations en matière de justification de l’incapacité de travail n’est pas automatiquement un abandon d’emploi, en l’absence de tout autre élément indiquant une volonté de rompre le contrat de travail.

En l’espèce, se pose la question de l’adresse à laquelle les courriers recommandés (au nombre de trois) ont été adressés. La travailleuse expose ne pas avoir pris connaissance de ceux-ci et soutient également que la société était informée du fait qu’elle ne les avait pas reçus.

Pour justifier l’absence reprochée, elle établit avoir adressé le certificat médical correspondant par fax, produisant la preuve de l’accusé de réception.

Quant aux courriers de la société, le troisième (licenciement) a été retourné à la société au motif que l’intéressée n’habitait plus à l’adresse indiquée. En outre, si les deux courriers précédents ont été bel et bien postés (ce qui ressort de la preuve du dépôt à la poste), les accusés de réception ne sont pas produits.

Pour le tribunal, la société n’a pas pu déduire des circonstances et éléments de fait qu’il y avait volonté manifeste de l’intéressée de rompre son contrat de travail. C’est dès lors à tort qu’elle a conclu à la rupture dans le chef de la travailleuse. Il retient encore comme élément de preuve de l’absence de volonté de rompre le contrat l’envoi des certificats médicaux suivants, et ce jusqu’à la décision de remise au travail prise par la mutuelle quatre mois plus tard.

Il n’y a, en conséquence, pas d’acte équipollent à rupture et l’indemnité compensatoire de préavis est due.

Intérêt de la décision

Dans ce bref jugement, le tribunal du travail aborde plusieurs questions, relatives aux effets du congé.

Après avoir rappelé qu’il n’est soumis à aucune exigence de forme et qu’il est définitif et irrévocable, le tribunal retient que, dans l’hypothèse d’un abandon de travail invoqué par l’employeur contre le travailleur, dans le cas de figure de l’acte équipollent à rupture, il y a lieu d’établir la volonté non équivoque du travailleur de démissionner. Comme il le souligne, l’expression de cette volonté peut être expresse ou implicite. La manifestation implicite ne peut être retenue que si elle ne peut être interprétée autrement.

Est également abordée la question du changement d’adresse du travailleur en cours de contrat, dont le tribunal rappelle que la communication à l’employeur est une obligation, l’employeur n’ayant aucun moyen – a priori – de vérifier l’adresse exacte du travailleur au moment du congé si celle-ci a été modifiée en cours de contrat. L’obligation du travailleur à cet égard est formelle.

La motivation du jugement est axée sur l’existence de la volonté de rompre dans le chef de la travailleuse malade, le tribunal retenant qu’au moment où la lettre de rupture a été adressée, un dernier certificat médical avait été envoyé, de telle sorte que l’on ne pouvait retenir cette volonté.


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