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Licenciement d’un travailleur contractuel dans la fonction publique : critères d’appréciation

Trib. trav. Liège (div. Dinant), 20 avril 2020, R.G. 18/438/A

Mis en ligne le lundi 28 septembre 2020


Tribunal du travail de Liège (division Dinant), 20 avril 2020, R.G. 18/438/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 20 avril 2020, le Tribunal du travail de Liège (division Dinant) rappelle que, suite à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 30 juin 2016, l’intervention du législateur est toujours attendue sur la question du licenciement déraisonnable/fautif des travailleurs contractuels dans le secteur public.

Les faits

Une employée communale (surveillante et accompagnatrice scolaire) est en service depuis 2006. La Ville qui l’emploie lui a soumis des contrats à durée déterminée successifs couvrant les années scolaires pour les deux types d’activités. Il s’agit de temps partiel. Au cours des années 2013 à 2015, des incidents ont été relevés (sur le plan du comportement vis-à-vis des enfants), ceux-ci n’ayant pas empêché la poursuite des prestations et le renouvellement des contrats.

Après de nouvelles difficultés, dans le courant des années 2016 et 2017, l’intéressée est licenciée en octobre 2017 moyennant le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. L’indemnité correspondante est de deux semaines. Le motif de la rupture présenté sur le C4 est relatif aux manquements constatés lors de l’exercice du travail.

Une procédure étant introduite devant le tribunal du travail, celui-ci est saisi d’une demande d’indemnité complémentaire compensatoire de préavis de deux semaines, d’un montant relatif à de très nombreuses heures complémentaires ainsi qu’à des dommages et intérêts pour abus de droit et/ou « autres fautes commises » par la Ville.

Position des parties devant le tribunal

Pour la demanderesse, l’indemnité compensatoire complémentaire doit être calculée en application de l’article 40, § 1er, de la loi et son quantum doit être fixé sur la base du régime de travail réel, qui était de 27 heures 40, et non du régime horaire contractuel de 16 heures. Par ailleurs, l’allongement du trajet de ramassage scolaire, qui a allongé son temps de travail de 2 heures 30 par jour, doit être rémunéré au titre d’heures complémentaires. Enfin, les motifs du licenciement ne sont pas établis et ses circonstances sont fautives.

Pour l’employeur, cependant, il n’y a pas eu de succession de contrats au sens de l’article 10 de la loi du 3 juillet 1978, de sorte que son article 40, § 2, est applicable pour la fixation de l’indemnité de préavis, la prestation d’heures complémentaires n’étant par ailleurs pas établie. Pour le licenciement abusif, il est fait état d’une part des prestations de l’intéressée qui ne donnait pas satisfaction et celle-ci n’établissant par ailleurs pas de préjudice.

La décision du tribunal

Le tribunal en vient, ainsi, à l’examen des chefs demande, le premier étant de déterminer la disposition de la loi du 3 juillet 1978 applicable, étant soit l’article 40, § 1er (contrat à durée déterminée pour un travail nettement défini résilié avant le terme, de manière générale) et l’article 40, § 2 (même type de contrat, résilié durant la première moitié de la durée convenue).

Le tribunal constate qu’il y a eu une succession de contrats à durée sans interruption imputable à la travailleuse, succession justifiée par la nature du travail (qui est la garderie de midi et le ramassage scolaire). L’article 40, § 2, de la loi n’est dès lors pas applicable, dans la mesure où il dispose que, lorsque les parties ont conclu plusieurs contrats de travail successifs pour une durée déterminée ou pour un travail nettement défini, dont la succession est justifiée conformément à l’article 10 ou 10bis de la loi, la possibilité de donner un préavis, prévue par le § 2, ne peut être appliquée que pour le premier contrat conclu entre les parties.

En conséquence, il fallait appliquer l’article 40, § 1er, qui fixe l’indemnité au montant de la rémunération qui restait à échoir jusqu’au terme, avec un maximum, étant le double de la rémunération correspondant à la durée du délai de préavis qui aurait dû être respectée si le contrat avait été conclu sans terme.

L’indemnité de rupture doit dès lors être de quatre semaines et non de deux.

Pour ce qui est du quantum, le tribunal rappelle que celui-ci doit être fixé sur la base de la rémunération en cours. La rémunération allouée pour les heures supplémentaires prestées de manière régulière est incorporée dans la rémunération de base (le tribunal renvoyant à F. VERBRUGGE, Guide de la réglementation sociale pour les entreprises, éd. 2013, p. 175).

Le même principe doit être appliqué en l’espèce, s’agissant d’heures complémentaires. Le calcul fait l’objet d’une réouverture des débats.

Sur cette question également, le tribunal demande à être plus amplement informé. Le temps de travail est celui pendant lequel le travailleur est à la disposition de l’employeur, c’est-à-dire le temps pendant lequel il doit répondre à toute sollicitation de celui-ci et pendant lequel le travailleur ne dispose pas librement de son temps personnel. S’il appartient à la partie demanderesse d’établir le temps presté, aux fins d’appuyer le quantum de sa réclamation, le tribunal demande des éléments objectifs relatifs à l’allongement réel du temps de travail lui-même et son incidence sur le régime contractuel de l’intéressée. Des documents doivent être produits à cet égard par le TEC, qui assurait le ramassage scolaire.

Enfin, le tribunal en vient à l’examen du licenciement manifestement déraisonnable, dans le cadre de la C.C.T. n° 109, s’agissant ici d’un employeur public. Il rappelle que l’intervention législative est toujours attendue, afin de remédier à la différence de traitement injustifiée entre les travailleurs du secteur public et du secteur privé, notamment en ce qui concerne la limitation des motifs de licenciement admissibles, le renversement de la charge de la preuve et la fixation forfaitaire de l’indemnité (renvoyant à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 30 juin 2016, n° 101/2016).

Vu l’enseignement de la Cour constitutionnelle, le tribunal rappelle la position de la jurisprudence récente, étant qu’il faut comparer le comportement d’un employeur du secteur public à celui attendu de l’employeur normalement prudent et diligent du secteur privé, avec renvoi à l’article 8 de la C.C.T. n° 109 (étant cités ici C. trav. Liège, div. Liège, du 22 janvier 2018, J.L.M.B., 2018/14, pp. 669-673 et Trib. trav. fr. Bruxelles, 20 juin 2018, J.T.T., 2019/4, pp. 49-53). Sur le plan de la charge de la preuve, l’employeur doit démontrer la réalité des motifs et le travailleur établir que ceux-ci sont illégitimes. Pour ce qui est de l’indemnité, il appartient au demandeur d’apporter la preuve de son dommage, tant dans son principe que dans son ampleur. Le tribunal peut cependant, dans son évaluation ex aequo et bono, accorder une valeur indicative au quantum prévu pour le secteur privé.

Un rappel est également fait des principes en matière d’abus de droit de licencier, dans la jurisprudence récente, ainsi que des règles relatives à l’audition préalable.

Le tribunal constate ainsi que les motifs invoqués sont liés à la conduite de la travailleuse, motif dont l’employeur doit prouver la réalité. Il déplore cependant qu’aucun fait précis n’est avéré, les faits visés n’étant pas appuyés par des éléments objectifs, ou des attestations de collègues, et ce d’autant qu’il y a eu contestation des faits par la demanderesse. Le tribunal reproche également à l’employeur de ne pas avoir procédé à des investigations complémentaires, et notamment sans recueillir la version des faits de l’intéressée. Le licenciement est dès lors déraisonnable, tant eu égard au comportement de l’employeur public, qui eut dû procéder à l’entretien préalable afin de permettre à l’intéressée d’apporter des explications et des pistes de solution lui permettant de sauver son emploi. Par ailleurs, les circonstances sont constitutives d’un abus, étant relevée la légèreté avec laquelle la décision a été prise. Le tribunal conclut à l’existence d’un préjudice distinct et fixe ex aequo et bono le préjudice à 2.000 euros.

Il ne vide dès lors pas sa saisine, la réouverture des débats ayant été ordonnée pour la question du quantum définitif de l’indemnité compensatoire de préavis et le droit au paiement d’heures complémentaires.

Intérêt de la décision

Plusieurs questions d’actualité sont abordées dans ce jugement, dont la question toujours délicate à ce jour de la reconnaissance et de l’indemnisation d’un licenciement abusif ou manifestement déraisonnable quant à ses motifs dans le secteur public. Depuis l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 30 juin 2016, rappelé dans le jugement, l’intervention du législateur est toujours attendue, vu la différence de traitement injustifiée entre les travailleurs contractuels du secteur public et du secteur privé. La Cour constitutionnelle avait cependant balisé les points sensibles de la question, étant la limitation des motifs de licenciement admissibles, la question de la charge de la preuve et le quantum de l’indemnité.

Les juges du fond ont dès lors dû trouver des solutions, à partir des enseignements de la Cour constitutionnelle à cet égard, afin de réduire la différence de traitement entre les deux types de travailleurs, l’application de la C.C.T. n° 109 ne pouvant intervenir telle quelle.

Très prudemment, le tribunal applique, dans ce jugement, les règles dégagées à cet égard, étant le renvoi au comportement de l’employeur du secteur privé (exigence dans le chef de l’employeur public d’un comportement prudent et diligent), l’exigence d’un préjudice distinct et le retour au droit commun de la preuve, le tribunal relevant que son application ne discrimine pas le travailleur du secteur public : l’employeur doit établir la réalité des motifs et le travailleur a la charge de prouver que ceux-ci sont illégitimes.

Enfin, le recours à la C.C.T. n° 109 est également admis, aux fins de « s’inspirer » du quantum de l’indemnité.


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