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Avantages accordés aux (ex) travailleurs et cotisations de sécurité sociale

C. trav. Brux., 20 décembre 2019, R.G. 2016/AB/1.020

Mis en ligne le mardi 15 septembre 2020


Dans un arrêt du 20 décembre 2019, la cour du travail de Bruxelles reprend les conditions dans lesquelles des avantages accordés aux (anciens) membres du personnel doivent se voir reconnaître un caractère rémunératoire et, dès lors, faire l’objet de cotisations de sécurité sociale.

Les faits

Une société faisant partie d’un groupe plus large, active dans le secteur informatique (services aux entreprises) a fait l’objet dans le courant des années 2008 à 2011 d’une inspection de l’O.N.S.S., en ce qui concerne les avantages rémunératoires alloués à son personnel. Des régularisations ont été demandées par l’Office, régularisations contre lesquelles l’employeur a introduit une demande devant le tribunal du travail de Bruxelles (néerlandophone) le 3 juin 2014. Il s’agit, essentiellement, d’indemnités de séjour forfaitaires, d’un avantage en nature pour usage privé d’internet et gsm et d’avantages payés par le fonds social interne. Pour la société, ces éléments n’ont pas de caractère rémunératoire.

Dans le cours de la procédure, une demande reconventionnelle est formée par l’O.N.S.S., qui sollicite le paiement d’indemnités de séjour pour un travailleur.

Le tribunal du travail décida par jugement du 2 septembre 2016 que le recours était fondé en ce qui concerne le gsm ainsi que les avantages accordés par le fonds social.

Appel fut interjeté par l’O.N.S.S., ce qui donna lieu à l’introduction d’un appel incident de la part de la société.

La décision de la cour

La cour examine successivement les avantages accordés par le fonds social. Ce fonds social, créé au sein du groupe, accorde certains bénéfices aux membres du personnel en service (en C.D.I.) ainsi qu’aux pensionnés et aux veufs isolés. Ce règlement date de 1982. Les avantages prévus sont divers et classés en « interventions fixes » (primes à l’occasion de mariages, naissances, communions, maladies, décès, etc.) et en « interventions non fixes » (nécessitant l’intervention du « comité » (prévoyant entre autres des primes de Saint-Nicolas, des cadeaux de Nouvel An, etc.)). Sur le plan du financement, ce fonds fonctionne via des contributions mensuelles du personnel (0,5% du salaire net) ainsi qu’avec des contributions de l’employeur (2,5% du salaire net). Ce fonds social est une association de fait, sans personnalité juridique. Il a été clôturé le 1er janvier 2016.

L’examen de la nature des bénéfices accordés doit intervenir eu égard à l’article 14 de la loi du 27 juin 1969, ainsi qu’à celle du 12 avril 1965 sur la protection de la rémunération, qui donne en son article 2, 1er alinéa 1e et 3e, la définition de la rémunération. Il s’agit du salaire en argent ainsi que des avantages évaluables en argent auxquels le travailleur a droit à charge de son employeur du fait de son engagement.

En l’espèce, il s’agit d’avantages évaluables en argent. Vu les conditions d’attribution, il ne s’agit pas de libéralités de la part de l’employeur et, étant donné par ailleurs les modalités d’attribution et les bénéficiaires, la cour conclut qu’il s’agit de rémunération au sens de l’article 2, 1er § 3e de la loi sur la protection de la rémunération.

Des exceptions sont cependant retenues par le même texte en son article 2, 3e al., 1e, c), étant les prestations considérées comme un complément aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale.

La cour constate que l’O.N.S.S. a procédé à l’évaluation de ceux-ci par référence à l’article 19, §2 de l’arrêté royal d’exécution de la loi (arrêté royal du 28 novembre 1969) qui détermine, en exécution de l’article 14, §2, de la loi les éléments qui ne sont pas considérés comme rémunération pour le calcul de cotisations de sécurité sociale. Sur cette base, l’Office a conclu que pour une série d’avantages, il n’y avait pas lieu de payer des cotisations.

Reste cependant en discussion toute une série de postes (cadeaux de Noël et de Nouvel An, interventions dans les vacances, différenciées en fonction de la situation du bénéficiaire, anniversaires de mariage, …).

La cour passe, dès lors, en revue l’ensemble de ces avantages. Eu égard aux conditions d’octroi, elle retient, pour les cadeaux de Noël et de Nouvel An, qu’il y a caractère rémunératoire, de même que pour l’intervention dans les vacances des familles sans enfant (pour les membres du personnel pensionnés, l’intervention dans les vacances étant également admise comme liée à l’engagement).

Les autres postes sont examinés (épargne prénuptiale, anniversaire de mariage, prime d’ancienneté, formation, avantages alloués aux veufs et veuves, ainsi qu’aux prépensionnés).

La cour rappelle particulièrement, pour la question des formations, les deux arrêts de la Cour de Cassation du 15 janvier 2001 et du 14 janvier 2002 (Cass., 15 janvier 2001, S.99.0074.F. et Cass., 14 janvier 2002, S.00.0193.F.), à propos de la question de la preuve : en cas de contestation sur le caractère rémunératoire des sommes payées au travailleur au titre de remboursement des frais dont la charge incombe à l’employeur, il appartient à l’O.N.S.S., chargé de percevoir les cotisations de sécurité sociale, d’établir que lesdites sommes ne constituent pas le remboursement de tels frais. Les cotisations de sécurité sociale ne sont en effet pas dues sur les frais supplémentaires réels que l’employeur est tenu de supporter en raison de l’occupation d’un travailleur sans que ces frais soient inhérents à l’exécution du contrat de travail, qu’elle que soient la source et les modalités de cette obligation. Eu égard aux termes du guide d’accueil, qui prévoit les conditions d’octroi, la Cour ordonne la réouverture des débats sur ce point.

Pour les postes restants, analysés factuellement, la cour aboutit à la conclusion qu’il ne s’agit pas d’avantages rémunératoires.

Un deuxième axe porte sur la régularisation de frais de séjour, ainsi que les avantages en nature (gsm et internet) :

• la cour rappelle à cet égard que la société offre des services IT professionnels notamment à des secrétariats sociaux, des caisses d’allocations familiales, des bureaux d’intérim, etc. et que vu les conditions d’octroi, les indemnités de séjour ne faisaient pas double emploi avec les titres-repas accordés, s’agissant de montants correspondant au remboursement de frais à charge de l’employeur. La régularisation intervenue pour ceux-ci ne devait donc pas avoir lieu ;
• pour les avantages en nature (gsm et internet), après avoir repris les conditions d’octroi et d’usage, la cour conclut à l’assujettissement de l’usage privé du gsm, mais non à la mise à disposition de l’internet, qui n’a été accordée qu’à une fraction déterminée du personnel. La cour retient qu’il s’agit ici de remboursement de frais à charge de l’employeur.

La cour a dès lors vidé sa saisine, sauf pour la question des formations, qui fait l’objet de la réouverture de débats.

Intérêt de la décision

L’espèce examinée par la cour du travail dans cet arrêt renferme plusieurs particularités.

Outre les questions classiques d’indemnité de séjour (en clientèle) ainsi que l’octroi d’avantages en nature (gsm et internet), il s’agissait, de manière plus substantielle, en espèce, de retenir le caractère rémunératoire ou non d’avantages octroyés aux membres du personnel (en fonction ou pensionnés) par un fonds social interne alimenté par les travailleurs en service et par l’employeur, à concurrence d’un pourcentage minime du salaire net.

La cour a repris, point par point, les avantages visés, avec les conditions d’octroi et leur examen eu égard aux articles 14 de la loi du 27 juin 1969 et 19 de l’arrêté royal d’exécution.

L’on notera, sur la question de savoir s’il s’agit d’avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale, un arrêt de la Cour de Cassation du 8 décembre 2014 (S.13.0099.N) où la Cour a considéré qu’il s’agit de comprendre par « avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale » les avantages accordés dont l’objet est la couverture d’un risque de sécurité sociale. A ainsi pour objet la couverture d’un tel risque l’avantage qui a pour but d’aider à couvrir la perte des revenus du travail ou les coûts provenant de la réalisation d’un risque de sécurité sociale sans qu’il y ait lieu de prendre en considération le statut ou la fonction du travailleur.

L’on peut encore renvoyer à un arrêt de la cour du travail de Bruxelles du 7 février 2019 (C. trav. Brux., 7 février 2019, R.G. 2018/AB/240) qui a considéré que doivent être considérées comme un complément aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale les indemnités qui ont pour objet de compenser la perte des revenus du travail ou l’accroissement des dépenses provoqués par la réalisation d’un des risques couverts par les diverses branches de la sécurité sociale, même si leur octroi est soumis par ailleurs à des conditions étrangères à ces risques. Sont exclues sans restriction de la notion de rémunération les indemnités, payées, directement ou indirectement, par l’employeur, qui doivent être considérées comme un complément aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale, même si cette indemnité est réservée à certains travailleurs en violation de l’article 45 de la loi du 27 juin 1969 et en violation des règles prohibant la discrimination (rappel de Cass., 15 février 2016).


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