Terralaboris asbl

Conditions d’une « retenue – compensation » lors de la rupture du contrat de travail

Trib. trav. Hainaut (div. Mons), 13 janvier 2020, R.G. 17/1.495/A

Mis en ligne le lundi 14 septembre 2020


Dans un jugement du 13 janvier 2020, le tribunal du travail du Hainaut (division de Mons) reprend l’articulation des règles de l’article 18 de la loi sur les contrats de travail et de l’article 23, 3°, de la loi sur la protection de la rémunération : toute retenue sur rémunération qui intervient en-dehors des conditions fixées dans ces deux dispositions combinées est illégale et est visée au titre d’infraction par le Code pénal social.

Les faits

Un ouvrier est licencié en septembre 2016, après des prestations dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée pendant quatre ans pour le compte d’une société active dans le secteur du froid. Dans le cours du préavis, la société décide de mettre fin à celui-ci avec effet immédiat et de payer une indemnité compensatoire pour le solde. Elle retient un montant de l’ordre de 770,00 €.

Elle précise en effet que du matériel a disparu de la « servante » de l’intéressé et considère qu’il s’agit d’un vol. L’inventaire de ce matériel aboutit, selon elle, à un préjudice de l’ordre du montant ci-dessus. Il est demandé de restituer le matériel de la société et, à défaut, de rembourser ce montant.

L’intéressé réagit via son organisation syndicale et ajoute, dans sa contestation des faits, qu’aucune servante n’était nominative dans l’entreprise et qu’un système de traçabilité des outils faisait défaut.

Il introduit un recours devant le tribunal du travail de Mons, recours portant uniquement sur l’indu auquel il est procédé par la société, étant une retenue indue sur salaire.

La décision du tribunal

Le tribunal rappelle les principes en matière de retenues sur rémunération. L’article 23 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs prévoit limitativement les montants pouvant être imputés sur celle-ci. Parmi ceux-ci figurent (3°) les indemnités et dédommagements dus en exécution de l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978.

En plus, une limite est fixée, étant que le total des retenues ne peut dépasser le cinquième de la rémunération en espèces due à chaque paie (étant le net de celle-ci). La limitation n’est pas applicable en cas de dol ou si le travailleur a mis volontairement fin à son engagement contractuel avant la liquidation des indemnités de dommages et intérêts en cause.

L’article 18 de la loi du 3 juillet 1978 contient pour sa part des restrictions à la responsabilité du travailleur, étant qu’il ne répond des dommages causés (à l’employeur ou à des tiers) que de son dol et de sa faute lourde (ou de sa faute légère habituelle). Ces dommages doivent avoir été causés, en sus, dans l’exécution du contrat.

Cette limitation de responsabilité n’est pas, comme le rappelle le tribunal, absolue, l’article 18 devant faire l’objet d’une interprétation stricte, dans la mesure où lui-même est un régime dérogatoire au droit commun de la responsabilité civile.

Il sera dès lors autorisé en vertu de l’article 23, 3°, de la loi du 12 avril 1965 de procéder à des retenues sur la rémunération, dans la mesure où les conditions de la faute telles que fixées à l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978 sont réunies. Quant à l’étendue du dommage, elle doit être déterminée d’un commun accord ou par le juge.

En cas de non-respect des règles de l’article 23, 3°, de la loi du 12 avril 1965, si l’employeur effectue des retenues sur la rémunération, le non-paiement est une infraction pénale, visée à l’article 163, du Code pénal social.

En l’espèce, force est de constater que l’inventaire de l’outillage ainsi que son estimation ont fait l’objet d’un relevé unilatéral. Vu la contestation du travailleur, la société a effectué une retenue sur rémunération en-dehors des conditions de l’article 23.

Le tribunal conclut, en conséquence, au fondement de la demande.

Intérêt de la décision

Ce jugement fait une application des règles combinées de l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978 et de l’article 23, 3°, de la loi du 12 avril 1965.

L’employeur peut en effet imputer sur la rémunération du travailleur les indemnités et dommages et intérêts qui lui sont dus en vertu de l’article 18 LCT et qui, après les faits, ont été convenus avec le travailleur ou fixés par le juge. Ceci, cependant, dans les limites posées par l’article 23. Il s’agit d’une forme réglementée de compensation (voir en ce sens un arrêt de la cour du travail de Bruxelles du 20 octobre 2015, R.G. 2014/AB/1.087).

Cette compensation qui intervient à la rupture est soumise à des règles strictes et l’on peut rappeler, outre la question des outils de travail mis à disposition du travailleur, la problématique des dommages qui seraient invoqués par rapport à l’usage d’un véhicule. À cet égard, des décisions sont intervenues, aux fins de rappeler les contours de cette « retenue – compensation ». Il a ainsi notamment été jugé que :

  • Une « retenue-compensation » à laquelle l’employeur procède après la fin des relations de travail pour des montants lui étant dus (leasing du véhicule conservé pendant quelque temps) est illégale. L’article 23 de la loi sur la protection de la rémunération ne limite pas le champ d’application de celle-ci à la période des relations de travail, à savoir à la durée d’exécution du contrat. Il s’agit d’une règle impérative qui s’applique à tout paiement de la rémunération. Il ne peut dès lors être soutenu qu’une telle retenue peut avoir comme fondement légal les articles 1289 et suivants du Code civil au motif que le travailleur n’aurait plus la qualité de salarié à ce moment. (C. trav. Bruxelles, 17 novembre 2015, R.G. 2013/AB/1.022)
  • La limitation de la responsabilité du travailleur ne vaut que pour les dommages causés dans l’exécution du contrat et non en dehors de celle-ci. L’employeur (qui veut mettre à sa charge des dommages survenus au véhicule professionnel) doit prouver soit que le dommage a été causé en dehors de l’exécution soit qu’il l’a été pendant celle-ci, avec les règles de limitation de responsabilité du travailleur dans cette seconde hypothèse. En outre, si le dommage est dû à l’usure consécutive à l’usage normal, il n’y a pas lieu à réparation (en l’espèce, kilométrage important du véhicule lorsqu’il a été mis à la disposition du travailleur et utilisation par celui-ci pendant deux ans). Dans la mesure par ailleurs où il n’est pas établi que les dommages constatés sont survenus en dehors de l’exécution du contrat, que l’employeur n’arrive pas à retenir un dol ou une faute lourde du travailleur, il ne resterait que l’hypothèse de la faute légère avec un caractère habituel qui pourrait entraîner l’obligation pour le travailleur d’intervenir dans le coût de la réparation. (C. trav. Bruxelles, 25 avril 2017, R.G. 2016/AB/158)

Une autre des conditions régulièrement rappelées est que la dette doit être certaine, liquide et exigible et qu’en cas de contestation, la compensation n’est pas autorisée. L’on peut encore renvoyer sur cette question à un jugement du tribunal du travail de Liège (division Liège) du 19 février 2018 (R.G. 17/1778/A) ainsi qu’à un autre du tribunal du travail du Brabant wallon (division Nivelles) du 14 décembre 2017 (R.G. 15/762/A).


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be