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Taux de l’intérêt sur la cotisation spéciale de sécurité sociale

C. trav. Bruxelles, 21 novembre 2019, R.G. 2016/AB/817

Mis en ligne le mardi 1er septembre 2020


Dans un arrêt du 21 novembre 2019, la cour du travail de Bruxelles conclut à l’inconstitutionnalité du taux d’intérêt appliqué pour la récupération de la cotisation spéciale de sécurité sociale, l’article 62 de la loi du 28 décembre 1983 ayant délégué au Roi le pouvoir d’adapter celui-ci en fonction de l’évolution du taux d’intérêt sur le marché financier et celui-ci étant resté en défaut d’accomplir cette mission.

Rappel de la procédure

L’ONEM a introduit devant le tribunal du travail de Nivelles, section de Wavre, une action en paiement de cotisations spéciales de sécurité sociale (loi du 28 décembre 1983). La demande ayant été accueillie par le tribunal, appel a été interjeté par les deux défendeurs originaires (conjoints).

L’arrêt de la cour du 28 mars 2019

La cour du travail a rendu un premier arrêt le 28 mars 2019, accueillant la demande sur le plan de la recevabilité et de la non-prescription de celle-ci.

Reste en discussion le taux des intérêts à appliquer (et une question de décompte).

L’arrêt de la cour du travail du 21 novembre 2019

La cour rappelle que la question de la détermination du taux des intérêts est prévue à la loi du 5 mai 1865 relative au prêt à intérêt.

Le taux prévu par la loi du 28 décembre 1983 a pratiquement suivi celui du taux légal de l’intérêt ordinaire jusqu’en 1986. Il n’a cependant plus été adapté depuis 1987, alors que le taux de l’intérêt légal en matières civile et commerciale a été revu à la baisse constamment. Ainsi, la cour reprend un tableau contenant l’évolution du taux entre 2007 et 2019, faisant apparaître que le taux d’intérêt en matières civile et commerciale est passé de 6% en 2017 à 2% en 2019.

Une loi est intervenue le 27 décembre 2006 fixant le taux de l’intérêt légal en matière fiscale de manière spécifique : il s’agit de la moyenne du taux d’intérêt EURIBOR à un an pendant le mois de décembre de l’année précédente, arrondi vers le haut au quart de pourcent. L’intérêt ainsi obtenu est alors augmenté de 2%. L’article 2, §2, de la loi prévoit cependant qu’en matière fiscale un intérêt spécifique de 7% reste prévu, et ce même s’il y a renvoi dans les dispositions fiscales au taux d’intérêt légal en matière civile – et ce pour autant qu’il n’y ait pas de dérogation expresse.

En matière sociale, une loi du 8 juin 2008 a modifié l’article 2, §3, de la loi du 28 décembre 1983 prévoyant ici un taux spécifique, avec la même règle que ci-dessus pour les matières fiscales. Les travaux préparatoires rappellent que le taux de l’intérêt légal en matière sociale avait été « oublié » alors que le social avait toujours suivi le fiscal (Ch., exposé des motifs, 52, 1011, 25-26).

Se pose dès lors la question de savoir si le taux d’intérêt, actuellement fixé par l’article 62 de la loi du 28 décembre 1983 (0,8% par mois, y compris pour le mois au cours duquel le paiement a lieu), n’a pas été remplacé d’office par le taux d’intérêt prévu par l’article 2, §3, de la loi du 5 mai 1865 relative au prêt à intérêt.

Ceci implique par ailleurs de déterminer si l’article 62 doit être considéré comme une dérogation expresse de la loi relative au prêt à intérêt. La cour conclut par la négative, considérant que la loi du 5 avril 1865 doit être considérée comme ayant modifié la loi du 28 décembre 1983. Les travaux préparatoires permettent en effet de fixer l’objectif du législateur comme étant que l’intérêt devrait présenter une certaine corrélation avec le taux légal ordinaire et pouvoir être adapté lorsque les fluctuations du taux de l’intérêt pratiqué sur le marché financier le justifient (5e feuillet).

Se pose en outre, vu ce constat, la question de la violation du principe d’égalité, les débiteurs de la cotisation spéciale et les autres personnes qui doivent payer des cotisations pour le régime de la sécurité sociale étant traitées différemment. Pour la cour, depuis 2009, il existe une différence annuelle de 2,60% dans le taux d’intérêt pratiqué.

Or, les catégories de personnes sont comparables, la seule différence étant que parmi les redevables de la cotisation spéciale de sécurité sociale figurent des personnes qui ne tireront aucun avantage de cette cotisation (en particulier les indépendants).

La cour écarte la prise en compte de la majoration forfaitaire, qui vient s’ajouter en cas de non-respect du délai de paiement des cotisations, dans la mesure où l’intérêt couvre le chômage de l’argent, alors que les majorations sont destinées à couvrir les frais d’administration entraînés (avec renvoi à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 22 janvier 2003, n° 9/2003, B4).

En l’espèce, le débat porte sur une période de dix ans, à savoir sur une différence de 26% dans le taux d’intérêt (soit 2,60% par an).

Si une violation des articles 10 et 11 de la Constitution doit être recherchée, il y a lieu de savoir si celle-ci résulte de la loi ou du fait que le Roi est resté en défaut d’adapter le taux d’intérêt en fonction de l’évolution de celui-ci sur le marché financier, ainsi que ceci est prévu à l’article 62. En cas de violation de la loi, l’affaire est, pour la cour, à renvoyer devant la Cour constitutionnelle, alors que dans la seconde hypothèse elle est compétente pour constater l’inconstitutionnalité.

Considérant que c’est cette seconde hypothèse qu’il faut retenir, vu la délégation de pouvoirs au Roi pour l’adaptation du taux d’intérêt en fonction de celui existant sur le marché financier et vu la carence du Roi dans cette délégation de pouvoirs, la cour conclut qu’en application de l’article 159 de la Constitution, qui prévoit que ne seront appliqués les arrêtés et règlements généraux provinciaux et locaux par les cours et tribunaux que pour autant qu’ils soient conformes aux lois, elle écarte la disposition en cause. L’inconstitutionnalité étant due à la non-exécution par le Roi d’une mission légale, il y a lacune dans la loi et le juge doit mettre fin à cette inconstitutionnalité, dans la mesure où le constat est exprimé en des termes suffisamment précis et complets pour permettre l’application de la disposition dans le respect des articles 10 et 11 de la Constitution.

La Cour renvoie ici à un autre arrêt de la Cour constitutionnelle, du 31 juillet 2008 (C. const. 31 juillet 2008, n° 2008/111, B 10) ainsi qu’à un arrêt de la Cour de Cassation du 5 février 2016 (Cass., 5 février 2016, C.15.0011.F), dont elle déduit qu’elle peut constater elle-même le caractère inconstitutionnel d’un arrêté royal ou ministériel. Le juge pouvant suppléer à la lacune dans les dispositions légales sans empiéter sur les compétences du législateur, elle décide qu’il peut être mis fin au traitement discriminatoire dû à la négligence du Roi en appliquant à partir du 1er janvier 2009 le taux d’intérêt prévu par la loi du 5 avril 1865.

Intérêt de la décision

La question de l’intérêt de retard en cette matière est cruciale et a été débattue à diverses reprises. Il y a en effet une lacune dans la réglementation et la cour reconnaît, dans cet arrêt, qu’il y a un traitement discriminatoire dû à celle-ci, auquel il peut être mis fin en suppléant à la carence du Roi par l’application du taux d’intérêt prévu dans la loi du 5 avril 1865.

Sur la question des intérêts, l’on peut encore renvoyer à l’arrêt de la Cour de Cassation du 18 mars 2013 (Cass., 18 mars 2013, S.12.0069).

La discussion autour de la cotisation spéciale de sécurité sociale porte, dans de nombreuses décisions de jurisprudence, sur la prescription et à cet égard la Cour constitutionnelle a jugé dans un arrêt du 26 septembre 2013 (C. Const. 26 septembre 2013, n° 131/2013) que les articles 60 à 73 de la loi du 28 décembre 1983 tels qu’en vigueur au moment des faits où le juge du fond a statué violaient les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’ils ne prévoyaient pas un délai de prescription raisonnable à compter de la date d’exécution du rôle fiscal de l’année en cause.

La Cour de Cassation avait précédemment (Cass., 27 juin 2011, S.10.0016.F) jugé que la prescription de l’action en recouvrement de la cotisation spéciale de solidarité prend cours le dernier jour du mois suivant celui au cours duquel la feuille de calcul est adressée à l’assujetti.

C’est en fonction de cette jurisprudence que la cour du travail a pu dans son arrêt du 28 mars 2019 conclure à la non-prescription de la demande.

L’on peut encore sur la question renvoyer à un arrêt légèrement antérieur (C. trav. Bruxelles, 14 novembre 2019, R.G. 2018/AB/248)


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