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Introduction d’une demande auprès du Fonds spécial de solidarité et Charte de l’assuré social

C. trav. Bruxelles, 15 janvier 2020, R.G. 2018/AB/548

Mis en ligne le mardi 1er septembre 2020


Dans un arrêt du 15 janvier 2020, la cour du travail de Bruxelles rappelle le rôle central du médecin-conseil de l’organisme assureur dans le cadre de l’introduction d’une demande d’intervention du Fonds spécial de solidarité, eu égard aux obligations mises par la Charte de l’assuré social à charge des institutions de sécurité sociale, essentiellement ses articles 3, 4 et 11.

Les faits

Suite à un grave problème de santé, Madame R. est hospitalisée dans un état critique. Elle présente une pathologie grave et rare, pour laquelle ne figure aucun traitement dans la nomenclature.

Une demande est introduite auprès du Fonds spécial de solidarité de l’I.N.A.M.I. à la mi-octobre 2015, via l’organisme assureur. Celui-ci accuse réception de la demande et transmet le dossier au Collège des médecins-directeurs. Dans la quinzaine, intervient une décision favorable, répercutée auprès de l’organisme assureur. Il s’agit d’une décision de principe, le montant de l’intervention devant encore être décidé. Manque en effet une information relative au prix ex-usine du médicament.

L’organisme assureur signale alors à l’assurée sociale que le Collège des médecins-directeurs a pris une décision favorable, omettant de mentionner que la décision concernait uniquement l’intervention de principe, le montant de celle-ci devant être déterminé ultérieurement. La décision du Collège des médecins-directeurs n’est pas davantage transmise.

Dans le même temps, l’I.N.A.M.I. informe également l’intéressée d’une « décision favorable quant à votre demande ». Il annonce que la mutualité donnera de plus amples informations très rapidement.

Entre-temps, le traitement a été administré, le coût de celui-ci facturé par l’hôpital étant de 28.750,00 € environ.

Les choses ne semblent plus avoir évolué jusqu’au 30 août 2006, soit pendant près de neuf mois. À ce moment, l’organisme assureur signale à l’intéressée que son dossier est incomplet. Celle-ci renvoie les documents demandés, suite à quoi le Collège signifie que le dossier est toujours incomplet, demandant encore d’autres renseignements. De son côté, la mutualité signale à son affiliée que le dossier est toujours incomplet, sans plus.

En février 2017, soit plus de quinze mois après l’ouverture du dossier, l’organisme assureur répond qu’il ne peut réserver de suite favorable, le dossier étant incomplet. Est redemandé un document qui avait déjà été renvoyé et que l’intéressée remplit à nouveau.

Deux mois plus tard, le Collège des médecins-directeurs prend une décision, dans laquelle il limite son intervention à un montant de l’ordre de 13.900,00 €. Il précise qu’il n’a pas été mis en possession du renseignement relatif au prix ex-usine pratiqué dans le pays dont les médicaments sont importés. Il signale également que compte-tenu des moyens limités du Fonds, le montant attribué a été calculé ex aequo et bono.

L’intéressée introduit un recours devant le tribunal du travail du Brabant wallon (division de Nivelles).

Par un jugement du 22 mai 2018, celui-ci, statuant par défaut, annule la décision du Collège et dit pour droit que le montant global doit être pris en charge par l’assurance obligatoire soins de santé. Il condamne l’organisme assureur à payer cette somme à l’hôpital.

L’I.N.A.M.I. interjette appel de ce jugement.

Position des parties devant la cour

Pour l’I.N.A.M.I., le Fonds spécial de solidarité jouit d’un pouvoir discrétionnaire pour ce qui est du montant de l’intervention dans une prestation. Les tribunaux n’ont aucune compétence pour se prononcer à cet égard, la compétence discrétionnaire de cet organisme comportant la garantie que le Fonds spécial peut subsister financièrement. Quant aux pouvoirs du tribunal, ils portent sur le droit subjectif à l’intervention mais il doit renvoyer l’affaire devant le Collège pour fixer le montant de celle-ci. En outre, l’I.N.A.M.I. ne peut être condamné à payer le montant de cette intervention, cette obligation étant mise à charge de l’organisme assureur par la loi.

Quant à l’intéressée, elle sollicite la confirmation du jugement dont appel, faisant valoir que dès le début, le Collège aurait sans réserve marqué son accord pour la prise en charge du traitement envisagé et qu’il ne pourrait revenir sur cette décision. Elle signale ne pas être intervenue dans la commande du médicament et tout ignorer du grossiste qui l’a délivré. Enfin, elle considère que la responsabilité de l’organisme assureur doit être mise en cause, eu égard aux manquements aux articles 3, 4 et 11 alinéa 3 de la Charte de l’assuré social.

La décision de la cour

La cour reprend les articles de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 relatifs à l’intervention du Fonds spécial de solidarité. Il s’agit des articles 25 à 25nonies.

Sur la décision prise par le Collège des médecins-directeurs, la cour constate que celle-ci ne contenait pas un accord définitif sur une prise en charge complète et pour cause, puisque celui-ci ne disposait à l’époque pas des éléments permettant d’avoir une vue d’ensemble (facture d’hospitalisation, preuve de la délivrance par le pharmacien de l’hôpital, prix ex-usine).

La cour ne rejoint dès lors pas la conclusion du tribunal quant à la portée de l’accord qui a été donné.

Par ailleurs, elle suit la position de l’I.N.A.M.I. selon laquelle l’intervention du Collège est limitée par les moyens financiers dont il dispose et elle reprend à cet égard les travaux préparatoires de la loi du 7 février 2014, qui est venue compléter l’article 27septies par une disposition spécifique précisant que la demande doit mentionner le prix ex-usine. En vertu de ces travaux préparatoires (Ch., 2013-2014, Doc. 3260, 1), cette mesure vise à assurer pour les médicaments importés qui ne disposent pas d’un prix sur le marché belge plus de transparence dans la détermination du prix facturé au client et à limiter les coûts supplémentaires facturés par les grossistes et les pharmaciens. Ceci tant dans l’intérêt du patient que dans celui de la collectivité.

La cour précise que si le Collège n’avait pas demandé cette information, elle eut dû le faire elle-même, eu égard au caractère d’ordre public de la loi.

Quant au pouvoir discrétionnaire du Collège, elle rappelle que ceci ne signifie pas absence de contrôle du juge sur la décision prise. Elle renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 12 mars 2018 (Cass., 12 mars 2018, S.17.0077.N), dans lequel, après avoir confirmé le caractère discrétionnaire de celui-ci, la Cour suprême a ajouté que le juge doit se borner à vérifier si la décision de l’administration n’est pas manifestement déraisonnable, arbitraire ou disproportionnée.

En l’occurrence tel n’est pas le cas de la décision examinée et la cour conclut qu’il y a lieu de réformer le jugement en ce qu’il a mis à charge de l’assurance obligatoire soins de santé la totalité de la facture.

Statuant ensuite sur l’action en tant que dirigée contre l’organisme assureur, la cour rappelle qu’en vertu de l’article 4 de la Charte de l’assuré social, les institutions de sécurité sociale doivent, dans les matières qui les concernent, conseiller tout assuré social qui le demande sur l’exercice de ses droits ou l’accomplissement de ses devoirs et obligations. L’article 11 alinéa 1er prévoit que l’institution qui doit examiner une demande recueille d’initiative les informations faisant défaut en vue de pouvoir apprécier les droits de l’assuré social.

Ces dispositions sont applicables en l’espèce, d’autant que l’article 25septies §1er alinéa 2 de la loi dispose que l’assuré social doit introduire sa demande d’intervention auprès du médecin-conseil de l’organisme assureur et que les documents qui doivent y être joints sont précisés.

Un arrêté royal du 12 mai 2014 portant exécution de l’article 25 de la loi coordonnée prévoit par ailleurs en son article 1, §2, que dès réception de la demande le médecin-conseil de l’organisme assureur vérifie si la prestation ne peut faire l’objet d’aucune intervention dans le cadre de la nomenclature ni, si elle doit être dispensée à l’étranger, dans le cadre des dispositions supranationales (conventions internationales de sécurité sociale ou règlements C.E.). La cour insiste sur le rôle actif qui est confié au médecin-conseil de l’organisme assureur dans l’introduction de la demande. Or, il ressort du dossier que divers manquements sont intervenus dans l’instruction de celle-ci, l’intéressée ayant quant à elle tâché de satisfaire aux demandes qui lui étaient adressées. La cour relève d’abord qu’il a fallu un mois à l’organisme assureur, après avoir été informé de la décision du Collège des médecins-directeurs pour adresser à l’intéressée un simple courrier annonçant qu’une décision favorable a été prise, alors par ailleurs que le dossier était urgent. Par la suite, celle-ci n’aurait reçu que « une série de lettres inutiles » sans information ou conseil ad hoc.

Il en résulte que la responsabilité de l’organisme assureur est engagée. Sur la réparation, aucune disposition n’existant dans la Charte, il y a lieu de se référer aux principes généraux de droit civil, plus particulièrement à l’article 1382.

La Cour ne se prononce pas définitivement sur l’évaluation du dommage, considérant cependant que si le dossier avait été traité correctement et avec la diligence requise, il aurait pu aboutir à une décision plus favorable du Collège des médecins-directeurs, la communication du prix ex-usine étant en effet essentielle. La cour considère, en conséquence, qu’une réouverture des débats s’impose. Celle-ci porte sur la communication de ce prix usine à assurer par l’intéressée, aux fins de permettre au Collège des médecins-directeurs de statuer en ayant tous les éléments requis. Ensuite, sera établi le montant du préjudice que l’intéressée entend réclamer à son organisme assureur.

Intérêt de la décision

Cet arrêt met en exergue le rôle central du médecin-conseil de l’organisme assureur dans le cadre de l’introduction de la demande d’intervention auprès du Collège des médecins-directeurs.

La cour a rappelé cette place centrale, qui, examinée au regard des obligations de la Charte mises à charge des institutions de sécurité sociale, est susceptible d’engager la responsabilité civile de l’institution de sécurité sociale – à défaut de sanction particulière dans la Charte elle-même.

L’on notera que la cour a retenu une solution pratique, permettant dans un arrêt ultérieur, de déterminer au plus près le préjudice subi par l’intéressée, et ce, en fonction de la décision à prendre par le Collège sur la base d’un dossier complet.

Affaire à suivre donc …


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