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Notion de « prestation de sécurité sociale » et conditions d’assimilation des faits au sens du Règlement n° 883/2004

C.J.U.E., 12 mars 2020, C-769/18 (Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail d’Alsace-Moselle c/ SJ, Ministre chargé de la Sécurité sociale)

Mis en ligne le mardi 11 août 2020


Dans un arrêt du 12 mars 2020, la Cour de Justice de l’Union Européenne fait un judicieux rappel de la notion de « prestation de sécurité sociale », auquel elle ajoute des développements importants sur les critères de prise en compte de faits assimilables, survenus dans un autre Etat membre, et ce à l’occasion de l’examen du droit à une majoration de pension de retraite, eu égard à la prise en charge d’un enfant handicapé.

Les faits

Une ressortissante française, résidant en Allemagne, a une enfant handicapée (née en 1981). Elle a travaillé, pendant sa carrière professionnelle successivement en France et en Allemagne.

Depuis 1995 elle bénéficie d’une aide à l’intégration pour les enfants et adolescents handicapés mentaux, aide payée par la ville de sa résidence.

En 2010, elle est admise à la retraite (Education nationale française). Un an plus tard, elle demande la liquidation de ses droits à la pension auprès de l’organisme de retraite allemand. Elle reçoit, ainsi, une pension de ce chef.

Elle introduit cependant un recours amiable auprès de la Caisse française, portant sur la date d’effet de sa pension et sur l’absence de prise en compte pour ce qui est des périodes cotisées et assimilées de la majoration de la durée d’assistance d’un trimestre par période d’éducation de trente mois (limité à huit trimestres) prévu par le Code de la sécurité sociale français. Cette prise en compte est ouverte aux assurés sociaux qui ont élevé un enfant ouvrant le droit à l’allocation d’éducation d’un enfant handicapé.

Cette réclamation est rejetée et l’intéressée introduit un recours.

Par jugement du 8 avril 2015, le Tribunal des affaires de sécurité sociale de Strasbourg rejette la demande, jugement confirmé par la Cour d’appel de Colmar pour ce qui est de la date d’effet de la pension. Cependant pour la question du montant, la cour considère que l’aide allemande est équivalente à l’allocation d’éducation d’un enfant handicapé française. L’intéressée a dès lors droit à la majoration du taux de la pension.

Un pourvoi étant formé par la Caisse devant la Cour de cassation au motif de la violation de l’article 5 du Règlement n° 883/2004. Celle-ci éprouve des doutes quant à la possibilité d’appliquer le Règlement n° 883/2004 dans les circonstances de l’affaire, ainsi que quant au caractère équivalent des deux allocations. Elle pose dès lors deux questions préjudicielles à la Cour de Justice.

Les questions préjudicielles

La première porte sur le point de savoir si l’aide allemande relève du champ d’application matériel du règlement.

La seconde concerne le caractère équivalent de ces aides compte tenu de la finalité du Code français de la sécurité sociale dans son article L.351-4-1, qui tend à la prise en compte des charges inhérentes à l’éducation d’un enfant présentant un handicap pour la détermination de la durée d’assurance ouvrant le droit à une pension de retraite.

La décision de la Cour

Sur la première question préjudicielle

Pour la Cour, il s’agit de déterminer la notion de « prestation de sécurité sociale » au sens du règlement. Elle rappelle que deux conditions doivent être remplies : (i) la prestation doit être octroyée aux bénéficiaires en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire de leurs besoins personnels sur la base d’une situation légalement définie et (ii) elle doit se rapporter à l’un des risques énumérés expressément à l’article 3, paragraphe 1 du règlement.

L’octroi de la prestation s’effectue en l’espèce sur la base de critères objectifs en droit français. Cependant, l’octroi de l’aide allemande n’est pas subordonné à des conditions objectives (notamment taux ou niveau précis d’incapacité ou de handicap), l’aide étant fonction des besoins individuels de l’enfant, sur la base d’une appréciation individuelle et discrétionnaire de ceux-ci par l’autorité compétente. L’aide allemande ne constitue dès lors pas une prestation de sécurité sociale au sens du règlement.

La Cour examine cependant la question sous l’angle des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif. Elle aboutit à la conclusion que l’aide allemande ne correspond pas à une telle prestation.

La réponse à la première question est dès lors que l’aide allemande ne relève pas du champ d’application matériel du règlement.

Sur la deuxième question

La Cour constate que le litige porte sur la question de savoir s’il y a lieu de tenir compte des circonstances qui ont donné lieu à l’octroi de l’aide allemande, à savoir d’une aide obtenue en tant que travailleur migrant sur le fondement de la législation de l’Etat membre d’accueil, et ce en vue de la détermination de l’octroi d’une majoration du taux de la pension de retraite prévue par la législation française.

Pour la Cour de justice, la question doit être comprise comme étant de savoir si le principe d’assimilation des faits consacré à l’article 5, sous b) du Règlement n° 883/2004 en tant qu’expression particulière du principe général de non-discrimination trouve à s’appliquer en l’espèce. Il faut pour ce vérifier deux conditions, étant (i) si la majoration du taux de la pension prévue dans le Code de la sécurité sociale français relève du champ d’application du Règlement n° 883/2004 et (ii) si cette disposition nationale attribue des effets juridiques à la survenance de certains faits ou événements au sens de l’article 5, sous b) du règlement.

La réponse à la première condition est positive, la majoration du taux de la pension pouvant être une prestation de vieillesse au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous d).

Pour la seconde condition, le droit français n’exige pas l’obtention préalable de l’allocation française mais requiert uniquement que les conditions ouvrant le droit à celle-ci telles que fixées par le Code de la sécurité sociale soient remplies. La condition en l’espèce est que, pour bénéficier d’une telle majoration, l’assuré social qui élève un enfant ou adolescent handicapé doit établir que l’incapacité est au moins égale à un taux déterminé (80%). Cette seconde condition est également remplie en l’espèce.

Le principe d’assimilation des faits s’applique dès lors.

Le juge national devra vérifier si la survenance des faits est établie et pour ce il devra tenir compte de faits semblables survenus en Allemagne sans se limiter, dans l’appréciation de l’incapacité permanente, aux seuls critères prévus à cet effet par le guide barème applicable en France.

Pour établir si le taux d’incapacité permanent requis est atteint, l’on ne peut, comme le souligne la Cour, refuser de prendre en compte des faits semblables survenus en Allemagne, ceux-ci pouvant être démontrés par tout élément de preuve (notamment examens médicaux, certificats ou prescriptions de soins ou de médicaments).

Est également applicable le principe de proportionnalité, l’assimilation des faits ne devant pas donner lieu à des résultats objectivement injustifiés.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour de Justice est important sur la notion d’assimilations des faits.

Ainsi, deux prestations, dont l’une n’entre pas dans le champ matériel du Règlement n° 883/2004, peuvent malgré tout être comparées, ce qu’il appartient concrètement au juge national de faire, la Cour fixant des balises importantes : le juge national doit tenir compte de faits semblables survenus dans l’autre Etat et ne peut se limiter, dans l’appréciation de l’incapacité permanente aux seuls critères prévus par le droit français. Il doit, s’agissant de la prise en compte de faits semblables survenus dans un autre Etat membre, prendre en considération ceux qui peuvent être démontrés par tout élément de preuve et la Cour de Justice retient notamment (c’est-à-dire sans que cette énumération ne soit limitative) des rapports d’examens médicaux, des certificats ou encore des prescriptions de soins ou de médicaments).

L’on notera encore sur la notion de prestation de sécurité sociale, le renvoi à l’arrêt DREYER (CJUE, 14 mars 2019, n° C-372/18, Aff. DREYER, précédemment commenté).


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