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Artistes et conditions du maintien de la non-dégressivité

Commentaire de Cass., 3 février 2020, n° S.18.0021.F

Mis en ligne le jeudi 9 juillet 2020


Cour de cassation, 3 février 2020, n° S.18.0021.F

Terra Laboris

Par arrêt du 3 février, la Cour de cassation rejette un pourvoi contre l’arrêt rendu par la Cour du travail de Bruxelles le 21 décembre 2017, sur l’article 116, § 5 de l’arrêté royal organique dans sa mouture actuelle, qui prévoit les conditions de maintien de la non-dégressivité après la première période.

Le litige

La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 21 décembre 2017 (C. trav. Bruxelles, 21 décembre 2017, R.G. 2016/AB/855).

L’affaire concerne un réalisateur audiovisuel, travailleur intermittent, occupé dans le cadre de contrats de très courte durée. Celui-ci avait bénéficié lors de sa demande d’allocations de chômage des règles en matière de non-dégressivité. Après une occupation de courte durée à l’étranger, il avait introduit une nouvelle demande. L’ONEm refusa d’y faire droit au motif que les prestations à l’étranger n’étaient pas assujetties à l’ONSS et ne devaient dès lors pas être prises en compte et – à supposer qu’elles le soient – qu’elles devraient l’être selon les règles ordinaires.

Le tribunal du travail donna gain de cause à l’intéressé et suite à l’appel de l’ONEm, la Cour du travail de Bruxelles rendit l’arrêt du 21 décembre 2017.

Elle y rappela, renvoyant à une précédente décision du 7 avril 2016 (C. trav. Bruxelles, 7 avril 2016, R.G. 214/AB/942) que les artistes dont l’activité avait un caractère intermittent rencontraient de sérieuses difficultés aux fins de remplir les conditions en matière de chômage, que ça soit sur le plan de la difficulté d’acquérir le passé professionnel requis ou pour remplir à nouveau les conditions d’occupation permettant une indemnisation plus favorable.

Une modification réglementaire intervint, l’article 116, §5 de l’arrêté royal (qui renferme les conditions de la non-dégressivité des allocations) prévoyant actuellement que, à la demande du chômeur, l’avantage en cause est à nouveau octroyé dans le temps pour une période de douze mois si celui-ci prouve dans une période de référence également de douze mois au moins trois prestations artistiques qui correspondent au moins à trois journées de travail au sens de l’article 37 de l’arrêté royal. La cour y avait constaté que la réglementation ne donnait pas de définition de la « prestation artistique » et que son libellé était susceptible d’introduire une discrimination non justifiée entre les divers types d’activités artistiques, le critère ne recouvrant aucune réalité tangible.

Elle avait conclu que l’intéressé ayant accompli trois journées de travail pendant la période de référence, il remplissait les conditions.

Le pourvoi

L’ONEm s’est pourvu en cassation, pourvoi fondé sur les articles 114, §§ 1er à 5, ainsi que 116, § 5, alinéa 1er de l’arrêté royal (cette dernière disposition après sa modification par l’arrêté royal du 7 février 2014).

La décision de la Cour

La Cour rejette le pourvoi, reprenant le mécanisme de ces dispositions réglementaires.

Il est actuellement permis de déroger à la dégressivité des allocations pour une période de douze mois à l’expiration de la troisième phase de la première période d’indemnisation si le travailleur qui a effectué des activités artistiques prouve dans une période de référence de dix-huit mois précédant l’expiration de cette troisième phase au moins 156 journées de travail (au sens de l’article 37).

Cet avantage peut être accordé une nouvelle fois pour douze mois s’il est alors apporté la preuve que, pendant la période de référence de douze mois, il y a eu au moins trois prestations artistiques correspondant à au moins trois journées de travail (au sens de l’article 37).

La définition de l’activité artistique est donnée à l’article 27, 10° de l’arrêté royal, étant la création et l’interprétation d’œuvres artistiques dans le secteur de l’audiovisuel et des arts plastiques, de la musique, de l’écriture littéraire, du spectacle, de la scénographie et de la chorégraphie.

La Cour relève que le juge du fond a constaté que les conditions réglementaires étaient remplies, le demandeur ayant refusé cependant l’avantage au motif qu’il s’agissait non de trois mais d’une seule prestation artistique, qui correspondait à au moins trois journées de travail.

La Cour reprend également la constatation faite par la cour du travail, relative à la définition donnée par l’ONEm dans sa directive RIODOC 140424 du 22 septembre 2017 relative à l’interprétation de cette disposition. Pour l’ONEm, dès lors qu’un engagement pour trois concerts donne lieu à une seule déclaration immédiate de l’emploi, il y a une seule prestation artistique.

La cour du travail a conclu, exemples à l’appui, que chaque représentation doit être comptabilisée comme une prestation artistique quel que soit le nombre de déclarations immédiates d’emploi. Ces journées de travail ne peuvent en effet être mesurées objectivement autrement que comme constituant trois prestations artistiques correspondant à au moins trois journées de travail au sens de l’article 37.

Pour la Cour suprême, l’arrêt a fait une juste application de l’article 116, § 5, alinéa 4, de l’arrêté royal.

Le pourvoi est dès lors rejeté.

Intérêt de la décision

La question tranchée par la Cour porte sur l’interprétation de l’article 116, § 5 de l’arrêté royal organique après sa modification par l’arrêté royal du 7 février 2014.

Le libellé actuel de cette disposition autorise la prolongation du régime de non-dégressivité à la double condition que le travailleur prouve, pendant la période de référence, des prestations artistiques au nombre de trois au moins, celles-ci correspondant à trois journées de travail au moins au sens de l’article 37.

L’ONEm appliquait sa directive interne, selon laquelle la référence pour la définition de la prestation doit se faire par la référence à la Dimona.

La cour du travail avait soulevé les incohérences de cette interprétation, renvoyant notamment à la situation des artistes se produisant sur scène et percevant un seul cachet pour l’ensemble de la journée alors que tout le travail de préparation était effectué en amont. Il avait également renvoyé à la problématique de l’artiste plasticien et à celle du chanteur, qui aurait perçu un seul cachet pour trois concerts. Se posait ainsi notamment la question lorsque sont effectuées trois prestations consécutives d’un jour alors qu’un autre artiste engagé pour dix jours et rémunéré au forfait n’en aurait effectuée qu’une seule.

La cour du travail avait relevé que cette interprétation était source de discrimination et avait conclu que le critère à retenir est celui de la journée de travail.

C’est donc la prestation journalière qui est le critère.


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