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Discrimination syndicale et protection des représentants syndicaux contractuels dans le secteur public

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 14 octobre 2019, R.G. 17/1.884/A

Mis en ligne le jeudi 9 juillet 2020


Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), 14 octobre 2019, R.G. 17/1.884/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 14 octobre 2019, le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) admet le caractère discriminatoire du licenciement d’un agent contractuel dans le secteur public. Celui-ci étant par ailleurs délégué syndical, il est conclu à un constat d’inconstitutionnalité de l’arrêté royal du 28 septembre 1984 et à la réparation d’un préjudice moral évalué à 1 euro.

Les faits

Un ouvrier d’une intercommunale (active dans le secteur des déchets) est délégué syndical depuis sa désignation en 2015.

A l’époque, des mouvements ont lieu au sein de celle-ci, vu des demandes de revalorisation barémique. L’intéressé soutient les revendications du personnel. Celles-ci entraînent des mouvements de grève et, à l’initiative de l’employeur, une ordonnance est rendue sur la base d’une requête en extrême urgence par le Président du tribunal de première instance. Le délégué tombe alors en incapacité de travail et introduit une demande d’intervention psychosociale contre son supérieur hiérarchique mais non à du harcèlement..

Malgré l’avis contraire du Comité de concertation, il est licencié moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, au motif d’une rupture de confiance (étant que n’auraient pas été vérifiés correctement les indicateurs de serrage des roues de son camion, et ce avant son départ en collecte).

Après le licenciement, le conseiller en prévention remet son rapport. Dans celui-ci, il conclut à une violence au travail (lors d’une assemblée du personnel organisée par le supérieur hiérarchique).

Une procédure est introduite contre la société ainsi que contre le supérieur hiérarchique personnellement. L’Etat belge est mis à la cause par l’employeur.

La position des parties devant le tribunal

Pour le demandeur, il y a licenciement discriminatoire, le motif en étant ses activités syndicales, à savoir qu’aucun motif de licenciement ne peut être retenu contre lui et que d’autres travailleurs ayant participé aux événements en cause ont été moins gravement sanctionnés.

Pour l’employeur, le congé est survenu suite à des faits précis, sans lien avec le mandat syndical.

Le supérieur hiérarchique, à qui sont reprochés des faits de violence, plaide que le rapport ne retient pas de harcèlement moral au travail et qu’il ne pointe qu’un seul événement (une assemblée).

Quant à l’Etat belge, appelé à la cause (le demandeur faisant grief de ne pas avoir légiféré aux fins de conférer une protection contre le licenciement des délégués syndicaux dans le secteur public), il soutient la thèse de l’intercommunale pour ce qui est du licenciement. Sur la protection, il estime que les situations entre les secteurs privé et public ne sont pas comparables et – quand bien même elles le seraient – le tribunal serait sans pouvoir pour appliquer par analogie le régime en place dans le secteur privé.

La décision du tribunal

Le tribunal rappelle longuement le mécanisme de protection mis en place par la loi du 10 mai 2007. Il souligne, pour ce qui est des discriminations sur la base de la conviction syndicale, que ce motif est rarement rencontré en jurisprudence et, lorsqu’il l’est, que l’indemnité de 6 mois est accordée.

Il renvoie essentiellement à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 19 juin 2018 (C. trav. Bruxelles, 19 juin 2018, R.G. 2017/AB/448) et cite la contribution doctrinale de Sirine BEN AMAR (S. BEN AMAR, « Quel rôle la loi du 10 mai 2007 portant certaines formes de discrimination peut-elle jouer dans la protection des convictions syndicales dans le cadre des relations de travail dans le secteur privé en Belgique ? », www.terralaboris.be, article du 26 mai 2017).

Le tribunal examine dès lors les faits en cause. C’est à tort que l’employeur fait grief au demandeur d’avoir voulu rejeter la responsabilité de l’incident constaté sur le personnel du garage et retient que le seul motif établi consiste à ne pas avoir complété correctement sa feuille de route et qu’il s’agit d’un motif futile au vu des circonstances de la cause. Il conclut qu’il est douteux que ce seul fait soit le motif réel du congé et qu’au contraire, le demandeur avance toute une série d’indices permettant de présumer l’existence d’une discrimination.

Un test de comparaison de sa situation par rapport à celle d’autres chauffeurs qui ont commis des faits plus graves est effectué : certains de ces chauffeurs ont commis des dégâts à des véhicules ou à des personnes, voire un délit de fuite, et n’ont pas été sanctionnés.

Il souligne également que l’intéressé a soutenu deux revendications principales, la première étant une réévaluation barémique des ouvriers des parcs de recyclage par rapport aux ouvriers de la collecte et, en outre, la remise en cause de primes particulières aux responsables de service (dont son supérieur hiérarchique), prime annulée par l’autorité de tutelle suite à la dénonciation de celle-ci par les délégués syndicaux.

Le tribunal active dès lors la présomption de discrimination directe liée au mandat syndical et aux activités syndicales et constate que celle-ci n’est pas renversée. Il alloue en conséquence l’indemnité de 6 mois de rémunération.

Il doit, ensuite, trancher la demande d’indemnité pour licenciement abusif. Il rappelle à cet égard l’état du droit par rapport à la C.C.T. n° 109 et reprend l’enseignement de la Cour constitutionnelle du 30 juin 2016 (n° 101/2016), qui a donné lieu à des solutions divergentes en jurisprudence (une partie des décisions rendues considérant qu’il faut appliquer les règles du droit commun et allouer des dommages et intérêts en équité, l’autre partie s’inspirant par analogie de la C.C.T. n° 109 et allouant une indemnité calquée sur celle-ci). Il pointe particulièrement la position de la Cour du travail de Liège dans un arrêt du 28 novembre 2018 (C. trav. Liège, div. Neufchâteau, 28 novembre 2018, R.G. 2017/AU/53), qui opte pour le droit commun des obligations qui prohibe l’abus de droit. La cour applique par analogie la C.C.T. n° 109 d’une part pour apprécier le critère déterminant l’exercice excessif du droit de licencier en se référant aux motifs prévus ainsi qu’au comportement attendu de l’employeur diligent et prudent et, d’autre part, pour déterminer le dommage.

Il y a en l’espèce dépassement des limites normales du droit de licencier, le motif invoqué n’apparaissant pas comme le motif réel du licenciement. L’abus de droit est établi et, pour ce qui est du dommage, il existe également. Pour son évaluation, le tribunal s’inspire de la C.C.T. n° 109 et octroie une indemnité de 17 semaines.

Le tribunal rejette ensuite l’indemnité postulée à charge du supérieur hiérarchique, sa faute n’étant pas avérée.

Enfin, reste la question de la différence de traitement entre les délégués syndicaux du secteur privé et les délégués syndicaux contractuels du secteur public. Ce chef de demande conserve tout son intérêt, le motif du licenciement étant en lien avec les activités syndicales du demandeur.

Le tribunal rappelle la procédure de l’arrêté royal du 28 septembre 1984 portant exécution de la loi du 19 décembre 1974 (loi organisant les relations entre les autorités publiques et les syndicats des agents relevant de ces autorités). Il souligne que, dans le secteur public, la délégation syndicale ne donne qu’un avis sur le projet de licenciement, avis que l’employeur public est libre de ne pas suivre, à charge pour lui de motiver sa décision de licencier. En outre, l’arrêté royal du 28 septembre 1984 ne prévoit pas de sanction pécuniaire à charge de l’autorité publique en cas de licenciement irrégulier.

La protection dans le secteur public est dès lors bien moins grande, le tribunal soulignant qu’en cas de licenciement, le Conseil d’Etat se déclare incompétent et que le délégué ne peut revendiquer ni la protection de la loi du 19 mars 1991 ni celle de la C.C.T. n° 5. Il ne peut postuler que la réparation de l’abus de droit sur la base du droit commun et ce dommage sera fixé en équité. Renvoi est fait ici à la doctrine de Chloé DUMONT (C. DUMONT, « Les relations collectives de travail dans la fonction publique », Le droit du travail dans tous ses secteurs, C.U.P., 2008, Anthémis, p. 465). La différence de traitement est dès lors dûment constatée, le tribunal ajoutant que la question est d’autant plus interpellante qu’il est de plus en plus recouru à l’engagement de contractuels dans le secteur public.

Il conclut que les délégués syndicaux contractuels dans le public et les délégués syndicaux dans le privé constituent deux catégories de personnes comparables. Même si des différences subsistent (notamment au niveau de leur désignation), ils ont vocation à exercer les mêmes fonctions : revendications salariales, plan annuel, politique de santé et de bien-être au travail, etc. Les comités de concertation dans le public exercent les mêmes missions que le C.P.P.T. dans le privé.

La différence de traitement est en outre considérée en doctrine comme difficilement défendable (avec renvoi à R. JANVIER, Le droit social de la fonction publique, La Charte, 2015, p. 308). Celle-ci est dès lors injustifiée. Il y a faute dans le chef de l’Etat belge, qui n’a pas légiféré.

Le tribunal constate cependant que la violation du principe constitutionnel d’égalité par un arrêté royal n’a pas pour conséquence de rendre le juge compétent, en application de l’exception d’illégalité sur la base de l’article 159 de la Constitution, pour suppléer à la lacune réglementaire et, en l’espèce, étendre aux délégués syndicaux contractuels du secteur public les dispositions applicables au secteur privé (le tribunal renvoie ici à un arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre 2003, n° S.03.0065.N). Le juge ne peut se substituer au législateur si la lacune exige nécessairement l’instauration d’une nouvelle règle qui doit faire l’objet d’une réévaluation des intérêts sociaux par le législateur ou qui requiert une modification d’une ou plusieurs dispositions légales, le tribunal citant un arrêt de la Cour du travail de Mons du 9 avril 2019 (C. trav. Mons, 9 avril 2019, R.G. 2018/AM/125), qui reprend l’arrêt de la Cour de cassation du 3 novembre 2008 (Cass., 3 novembre 2008, n° S.07.0013.N), selon lequel il ne pouvait être remédié à une lacune de la loi du 10 avril 1971 par une extension du champ d’application de la loi à des personnes qui ne sont pas visées dans celui-ci.

Le tribunal fixe dès lors le dommage du demandeur à 1 euro symbolique au titre de réparation du préjudice moral.

Intérêt de la décision

Le jugement annoté a pointé la rareté des décisions rendues en matière de discrimination pour motif d’activités et d’opinion syndicales. Les éléments de la cause ont permis au tribunal de conclure en l’espèce à l’existence d’une telle discrimination. S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles, le tribunal applique la sanction de 6 mois.

L’intérêt de ce dossier ne se limite cependant pas à la nature discriminatoire du licenciement, puisque l’intéressé, en sa qualité de délégué contractuel, réclamait initialement à son ex-employeur et, ensuite, dans le cours de la procédure, directement à l’Etat belge des dommages et intérêts équivalents à deux années de rémunération.

Au terme de sa démonstration, le tribunal a conclu que, malgré la lacune constatée, le demandeur ne peut revendiquer un régime analogue à celui qui est prévu dans le secteur privé.

Le tribunal s’est positionné sur les conséquences d’un constat d’inconstitutionnalité sur les pouvoirs du juge.

L’on relèvera cependant que qu’il retient expressément que la lacune de l’Etat belge pour mettre en place un statut protecteur dans le secteur public est constitutive d’une faute. Ce constat ne débouche cependant pas sur un examen circonstancié du préjudice lié directement à celle-ci et sur les effets à donner à cette faute de l’Etat en conséquence.


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