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Récupération d’indu – retenues et termes et délais : un arrêt important de la Cour de cassation

Commentaire de Cass., 16 décembre 2019, n° S.19.0046.F

Mis en ligne le jeudi 25 juin 2020


Cour de cassation, 16 décembre 2019, n° S.19.0046.F

Terra Laboris

Dans un arrêt du 16 décembre 2019, la Cour de cassation a jugé que l’application légale par une institution de sécurité sociale des retenues prévues par l’article 1410 §4 du Code judiciaire interdit aux juridictions du travail d’accorder des délais de paiement à celui qui doit rembourser des prestations indûment payées.

Les faits de la cause

L’ONEm a procédé à des retenues sur les allocations de chômage de M. E.F. au bénéfice de l’U.N.M.S., titulaire d’une créance pour des sommes indûment payées. M.E.F. ne conteste pas cette dette et admet la légalité des retenues au regard de l’article 1410, §§ 4, 5 et 6, du Code judiciaire mais entend bénéficier de l’article 1244, alinéa 2, du Code civil, qui permet au juge d’accorder des termes et délais. Il invite donc la cour du travail à l’autoriser à se libérer de sa dette envers l’U.N.M.S. par des versements mensuels de 50 euros et à suspendre pendant le cours du plan d’apurement les retenues portant sur des montants plus importants.

Par un arrêt prononcé le 7 mai 2019, la cour du travail de Liège fait droit à cette demande.

La requête en cassation

L’ONEm s’est pourvu en cassation contre cet arrêt et a appelé l’U.N.M.S. en déclaration d’arrêt commun.

Le moyen unique de cassation invoque la violation des articles 1244 et 1292 du Code civil et de l’article 1410, § 4, du Code judiciaire.

L’ONEm expose (i) que le terme de grâce prévu par l’article 1244, alinéa 2, du Code civil ne peut, en vertu de l’article 1292 du même code, faire obstacle à la compensation légale, (ii) que l’article 1410, § 4, du Code judiciaire permet la récupération des prestations payées indûment par les organismes et services qu’il cite à concurrence de 10% par retenues soit sur les prestations ultérieures payées par l’organisme ou le service créancier de l’indu soit, si celui-ci ne doit plus de prestations et à sa demande, par retenues sur les prestations versées par les autres organismes ou services cités dans cette disposition, (iii) que la seule exception à la règle des 10% est celle prévue par le § 4, alinéa 6, de cet article 1410, étant que la récupération est suspendue ou limitée lorsque le débiteur prouve que la retenue a pour conséquence que ses ressources sont inférieures au montant du minimum de moyens d’existence auquel il aurait droit, ce qui n’est pas le cas en l’espèce dès lors qu’il est constant que les retenues de 10% sont légales, et (iv) que le mécanisme mis en place par cet article 1410, § 4, ne constitue pas une saisie mais une simple forme de compensation légale, ce qui implique l’application de l’article 1292 du Code civil précité.

L’arrêt de la Cour

La Cour casse l’arrêt attaqué et déclare son arrêt commun à l’U.N.M.S.

Après avoir rappelé le contenu de l’article 1410, § 4, la Cour indique que :

« Ce mode de récupération de l’indu est une forme de compensation légale.

Aux termes de l’article 1292 du Code civil, le terme de grâce n’est point un obstacle à la compensation.

Cette disposition exclut qu’un terme de grâce accordé par le juge en vertu de l’article 1244, alinéa 2, du Code civil puisse, en différant l’exigibilité d’une dette du débiteur, empêcher que s’opère jusqu’à due concurrence la compensation avec celle-ci d’une dette envers lui de son créancier.

En déterminant les conditions auxquelles l’indu est exigible, l’article 1410, § 4, du Code judiciaire interdit dès lors au juge saisi du recours ouvert au débiteur ou à ses ayants droit par l’article 1410, § 5, alinéas 1er, 2°, et 5, d’accorder à ceux-ci un terme de grâce suspendant au-delà de cette mesure la compensation prévue par la loi. »

Intérêt de la décision

La Cour de cassation a déjà rappelé que, en vertu de l’article 1290 du Code civil, la compensation légale s’opère de plein droit par la seule force de la loi, même à l’insu des débiteurs et que les deux dettes s’éteignent réciproquement à l’instant où elles se trouvent exister à la fois, jusqu’à concurrence de leurs quotités respectives. Elle en a déduit, par exemple, que la prescription ne pouvait plus atteindre l’une des créances entrées en compensation (cf. not. Cass., 24 avril 1997, Pas., 1997, p. 505).

Elle a également déjà indiqué que la récupération d’office de prestations versées indûment, par retenue en application de l’article 1410, § 4, alinéa 1er, du Code judiciaire de 10% de chaque prestation ultérieure fournie au débiteur de l’indu, est un paiement par voie de compensation légale (Cass., 7 mars 2016, n° S.14.0073.N, sur Juridat).

La décision commentée opère le lien avec le pouvoir que l’article 1244 du Code civil donne aux juges d’accorder des délais de paiement.

Sous la réserve de l’hypothèse visée à l’alinéa 6 de cet article 1410, § 4, qui a pour effet de rendre illégale tout ou partie de la retenue et qui n’était pas applicable en l’espèce, la cour du travail ne pouvait donc faire obstacle à la compensation qui s’est opérée légalement à concurrence de 10% des allocations de chômage de M. E.F., quote-part dont celui-ci n’était pas créancier et que l’ONEm avait l’obligation de verser à l’U.N.M.S., ce qui explique son intérêt à se pourvoir.

Lorsque le créancier de l’indu ne doit plus de prestations, l’article 1410, § 4, lui permet de demander à un autre organisme ou institution versant des prestations visées par cette disposition de procéder aux retenues de 10%. Bien qu’en règle, la compensation ne s’opère entre deux personnes que lorsqu’elles se trouvent débitrices l’une envers l’autre (cf. not. Cass., 2 octobre 2014, n° C.13.0284.F – sur Juridat), il y est fait exception par cet article 1410, § 4, qui permet au créancier de l’indu, l’U.N.M.S., de procéder aux retenues sur les allocations de chômage dues à son débiteur, M. E.F., par l’ONEm, qui avait donc intérêt non seulement à se pourvoir, mais également à appeler l’U.N.M.S. en déclaration d’arrêt commun.


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