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Conditions du séjour permanent au sens de la Directive n° 2004/38/CE

Commentaire de C.J.U.E., 22 janvier 2020 Aff. n° C-32/19 (AT c/ PENSIONSVERSICHERUNGSANSTALT)

Mis en ligne le jeudi 25 juin 2020


Cour de Justice de l’Union européenne, 22 janvier 2020 Aff. n° C-32/19 (AT c/ PENSIONSVERSICHERUNGSANSTALT)

Terra Laboris

Dans un arrêt du 22 janvier 2020, la Cour de Justice rappelle les conditions mises dans la Directive n° 2004/38/CE aux fins de l’obtention d’un droit de séjour permanent dans l’Etat d’accueil, conditions qui s’appliquent également à un travailleur qui, au moment où il cesse son activité, a atteint l’âge prévu par la législation de cet Etat d’accueil pour faire valoir ses droits à une pension de vieillesse.

Les faits

Un citoyen roumain séjourne en Autriche depuis août 2013. Il atteint l’âge légal de départ à la retraite en janvier 2015. Il prendra celle-ci le 31 août de cette année. Pendant la durée de son séjour sur le sol autrichien, il travaille dans un bureau de tabac à temps partiel (12 heures par semaine). Il poursuivra une activité à temps très partiel après sa mise à la pension, et ce afin de remplir les conditions d’octroi d’une attestation d’enregistrement en tant que travailleur, attestation qu’il obtient.

En février 2017, après la cessation de toute activité, il demande à bénéficier d’un supplément compensatoire prévu par la loi autrichienne, et ce aux fins de compléter sa pension de retraite. A l’appui de sa demande, il signale bénéficier du droit de séjour permanent prévu à l’article 17, § 1er, sous a), de la Directive n° 2004/38. Cette demande est rejetée, les autorités autrichiennes concluant au contraire au caractère illégal du séjour.

Saisi d’un recours formé par l’intéressé, le Landesgericht Graz (Tribunal régional de Graz) considère que les conditions de l’article 17, § 1er, sous a), de la Directive n° 2004/38 (exercice d’une activité dans l’Etat membre d’accueil pendant les 12 derniers mois au moins et résidence sans interruption dans cet Etat membre depuis 3 ans) trouvent à s’appliquer dans le cas où le travailleur cesse son activité parce qu’il a atteint l’âge légal de la retraite. Ce n’est, pour le tribunal, pas le cas du requérant.

Appel est interjeté infructueusement devant le Oberlandesgericht Graz (Tribunal régional supérieur de Graz) et l’Oberstergerichtshof (Cour suprême) est saisie. Celle-ci considère que le requérant, citoyen de l’Union, économiquement inactif, ne dispose pas de ressources suffisantes au sens de l’article 17, § 1er, sous a) et b), de la Directive et qu’il n’avait, à la date de référence, pas séjourné pendant une période assez longue (5 ans). Elle se pose cependant la question de savoir si les conditions de durée prévues à la Directive sont applicables aux travailleurs salariés ou non qui, au moment où ils cessent leur activité, ont déjà atteint l’âge légal de la retraite dans l’Etat d’accueil. Elle pose dès lors deux questions à la Cour de Justice.

Les questions préjudicielles

Les deux questions concernent l’article 17, § 1er, sous a), de la Directive n° 2004/38 :

  • Celui-ci doit-il être interprété en ce sens que, pour acquérir un droit de séjour permanent avant l’écoulement de la période de 5 ans, les travailleurs qui, au moment où ils cessent leur activité, ont atteint l’âge prévu pour faire valoir leur droit à une pension de vieillesse, doivent avoir exercé leur activité pendant les 12 derniers mois au moins et résider dans l’Etat sans interruption depuis plus de 3 ans ?
  • En cas de réponse négative à la question ci-dessus, ces travailleurs peuvent-ils prétendre au droit de séjour permanent prévu à la disposition (première alternative) lorsqu’ils commencent une activité dans un autre Etat membre à un moment où il est prévisible qu’ils ne pourront exercer celle-ci que pendant une période relativement courte avant l’âge de la retraite et qu’ils seront, en raison de leurs faibles revenus, dépendants de l’aide sociale de l’Etat d’accueil après la cessation de cette activité ?

La décision de la Cour

La Cour examine longuement la portée de l’article 17, § 1er, sous a), de la Directive.

Son libellé vise, aux fins de la reconnaissance d’un droit de séjour permanent, deux circonstances concernant le moment où le travailleur (salarié ou non) cesse son activité : (i) celle dans laquelle il a atteint l’âge prévu pour faire valoir ses droits à une pension de vieillesse et (ii) celle où cette cessation d’activité fait suite à une mise à la retraite anticipée. Les deux conditions (période d’exercice de l’activité et durée de la résidence) sont dès lors requises dans l’hypothèse où le travailleur met un terme à son activité pour faire valoir ses droits à une pension de vieillesse.

Cette interprétation du texte (le juge de renvoi s’étant interrogé sur des problèmes de syntaxe) est corroborée par l’économie générale de la Directive. Celle-ci accorde certains avantages spécifiques aux citoyens de l’Union exerçant une activité salariée (ou non) ainsi qu’aux membres de leur famille, pouvant leur permettre d’acquérir un droit de séjour permanent avant d’avoir résidé 5 ans dans l’Etat membre d’accueil. Cette disposition est issue du Règlement n° 1251/70 (une disposition similaire existant dans la Directive n° 75/34 pour les travailleurs non-salariés).

La Cour constate encore que la Directive n° 2004/38 a élargi les hypothèses visées aux bénéficiaires d’une retraite anticipée. Cependant, cette extension n’implique pas que l’on ait entendu affranchir les autres travailleurs des conditions posées (par les Directives n° 1251/70 ou 75/34) en ce qui les concerne.

La Cour souligne encore que la Directive n° 2004/38 a prévu un système graduel en ce qui concerne le droit de séjour dans l’Etat membre d’accueil, qui aboutit au droit de séjour permanent.

Pour les séjours allant jusqu’à 3 mois, les conditions ou formalités de séjour sont limitées à l’exigence d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité (article 6), et ce droit est maintenu (article 14, § 1er) tant que le citoyen et les membres de sa famille ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’Etat membre d’accueil.

Pour la durée de séjour de plus de 3 mois, les conditions sont prévues à l’article 17, § 1er. L’article 14, § 2, prévoit par ailleurs que le droit n’est maintenu que pour autant qu’il soit satisfait à ces conditions. Celles-ci visent notamment à éviter que les personnes ne deviennent une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale.

Enfin, après une période de 5 ans, le droit de séjour permanent est acquis (la durée de 5 ans visant le séjour légal), le droit n’étant plus soumis aux conditions précédentes. Ceci vise à constituer un véritable moyen d’intégration dans la société de l’Etat en cause.

La Cour souligne encore que l’article 17, § 1er, a), conformément à son libellé, a un caractère dérogatoire par rapport à l’article 16 de la Directive qui vise le droit de séjour permanent. La disposition en cause s’insère dans le système graduel instauré par la Directive et elle y constitue, en ce qui concerne l’obtention d’un droit de séjour permanent avant l’écoulement d’une période interrompue de 5 ans, un régime plus favorable au bénéfice de cette catégorie de citoyens. S’agissant d’une disposition dérogatoire, elle doit faire l’objet d’une interprétation stricte (la Cour renvoyant par analogie à son arrêt Zh. et O. du 11 juin 2015, Aff. n° C-554/13). Interpréter la disposition en cause en ce sens que le seul fait pour un travailleur d’avoir atteint, au moment où il cesse son activité, l’âge prévu pour prendre sa pension de retraite suffit à lui offrir le droit à un séjour permanent et, sans autres exigences, reviendrait à méconnaître ce système graduel.

Ceci irait à l’encontre des objectifs de la Directive. Le droit de séjour permanent est en effet un élément clé pour promouvoir la cohésion sociale et renforcer le sentiment de citoyenneté de l’Union, de sorte que le législateur a subordonné l’obtention de ce droit à l’intégration du citoyen dans l’Etat membre d’accueil. L’intégration au sens de la Directive est fondée à la fois sur des facteurs spatiaux et temporels mais également qualitatifs, relatifs au degré d’intégration. Le droit de séjour permanent ne peut dès lors être ouvert au travailleur qui a atteint l’âge prévu pour sa pension de vieillesse et a cessé son activité que si son intégration dans l’Etat d’accueil peut être attestée au moyen des conditions visées à la disposition.

La Cour répond dès lors à la première question par l’affirmative et, de ce fait, estime ne pas devoir aborder la seconde.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, où elle insiste sur le caractère graduel du processus d’intégration, la Cour de Justice renvoie régulièrement à son arrêt du 17 avril 2018 (C.J.U.E., Grande Chambre, 17 avril 2018, Aff. n° C-316/16 et C-424/16, B c/ LAND BADEN-WÜRTTEMBERG et SECRETARY OF STATE FOR THE HOME DEPARTMENT c/ VOMERO), arrêt rendu à propos de l’article 28, § 3, sous a), de la Directive n° 2004/38/CE. Il s’agissait d’examiner les conditions du bénéfice de la protection contre l’éloignement du territoire eu égard à l’exigence d’un droit de séjour permanent au sens de l’article 16 (et de l’article 28, § 2) de la Directive. Cet arrêt a essentiellement été rendu dans le cadre de l’article 28, § 3, sous a), mais son enseignement s’étend, ainsi que la Cour le rappelle à de multiples reprises dans cette décision, à l’article 17, § 1er.

L’on notera que celui-ci, essentiellement consacré aux conditions du droit de séjour de plus de 3 mois, pose comme condition essentielle la question des ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’Etat membre d’accueil.


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