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Indu en matière de pension : application de l’article 17, alinéa 2, de la Charte de l’assuré social

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 8 octobre 2019, R.G. 18/3.307/A

Mis en ligne le vendredi 12 juin 2020


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 8 octobre 2019, R.G. 18/3.307/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 8 octobre 2019, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, saisi d’une question d’indu en matière de cumul de pensions (survie et retraite), renvoie à l’article 17, alinéa 2, de la Charte de l’assuré social, dans la mesure où les conditions de cette disposition pour permettre l’absence de rétroactivité de la décision sont réunies, même si l’indu est dûment constaté.

Les faits

Une bénéficiaire d’une pension de survie dans le régime des travailleurs salariés (la carrière du mari étant de 24/39e) cumule celle-ci avec une autre pension de survie, celle-ci à charge de l’O.S.S.O.M. (actuellement O.N.S.S.). Pour sa part, ayant atteint l’âge de la pension en août 2012, elle bénéficie depuis le 1er septembre d’une pension de retraite dans le secteur public. Elle a fait valoir, lors de sa demande, le fait qu’elle bénéficiait d’une pension de survie O.S.S.O.M. Il n’a alors pas été tenu compte, lors de la révision de la pension de survie du secteur privé, de la pension O.S.S.O.M. La pension de retraite du secteur public n’influençant pas le droit, la pension de survie est restée inchangée dans sa totalité.

En 2018, la pension de survie O.S.S.O.M. aurait été « découverte » et les droits de l’intéressée revus. Un indu a été notifié.

Celle-ci a introduit un recours devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, contestant la révision d’office et la réduction de la pension, ainsi que le remboursement d’un indu.

A l’audience, l’intéressée a abandonné la question du nouveau calcul de la pension de survie, mais a maintenu sa contestation en ce qui concerne le remboursement de l’indu, et ce sur la base de l’article 17, alinéa 2, de la Charte de l’assuré social.

Pour le SPF Pensions, qui a déposé une note de son service juridique, la décision est adéquate sur le plan de la carrière professionnelle du conjoint défunt, le plafond du cumul retraite-survie dans le régime des travailleurs salariés ne tenant pas compte du montant de l’avantage de la pension de survie « autre régime », mais de la fraction qui en exprime l’importance. Il s’agit par ailleurs d’une législation d’ordre public. Le Service examine les dispositions pertinentes de l’arrêté royal du 24 octobre 1967 ainsi que de celui du 21 décembre 1967. Appliquant les règles ainsi dégagées à la situation de l’intéressée, il y a lieu à réduction au montant calculé.

Pour ce qui est de la prescription, le Service considère avoir fait une juste application de l’article 21, § 3, alinéa 1er, de la loi du 13 juin 1966, qui énonce que l’action en répétition des prestations payées indûment se prescrit par six mois à compter de la date à laquelle le paiement est intervenu. Le montant de l’indu n’est pas contesté et le Service signale effectuer une retenue mensuelle de 10%. Le recours devant le tribunal du travail n’est pas suspensif de l’exécution de la décision, en l’absence d’une demande de renonciation formulée auprès du Conseil pour le paiement des prestations du Service fédéral des Pensions.

Il ne conclut pas sur l’application de la Charte.

La décision du tribunal

Le tribunal ne peut que constater qu’il a été fait une correcte application des règles anti-cumul et il entérine le nouveau calcul. Cependant, il se tourne, pour ce qui est de la restitution de l’indu, vers les garanties de la Charte de l’assuré social.

Il y a en l’espèce une décision administrative entachée d’une erreur devant faire l’objet d’une nouvelle décision. Celle-ci est intervenue correctement et l’intéressée n’était pas censée savoir ou devoir savoir qu’elle n’avait pas ou plus droit à la pension de survie complète.

En conséquence, la décision prise ne pouvait rétroagir.

Intérêt de la décision

Dans ce jugement, le tribunal du travail écarte implicitement l’application de l’article 21, § 3, alinéa 1er, de la loi du 13 juin 1966, qui est la règle générale en matière de prescription en cas d’indu (ordinaire, c’est-à-dire en-dehors de l’hypothèse de l’absence de bonne foi ou de manœuvres frauduleuses).

Il adopte une méthode d’analyse actuellement largement répandue, suite à l’adoption de la Charte et à ses effets sur les droits d’un assuré social à qui un indu est réclamé. La Charte ne contient, en effet, pas de dispositions de droit matériel dans les secteurs de la sécurité sociale, mais elle renferme des garanties d’application transversale, qui font obstacle à la récupération d’un indu dans des conditions déterminées.

C’est son article 17, alinéa 2, qui règle la question et il est très régulièrement invoqué par les plaideurs aux fins de tenter de faire échec à la rétroactivité d’une décision administrative de révision d’une précédente décision d’octroi. Rappelons que deux conditions sont mises à l’application de l’article 17, alinéa 2, étant qu’il doit y avoir une erreur de l’institution de sécurité sociale (et de celle-ci uniquement) et une impossibilité pour l’assuré social de savoir qu’il avait perçu des prestations auxquelles il n’avait pas droit (ou d’avoir dû savoir qu’il ne pouvait pas percevoir celles-ci).

Dans divers arrêts, il a été estimé que la deuxième condition est remplie en cas d’erreur de calcul entraînant des erreurs minimes. Ainsi, dans un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 26 avril 2017 (C. trav. Bruxelles, 26 avril 2017, R.G. 2014/AB/386), celle-ci a retenu que, s’agissant d’une question A.M.I., les indemnités variant de manière assez habituelle en fonction du nombre de jours indemnisés ou des indexations, l’on ne peut attendre, même d’un assuré social normalement prudent et diligent, qu’il décèle une différence de cet ordre et soupçonne qu’elle soit due à la persistance d’une erreur de calcul.

De même, en cas de changement de mutualité, la même cour a admis, dans un arrêt quasi-concomitant (C. trav. Bruxelles, 6 avril 2017, R.G. 2016/AB/225 – NL), que l’on ne peut attendre de l’assuré social qu’il analyse les états de paiement reçus de l’organisme assureur auquel il est nouvellement affilié et, à défaut pour celui-ci d’avoir reçu un document détaillant clairement la manière dont ses indemnités sont calculées, qu’il puisse lui-même aboutir au constat d’un indu sur la seule base des codes mentionnés sur ceux-ci.

Cette jurisprudence est constante, pour les erreurs minimes et, en pratique, impossibles à déceler par le bénéficiaire des prestations (voir encore C. trav. Bruxelles, 28 octobre 2015, R.G. 2013/AB/1.165 et C. trav. Bruxelles, 13 février 2015, R.G. 2013/AB/1.115).

Relevons que, pour ce qui est de l’erreur de l’institution de sécurité sociale, cette erreur doit être imputable à celle-ci directement et uniquement. Il a, à cet égard, été jugé par le Tribunal du travail du Hainaut (Trib. trav. Hainaut, div. Mons, 7 mars 2018, R.G. 14/394/A et 14/953/A) que l’article 17, alinéa 2, ne trouve pas à s’appliquer au cas du conjoint ayant omis de faire une déclaration qui lui incombait, celui-ci ne pouvant se défendre en faisant valoir que l’administration était « de toute manière » indirectement au courant de sa situation d’une autre façon que par le biais d’une déclaration spécifique. En l’espèce, l’organisme assureur avait été informé par le biais du dossier administratif d’un de ses affiliés du fait qu’il percevait une rente à la suite d’un accident du travail. Le tribunal a considéré que cette circonstance ne dispensait pas la personne avec laquelle il cohabitait de l’informer à son tour sur sa situation et sur les revenus de son conjoint, au moyen des formulaires ad hoc.


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