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Restitution d’allocations de chômage : brut ou net

Commentaire de Cass., 2 décembre 2019, n° S.19.0038.F

Mis en ligne le vendredi 12 juin 2020


Cour de cassation, 2 décembre 2019, n° S.19.0038.F

Terra Laboris

Dans un arrêt du 2 décembre 2019, la Cour de cassation a tranché : la restitution d’allocations de chômage indûment perçues ne se limite pas à la partie nette des allocations payées mais s’étend au montant des précomptes professionnels.

Faits de la cause

Dans la mesure où la seule question tranchée par la Cour de cassation est si la récupération d’allocations de chômage indûment perçues peut inclure les précomptes professionnels, l’exposé des faits et antécédents de la cause sera bref.

L’ONEm a pris, le 7 juin 2012, une décision excluant M. C.J. des allocations de chômage à partir du 14 juillet 2003 et ordonnant la récupération des allocations de chômage payées dans le délai de prescription de trois ans, au motif que M. C.J. était inscrit depuis le 21 mai 2004 à la banque carrefour des travailleurs indépendants, étant devenu à cette date « gérant » d’une société. Une sanction administrative d’exclusion pour 26 semaines a également été prononcée. Le calcul de l’indu a été fixé à 41.682,30 euros, soit les montants bruts des allocations de chômage payées entre le 1er avril 2009 et le 10 juin 2012.

Il s’est ultérieurement révélé que M. C.J. n’était pas gérant mais administrateur de cette société et aussi qu’il était gérant d’une autre, aucune déclaration n’ayant été faite à l’ONEm au sujet de ces deux qualités.

Les rétroactes

M. C.J. a introduit contre la décision de l’ONEm un recours recevable. Le tribunal a décidé qu’il n’était pas saisi de l’activité de gérant de la seconde société, dont il n’avait pas été fait mention dans l’enquête de l’ONEm et dans sa décision ; il a ordonné la réouverture des débats pour que les parties s’expliquent sur la compatibilité entre la qualité d’administrateur de la première société et le bénéfice des allocations de chômage.

L’ONEm a interjeté appel de cette décision, faisant grief au tribunal d’avoir refusé d’examiner le dossier sous l’angle de la gérance de la seconde société.

M. C.J. demandait, (i) à titre principal, l’annulation de la décision, (ii) à titre subsidiaire l’annulation de la sanction administrative et la limitation de la récupération de l’indu aux 150 derniers jours d’indemnisation et, (iii) à titre encore plus subsidiaire, la limitation de la récupération au montant net des allocations.

Le ministère public a, sur la question si la récupération porte sur le montant brut, adopté la position de l’ONEm et invité la cour du travail à répondre par l’affirmative.

L’arrêt de la cour du travail

L’arrêt soumis à la censure de la Cour de cassation, prononcé le 15 mars 2019 par la chambre 2 E de la cour du travail de Liège, division Liège, (RG 2017/AL/707) :

  • déclare l’appel recevable et partiellement fondé ; dit pour droit que les mandats d’administrateur et de gérant détenus à titre gratuit par M. C.J. dans deux sociétés commerciales sont incompatibles avec les allocations de chômage qu’il a perçues durant la période litigieuse qui prend effet le 21 mai 2004 ;
  • dit pour droit qu’il y a lieu, vu la démonstration de la bonne foi de l’intéressé, de limiter la récupération des allocations qu’il a indûment perçues aux 150 derniers jours d’indemnisation ;
  • dit pour droit que cette récupération doit être effectuée sur le montant net desdites allocations indues ; et enfin
  • réduit à 13 semaines à compter du 11 juin 2012 la durée de l’exclusion infligée à M. C.J. à titre de sanction.

L’arrêt attaqué se fonde sur un arrêt de la cour du travail de Bruxelles du 29 septembre 2010 rendu dans un litige O.N.P. (8e chambre, R.G. 2007/AB/49.715, sur Juridat), dont il relève qu’il développe sur cette question une thèse à laquelle la présente cour se rallie, en ce qu’elle part de la prémisse que le versement du précompte professionnel est une obligation légale qui découle du Code des impôts sur le revenu, en ses articles 270, 1°, et 220, et qui pèse non seulement sur l’Etat, mais aussi sur les personnes morales ayant leur siège social en Belgique, tel l’O.N.P.

L’arrêt attaqué précise encore que l’arrêt de la cour du travail de Bruxelles se fonde également sur la jurisprudence de la Cour de cassation faisant référence à la situation qui se présente pour les débiteurs de rémunération que sont les employeurs, qu’il applique par analogie à l’O.N.P. en soulignant que celui-ci « s’acquitte à l’égard du fisc d’une dette qui lui est propre » et que « l’assuré social n’a pas le droit d’exiger que le précompte professionnel lui soit payé. »

Cet arrêt du 29 septembre 2010 conclut que : « dans la mesure où l’O.N.P. s’acquitte à l’égard du fisc d’une dette qui lui est propre et sur laquelle l’assuré social n’a aucun droit, c’est auprès du fisc qu’il incombe à l’ONP de poursuivre le recouvrement du précompte payé indu ».

L’arrêt commenté

La Cour casse l’arrêt attaqué en relevant que :

« En vertu de l’article 249 du Code des impôts sur les revenus 1992, l’impôt est perçu par voie de précomptes dans la mesure où il se rapporte aux revenus professionnels.

L’article 273, 1°, de ce code dispose que le précompte professionnel est exigible en raison du paiement ou de l’attribution des rémunérations imposables.

En vertu de l’article 270, 1°, du même code, sont redevables du précompte professionnel ceux qui, à titre de débiteur, paient ou attribuent en Belgique des rémunérations, pensions, rentes et allocations.

Suivant l’article 272, alinéa 1er, 1°, du même code, sauf convention contraire, ces redevables ont le droit de retenir le précompte sur ces revenus imposables.

Aux termes de l’article 296, le montant des précomptes professionnels perçus est imputé sur l’impôt.

En vertu de l’article 304, § 2, alinéa 1er, dans le chef des contribuables soumis à l’impôt des personnes physiques, l’excédent éventuel des précomptes professionnels est imputé, s’il y a lieu, sur les taxes additionnelles à l’impôt des personnes physiques et le surplus est restitué pour autant qu’il atteigne 2,50 euros.

Il ressort de ces dispositions que les précomptes professionnels constituent une partie des allocations dues au chômeur, retenue et versée à l’administration fiscale par l’Office national de l’emploi à titre d’avances à valoir sur l’impôt des personnes physiques à établir ultérieurement à charge du chômeur, dont le surplus doit être restitué à ce dernier.

Il s’ensuit que, lorsqu’un chômeur est tenu, en application de l’article 169 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, de restituer des allocations perçues indûment, les restitutions s’étendent non seulement à la partie nette des allocations mais également au montant des précomptes professionnels ».

L’arrêt attaqué viole donc ces dispositions.

Intérêt de la décision

L’intérêt de la décision est de refaire une mise au point sur une question qui reste, comme le révèle l’arrêt cassé, controversée.

La Cour suprême avait déjà statué dans le même sens que l’arrêt commenté par son arrêt du 14 octobre 2010 (n° C.08.0451.F, sur les sites Jura et Juridat, avec les conclusions de l’avocat général WERQUIN).

En l’espèce, le litige portait sur la position administrative d’une enseignante et, en fonction de cette position, d’un éventuel décompte du remboursement à la Communauté française de subventions-traitements.

La cour d’appel de Bruxelles, dans un arrêt du 9 novembre 2006, avait décidé que la position de l’enseignante était celle de la disponibilité et condamné celle-ci à rembourser le montant des subventions-traitements avant déduction des charges sociales et fiscales. Le cinquième moyen du pourvoi critiquait l’inclusion des charges fiscales et sociales dans le décompte.

Ce moyen est rejeté par la Cour de cassation par une motivation similaire à celle de l’arrêt commenté. Il est, par contre, accueilli en ce que l’arrêt attaqué inclut dans le décompte de l’indu les cotisations de sécurité sociale du travailleur, alors que, en vertu des articles 5, 9, 23, § 1er, 26, alinéa 1er, et 42, alinéas 1er et 2, de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, « l’action en répétition des cotisations de sécurité sociale payées indûment par l’employeur n’appartient qu’à lui et ne peut être dirigée que contre l’Office national de sécurité sociale et (…) que le travailleur ne dispose d’aucun droit sur les cotisations payées par l’employeur à cet office ».

Or, qu’il s’agisse de précomptes professionnels ou de cotisations de sécurité sociale, les retenues sont opérées par l’employeur en vertu de ses obligations légales et le travailleur n’a aucun droit à ce que ces parties de sa rémunération brute lui soient versées. A notre estime, ce qui justifie la différence de solution quant au remboursement de l’indu n’est donc pas seulement l’absence de droit du travailleur mais surtout la circonstance que les précomptes professionnels ainsi retenus tombent dans ce que l’on pourrait qualifier de « compte » du travailleur à l’administration des contributions directes, qui va l’imputer sur ses impôts en ce compris les taxes additionnelles et lui rembourser le surplus éventuel.

Concernant le droit du travailleur aux intérêts de retard en cas de non-paiement de la rémunération au moment imposé par la loi, la jurisprudence de la Cour de cassation était, avant l’entrée en vigueur de l’article 82 de la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d’entreprise, que le travailleur n’avait pas droit à ces intérêts de retard sur cette partie de la rémunération parce que l’article 10 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération entendait comme rémunération uniquement celle que le travailleur pouvait réclamer à l’employeur (cf. not. Cass. 17 novembre 1986, Pas., 1987 I 337 et Chron.D.S., 1987, p. 91). L’absence de droit du travailleur de réclamer cette partie de sa rémunération est donc le seul critère et il n’y a pas lieu de distinguer les retenues selon qu’elles sont opérées au titre de précompte ou de cotisations de sécurité sociale.


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