Terralaboris asbl

Un arrêt important en matière de cumul de pensions : Quel est le critère à retenir lorsque, plusieurs pensions de retraite étant perçues, l’administration entend appliquer les règles de cumul prévues par la loi du 5 avril 1978 des réformes économiques et budgétaires ?

Commentaire de C. trav. Mons, 24 février 2005 et 9 mars 2006, R.G. 18.470

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du Travail de Mons, 24 février 2005 et 9 mars 2006, R.G. 18.470

TERRA LABORIS ASBL – Mireille JOURDAN

Dans les deux arrêts annotés, relatifs à la même affaire, la cour du travail de Mons dégage les principes à retenir pour faire rentrer un organisme dans le champ d’application de la loi.

Les faits

Le litige concerne un cumul de pensions de retraite, étant d’une part une pension de retraite à charge de l’ONP, une pension de retraite à charge du Trésor public (prestations au service d’une université libre) et une pension de retraite d’enseignement dans le réseau officiel subventionné. L’intéressé bénéficiait en outre, suite à son activité salariée, d’une assurance de groupe, qui lui permit lors de son admission à la pension de percevoir un capital très élevé.

Près de six ans après qu’il fut admis à la pension, le S.P.F. Finances - administration des pensions – fit part à l’ONP de sa décision de suspendre à dater de sa prise de cours le bénéfice de la pension à charge du Trésor public. La décision était prise en application de l’article 40 de la loi du 5 août 1978 de réformes économiques et budgétaires.

Pour le SPF Finances, l’I.R.E. (Institut National des Radio Eléments), auprès duquel l’intéressé avait exercé une activité salariée, est un organisme visé à l’article 38 2° g de ladite loi. L’administration considérait en conséquence qu’il y avait lieu d’appliquer le plafond légal et que, pour le calcul de celui-ci, il fallait tenir compte du capital d’assurance de groupe liquidé au moment de la prise de cours de la pension.

Aussitôt, l’ONP notifia à l’intéressé sa décision de supprimer, mais sans rétroactivité, les « avantages sociaux » alloués, et ce en application du même article 40 de la loi du 5 août 1978.

La procédure connut divers avatars, une première décision du tribunal du travail ayant annulé la décision de l’ONP au motif de l’incompétence de l’auteur de l’acte et la cour du travail de Mons décidant en appel que la décision ne satisfaisait pas à l’exigence de motivation formelle.

L’ONP notifia dès lors une nouvelle décision, quatre ans plus tard, confirmant la suspension du paiement des prestations avec effet à la même date que la première décision.

La décision du tribunal

Suite à la seconde décision, l’intéressé introduisit un nouveau recours.
Par jugement du 9 janvier 2003, le tribunal du travail de Charleroi annula la seconde décision de l’ONP pour défaut de motivation formelle et dit pour droit que l’intéressé devait être réintégré dans ses droits à la pension de retraite. Le tribunal considéra en effet que l’ONP ne motivait pas l’application de l’article 38 de la loi à l’employeur de l’intéressé.

La position des parties en appel

Après qu’un premier arrêt fut rendu le 11 mars 2004, confirmant le jugement en ce qu’il avait considéré que la seconde décision de l’ONP ne répondait pas à l’exigence de motivation formelle prévue par la loi du 29 juillet 1991, les parties durent s’expliquer sur le fond du litige. La cour avait en effet réformé le jugement a quo en ce que, après avoir annulé la décision querellée, le premier juge eut dû se prononcer sur le droit à la pension de retraite. La cour s’estimait saisie du fond du litige par l’effet dévolutif de l’appel.

Sur la question du cumul, l’ONP considérait que, quelle que soit la nature juridique de l’I.R.E., les règles de limitation devaient en tout état de cause être appliquées, dès lors que l’intéressé percevait une pension visée par l’article 38 (en l’occurrence la pension perçue du chef de l’activité d’enseignant) et une autre pension, qu’elle soit ou non visée par cette disposition. L’ONP faisait valoir à cet égard que la création de l’I.R.E. n’était pas le fait de particuliers mais bien d’une initiative publique.

En outre, par « autres avantages tenant lieu de pension » repris à l’article 40, il estimait qu’il fallait tenir compte de l’assurance de groupe.
L’intimé relevait, quant à lui, sur la nature de l’I.R.E., que seules les organismes créés sur base d’une habilitation légale expresse sont soumis à un régime spécifique de droit public, ce qui n’était pas démontré en l’espèce.

La décision de la cour dans son arrêt du 24 février 2005

La cour a rappelé la ratio legis de l’article 40 de la loi du 5 août 1978 de réformes économiques et budgétaires, relatif au cumul de plusieurs pensions de retraite (l’article 40 prévoyant un plafond pour l’application duquel entrent en ligne de compte les pensions, compléments de pension, rentes, allocations, et autres avantages tenant lieu de pension de retraite et de survie). Cette législation a été adoptée dans le cadre d’une série de réformes de structure et de mesures d’assainissement du budget et de réorientation des dépenses publiques, dans un souci de justice sociale, d’équité et d’harmonisation.

Ces mesures ne visent pas uniquement les pensions de retraite et de survie octroyées en raison de régimes de pension propres au secteur public mais également toutes les pensions accordées aux membres du personnel occupés dans un organisme public, au sens le plus large du terme.

En ce qui concerne la notion de « autres avantages tenant lieu de pension », la cour considère que l’article 40 ne peut être dissocié de l’article 38 qui définit son champ d’application, de telle sorte qu’il n’y a lieu de tenir compte que des compléments de pension ou autres avantages tenant lieu de pension relatifs aux activités exercées dans un organisme public. En conséquence, les règles de limitation de cumul ne peuvent être appliquées que si l’I.R.E. entre dans le champ d’application de la loi.

Sur le champ d’application lui-même, la cour relève que le critère adopté par le législateur est celui de la création de l’organisme par l’Etat, les provinces ou les communes. En l’espèce, l’I.R.E. a été constituée sous forme d’établissement d’utilité publique (loi du 27 juillet 1921). Ce critère n’est pas à lui seul déterminant, puisque l’article 38 de la loi vise les organismes créés par l’Etat, les provinces et les communes dans un but d’utilité publique, quelle que soit la forme juridique sous laquelle ils ont été institués.

La cour analyse les statuts, ainsi que le mode de fonctionnement de l’Institut et considère qu’il apparaît que non seulement il n’aurait pas été créé à l’initiative de particuliers mais également que, dès l’origine, l’on pouvait constater une présence prépondérante du gouvernement ainsi qu’un contrôle et une surveillance renforcée par rapport aux dispositions de la loi du 27 juin 1921.

Sur l’argument de l’intimé relatif à l’habilitation légale expresse, la cour relève les conditions pour qu’il y ait établissement public et ordonne la réouverture des débats sur cette question.

La décision de la cour dans son arrêt du 9 mars 2006

Après réouverture des débats, la cour refait l’historique de la création de l’Institut, initialement établissement d’utilité publique, soit personne morale de droit privé créée en vue de la réalisation d’une œuvre d’intérêt général. Reprenant, par ailleurs, les prérogatives des personnes morales de droit public, elle conclut qu’en l’absence d’habilitation légale expresse d’autorisation donnée par une loi au pouvoir exécutif à cet effet il ne peut y avoir eu création d’une personne morale de droit public par les pouvoirs publics. Il ne faut pas confondre les notions de « initiative » et « création ».

La cour détache, en outre, un nombre d’indices confortant le caractère privé de l’Institut, dont la reconnaissance comme entreprise en difficulté, l’imposition à l’impôt des sociétés, l’application de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires, l’application de la loi du 10 avril 1971 en ce qui concerne les accidents du travail dans le secteur privé, ... Quelles que soient les interventions du législatif ou du pouvoir réglementaire en vue de resserrer les contrôles et les modes de subvention, il ne résulte pas, pour la cour, de ces textes légaux qu’un nouvel organisme qui serait de droit public aurait été créé.

En conséquence, la cour décide qu’il n’y a pas lieu à appliquer les règles de limitation de cumul inscrites à l’article 40.

Intérêt de la décision

Le litige soumis à la cour du travail de Mons est intéressant à plus d’un titre, étant d’une part qu’il rappelle le mécanisme mis en œuvre par la loi du 5 août 1978 des réformes économiques et budgétaires, afin de franchir une étape dans l’harmonisation des pensions et la limitation des cumuls.

Par ailleurs, il trace la limite entre les organismes à considérer comme des personnes morales de droit public soumises à ce texte légal et les institutions et organismes qui, s’ils ont une mission d’intérêt général et sont subventionnés et contrôlés par l’Etat, doivent être exclus de ce texte, vu l’absence d’habilitation légale expresse ou d’autorisation donnée par la loi au pouvoir exécutif pour les créer.


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