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Règlements européens : notion de prestations de vieillesse et de prestations constituant un avantage social

Commentaire de C.J.U.E., 18 décembre 2019, Aff. n° C-447/18 (UB c/ GENERÁLNY RIADITEĽ SOCIÁLNEJ POISŤOVNE BRATISLAVA)

Mis en ligne le vendredi 29 mai 2020


Cour de Justice de l’Union européenne, 18 décembre 2019, Aff. n° C-447/18 (UB c/ GENERÁLNY RIADITEĽ SOCIÁLNEJ POISŤOVNE BRATISLAVA)

Terra Laboris

Dans un arrêt du 18 décembre 2019, la Cour de Justice de l’Union européenne, saisie d’une question relative à une allocation slovaque récompensant les (anciens) sportifs de très haut niveau, conclut qu’il ne s’agit pas d’une prestation de vieillesse mais d’un avantage social, eu égard à la jurisprudence qu’elle a développée dans divers arrêts sur cette notion spécifique visée à l’article 7, § 2, du Règlement n° 492/2011.

Les faits

Un ressortissant tchèque ayant sa résidence depuis plus de 50 ans sur le territoire, qui est aujourd’hui celui de la Slovaquie, a eu une carrière de sportif de haut niveau (hockey sur glace) en tant que membre de l’équipe nationale de la République socialiste tchécoslovaque.

Lors de la dissolution de celle-ci, le 31 décembre 1992, il a opté pour la nationalité tchèque, tout en continuant à résider sur le territoire de la Slovaquie. Lors de l’adhésion des deux Etats à l’Union européenne le 1er mai 2004, l’intéressé était occupé dans le secteur de l’enseignement.

En décembre 2015, il a demandé à bénéficier de l’allocation prévue par la loi nationale pour les représentants sportifs. Il fut cependant constaté qu’il n’avait pas la nationalité slovaque, condition posée par la loi, et sa demande a été rejetée par l’institution d’assurances sociales de Bratislava.

Ayant introduit un recours devant la cour régionale au motif de discrimination au sens du droit de l’Union européenne, il vit ce recours rejeté et s’est alors pourvu en cassation.

La Cour de cassation a constaté que la condition de citoyenneté slovaque était mise du fait de la nature de la prestation, qui est une prestation sociale publique et non une pension de retraite. Elle pose cependant une question préjudicielle à la Cour de justice, au motif que, contrairement à ses co-équipiers, l’intéressé, qui a également contribué par ses capacités et ses efforts aux résultats collectifs de l’équipe nationale, est privé de la prestation en cause.

La question préjudicielle

La question est de savoir si les articles 1er, sous w), ainsi que 4 et 5 du Règlement n° 883/2004 (lus en combinaison avec le droit à des prestations sociales et à des avantages sociaux fixés à l’article 34, §§ 1er et 2, de la Charte) s’opposent à la situation en cause, étant que le droit national considère que la nationalité est une condition fondamentale pour obtenir le supplément de pension, et ce même si une autre condition légale, ainsi le fait d’avoir fait partie de l’équipe nationale des prédécesseurs en droit de la République slovaque, constitue toujours un élément de la réglementation applicable.

La décision de la Cour

La Cour se prononce en deux temps.

La première question à régler est de déterminer si l’allocation en cause relève du champ matériel du Règlement n° 883/2004. Sur cette question, elle rappelle sa jurisprudence, étant que les prestations relevant du champ d’application de celui-ci sont déterminées eu égard à leur finalité et leurs conditions d’octroi (le fait qu’une prestation soit ou non qualifiée de prestation de sécurité sociale par la législation nationale étant indifférent). Les critères permettant de dire s’il s’agit d’une prestation de sécurité sociale sont que (i) elle est octroyée en-dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels aux bénéficiaires sur la base d’une situation légalement définie et que (ii) elle se rapporte à l’un des risques énumérés expressément au Règlement (article 3, § 1er).

Il s’agit de conditions cumulatives.

Examinant également la notion de prestations de vieillesse, au sens de sa jurisprudence, la Cour constate que le but de l’allocation est d’apporter la sécurité financière aux athlètes, ainsi qu’il ressort du texte légal, s’agissant de viser un nombre très restreint d’athlètes de haut niveau qui ont fourni des efforts exceptionnels et ont obtenu des résultats remarquables dans le cadre de compétitions sportives internationales. Il s’agit dès lors de récompenser ceux-ci pour leurs exploits. L’allocation est par ailleurs financée directement par l’Etat en-dehors de sources de financement du système national de sécurité sociale. Il n’y a pas de contribution de la part des bénéficiaires. Ceux-ci sont triés, étant uniquement visés ceux qui ont remporté certaines médailles.

La Cour conclut de l’ensemble de ces considérations qu’il ne s’agit pas d’une pension de vieillesse au sens de la disposition du Règlement, l’allocation ne couvrant aucun des risques correspondant aux branches de la sécurité sociale (et n’étant pas par ailleurs énumérée à l’Annexe X du Règlement en tant que prestation spéciale à caractère non contributif). Elle est donc exclue de son champ d’application. Ceci vaut également pour l’examen de la question à partir de l’article 34, §§ 1er et 2, de la Charte.

Cependant, eu égard à la mission de la Cour, qui est d’interpréter toutes les dispositions du droit de l’Union dont les juridictions nationales ont besoin afin de statuer sur les litiges qui leur sont soumis, la Cour se tourne vers le Règlement n° 492/2001. Lors de l’adhésion des deux républiques à l’Union européenne, l’intéressé était en effet occupé dans une école primaire et il a poursuivi son emploi encore pendant plus d’un an.

L’article 7 du Règlement n° 492/2001, relatif à l’octroi d’avantages sociaux, traduit le principe d’égalité de traitement de l’article 45, § 2, T.F.U.E. et doit être interprété comme lui. Il prévoit, en l’occurrence, que le travailleur ressortissant d’un Etat membre bénéficie, sur le territoire des autres Etats membres, des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les nationaux.

La Cour renvoie ici à quelques arrêts rendus récemment, dont l’arrêt AUBRIET (C.J.U.E., 10 juillet 2019, Aff. n° C-410/18, AUBRIET). Elle rappelle que le principe de libre circulation des travailleurs s’applique aux ressortissants tchèques travaillant en Slovaquie (situation de l’espèce). Le requérant n’a en l’espèce pas déplacé son lieu de résidence et s’est trouvé, en raison de l’adhésion de l’Etat dont il est le ressortissant à l’Union européenne, dans une situation de travailleur migrant par rapport à l’Etat où il a fixé sa résidence.

La question est dès lors pour la Cour de voir si l’allocation réclamée peut être considérée comme un avantage social au sens de la disposition du Règlement, cette notion ne pouvant être interprétée limitativement, et la Cour de donner plusieurs exemples des allocations qu’elle a admises à ce titre.

Elle constate que la raison d’être de cette allocation est non seulement d’apporter une sécurité financière aux intéressés, visant notamment à compenser l’absence d’insertion sur le marché du travail pendant les années consacrées à la pratique du sport, mais également de leur conférer un prestige social particulier. La Cour renvoie également à sa jurisprudence sur le sport, où elle a retenu l’importance sociale considérable de celui-ci dans l’Union (et notamment le sport amateur) et dont elle a relevé l’importance en tant que facteur d’intégration dans la société.

Elle conclut qu’il y a bien un avantage social au sens de la disposition et répond dès lors, conformément aux considérations ci-dessus, que l’allocation en cause n’est pas une prestation de vieillesse au sens du Règlement n° 883/2004, mais qu’elle est admise comme étant un avantage social dans le cadre du Règlement n° 492/2011.

Intérêt de la décision

Dans cette espèce particulière, la Cour de Justice a l’occasion de rappeler les définitions qu’elle reprend régulièrement pour ce qui est des prestations tombant dans le champ d’application du Règlement n° 883/2004, ainsi que la notion de prestations de vieillesse.

Pour ce qui est des prestations considérées comme avantage social, elle insiste sur le fait que cette notion ne doit pas être interprétée limitativement. Elle rappelle qu’elle a admis que constituent de tels avantages une allocation de chômage destinée aux jeunes qui viennent de terminer leurs études et qui sont à la recherche de leur premier emploi, une allocation d’éducation pour l’enfant d’un travailleur, la faculté pour la veuve et les enfants mineurs d’un travailleur migrant de bénéficier de réductions sur des prix de transport ferroviaire applicables aux familles nombreuses, etc.

C’est dans le même esprit, à savoir qu’il s’agit d’une mesure qui peut contribuer à l’intégration du travailleur migrant dans le pays d’accueil et donc à la réalisation de l’objectif de la libre circulation des travailleurs, que ladite allocation a été admise en l’espèce.


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