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Non-concrétisation par l’employeur du mode de calcul de commissions dont le principe est prévu contractuellement : sanction

Commentaire de C. trav. Anvers (div. Anvers), 19 juin 2019, R.G. 2018/AA/370

Mis en ligne le vendredi 29 mai 2020


Cour du travail d’Anvers (division Anvers), 19 juin 2019, R.G. 2018/AA/370

Terra Laboris

Dans un arrêt du 19 juin 2019, la Cour du travail d’Anvers (division Anvers) rappelle que la non-concrétisation par l’employeur d’un plan d’octroi de commissions, dont le droit a été reconnu dans le contrat de travail, constitue un manquement à l’article 1134 du Code civil et que, conformément à l’article 1178 du même Code, la condition est réputée accomplie lorsque c’est l’employeur qui en a empêché l’accomplissement.

Les faits

Engagé en 2012 dans une société de dimension internationale, un employé reçoit assez rapidement plusieurs promotions, se voyant confier des responsabilités au niveau européen. Il bénéficie d’une augmentation de salaire et de commissions, auxquelles vient s’ajouter un bonus annuel.

Fin 2016, les relations entre parties commencent à devenir difficiles, la société proposant un avenant au contrat, reprenant des conditions rémunératoires plus strictes, revoyant également la question des commissions. L’intéressé répond qu’a été convenu entre les parties un droit aux commissions sur les ventes directes et indirectes et que lui retirer une partie de celles-ci constitue une modification du contrat. Il formule en outre une série de revendications relatives à des arriérés. Pour ce qui est dû à ce titre, l’employé réclame un montant de l’ordre de 85.000 euros, à titre provisionnel.

Vu le désaccord entre parties, l’intéressé dépose une requête devant le Tribunal du travail d’Anvers (division Anvers) en février 2017. Des discussions se poursuivent entre les parties mais n’aboutissent pas. Le licenciement est alors décidé par la société, qui y procède en janvier 2018, avec effet immédiat.

L’employé sera débouté de sa demande par un jugement du 7 mai 2018. Il interjette appel.

La décision de la cour

La cour examine les prétentions du demandeur originaire, appelant, quant à son droit aux commissions réclamées. Celui-ci a fixé, au lieu du montant alloué par la société (250 euros par mois), ses prétentions au maximum de la fourchette prévue, soit 1.500 euros par mois, et ce au motif que l’employeur n’a pas fixé ses objectifs de vente spécifiques. Il se fonde sur l’article 2 du contrat de travail (qui prévoyait ceci), ainsi que sur les articles 1134 et 1178 du Code civil.

La cour du travail constate qu’en vertu du contrat de travail, l’intéressé avait droit à une rémunération variable sur la base de la réglementation en vigueur en matière de commissions, un minimum de 250 euros par mois étant garanti pendant les douze premiers mois et un maximum de 1.500 euros.

La cour relève que le règlement en matière de commissions reprend des conditions spécifiques pour l’octroi de celles-ci.

Constatant que des objectifs spécifiques n’ont pas été fixés pour l’intéressé et qu’un plan particulier de commissions ne lui a pas été remis – la cour constatant que rien n’est déposé en ce sens dans le cadre de la procédure –, elle rappelle que le principe de bonne foi doit s’appliquer dans les conventions sous condition suspensive : la partie qui est la seule en mesure de permettre l’accomplissement de la condition suspensive doit tout mettre en œuvre pour rendre la réalisation de celle-ci possible. La cour rejoint le point de vue de l’appelant selon lequel, par ailleurs, en tardant à lui remettre un plan de commissions, la société a commis une faute contractuelle.

Dans la mesure où elle avait pris l’engagement du paiement d’un variable déterminé et qu’elle a empêché la réalisation de ce droit par sa faute ou sa négligence, les conditions permettant le paiement de la commission maximale sont remplies, et ce conformément à l’article 1178 du Code civil.

La cour rencontre ensuite un argument de la société, qui a été suivi par les premiers juges, étant que cette clause relative à l’octroi de commissions est restée sans effet dans l’exécution du contrat, et ce eu égard à l’évolution de la rémunération fixe. La société fait grief à l’intéressé, qui a perçu un fixe bien supérieur à ce qui avait été convenu initialement, de réclamer par ailleurs le montant maximal des commissions prévues dans le contrat de travail. Pour la cour, cette argumentation ne peut être suivie, celle-ci contrevenant encore à l’article 1134 du Code civil, qui prévoit que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, qu’elles doivent être exécutées de bonne foi et qu’elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise. Pour que la thèse de la société puisse être acceptée, il y aurait lieu de constater l’existence d’une novation. Un débiteur ne peut en effet être libéré d’engagements qu’il a pris que si son créancier marque accord. Cette volonté du créancier doit être exprimée expressément ou devrait, à tout le moins, pouvoir être déduite de comportements qui ne pourraient s’expliquer autrement.

Constatant qu’en l’espèce aucun élément n’indique qu’il y aurait eu accord pour revenir sur les conditions contractuelles de départ et sur leur remplacement par un autre mode de rémunération, et relevant par ailleurs qu’il n’est pas démontré que les augmentations du fixe pouvaient être une manière d’accorder les commissions non payées, la cour confirme le droit de l’employé. Elle relève son parcours professionnel et l’absence de critiques de la société. Par ailleurs, le fait que celle-ci lui ait proposé, en décembre 2016, un addendum au contrat de travail en vue de modifier les modalités de paiement de la rémunération contribue à confirmer l’absence d’accord précédent de l’employé.

L’on ne peut, en conséquence, conclure à une renonciation dans son chef. Celle-ci, pour être valable, doit être certaine et ne peut être déduite que de faits qui ne peuvent avoir une autre interprétation. La cour ajoute encore qu’un simple silence ne peut suffire. Le fait que l’intéressé n’ait pas protesté pendant l’exécution du contrat de travail avant la proposition d’addendum ne peut constituer une renonciation dans son chef, l’absence de protestation pouvant s’expliquer par l’existence du lien de subordination entre les parties. La cour rappelle encore qu’il n’existe pas dans notre droit un principe général de rechtsverwerking, qui consisterait en un abandon du droit.

L’examen de la cour se clôture par le rappel de l’arrêt de la Cour de cassation du 17 mai 1989 (Cass., 17 mai 1989, Arr. Cass., 1989-90, p. 1188) rendu à propos de l’article 1134, alinéa 3, du Code civil, qui vise l’exécution de bonne foi des conventions. Pour la Cour suprême, une partie ne viole ni cette disposition ni ce principe de droit lorsqu’elle fait usage du droit qu’elle détient en vertu d’une convention légalement formée et que cet exercice ne relève pas d’un abus de droit. Il découle implicitement des limites et des règles relatives à la prescription extinctive fixées par le Code civil qu’une partie est autorisée à ne pas exercer immédiatement un droit qui lui a été reconnu conventionnellement.

Le premier juge ne pouvait dès lors conclure à l’existence d’un comportement incompatible avec l’exercice normal de droits contractuels. Par ailleurs, il ne peut davantage être conclu à l’existence d’un abus de droit, qui suppose l’exercice d’un droit d’une manière qui s’écarte manifestement de celle qu’en aurait fait un titulaire normalement prudent et diligent.

Intérêt de la décision

Cet arrêt constitue un très judicieux rappel des effets d’un engagement contractuel d’une part et des règles en matière de renonciation de l’autre.

La cour du travail s’est fondée, pour sa conclusion, non seulement sur l’article 1134 du Code civil et le principe de loyauté dans l’exécution du contrat, mais, pour ce qui est du quantum correspondant à la réparation d’un manquement à cet article 1134, sur une autre disposition du Code civil, relative aux obligations conditionnelles, étant l’article 1178. Celui-ci dispose que la condition est réputée accomplie lorsque c’est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l’accomplissement. La cour du travail a étendu les effets de cette règle aux montants auxquels aurait pu prétendre l’employé au titre de commissions maximales.

Le Code civil retient effectivement que, si c’est le débiteur qui a empêché l’accomplissement de l’obligation, la condition est réputée accomplie. L’employeur qui, en application de cette jurisprudence, omet de concrétiser un engagement pris dans le contrat de travail s’expose à l’obligation d’indemniser le travailleur de sa faute ou de sa négligence. L’indemnisation porte non sur des dommages et intérêts mais sur des arriérés de rémunération.

Sur la même question, relative à la non-souscription par l’employeur d’une assurance spécifique, annoncée dans le contrat de travail, l’on peut se référer à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 24 février 2015 (C. trav. Bruxelles, 24 février 2015, R.G. 2013/AB/416 – précédemment commenté).

Enfin, l’arrêt est également un excellent rappel des règles en matière de renonciation, la décision de la Cour du travail d’Anvers soulignant que le silence du travailleur pendant l’exécution du contrat de travail ne peut être assimilé à une renonciation à faire valoir ses droits.


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