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Une des dernières apparitions de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978

Commentaire de Trib. trav. néerl. Bruxelles, 23 mai 2019, R.G. 18/1.308/A

Mis en ligne le jeudi 14 mai 2020


Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles, 23 mai 2019, R.G. 18/1.308/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 23 mai 2019, le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles alloue le bénéfice de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 à un chauffeur d’ambassade licencié en 2017, eu égard au statut des missions diplomatiques à cette époque (étant qu’elles n’étaient pas encore soumises à la loi du 5 décembre 1968).

Les faits

Un chauffeur d’ambassade est en service depuis septembre 2013. Il fait état, en décembre 2016, de prestations exceptionnelles (week-ends et jours fériés) et introduit une demande de récupération, d’autant qu’il doit subir des traitements médicaux.

Il tombe en incapacité de travail dans le courant du mois, et ce pour une période de trois semaines. Après une tentative de reprise (avec prestations irrégulières cependant), il retombe en incapacité en mars 2017.

Il est licencié avec paiement d’une indemnité en juin, la mission faisant valoir des raisons financières.

La procédure

Il introduit une requête devant le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles, dans laquelle il postule paiement de sommes directement liées aux montants dus à la rupture (chèques-repas et solde de l’indemnité) ainsi que de primes de fin d’année. Un dernier poste porte sur le paiement de l’indemnité pour licenciement abusif de six mois, telle que prévue par l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978.

La décision du tribunal

Le tribunal tranche, en premier lieu, la question du statut du travailleur, et ce eu égard aux exigences en matière de composition du siège d’abord et, ensuite, vu la demande d’application de la disposition spécifique aux ouvriers que constituait l’article 63.

Pour ce qui est de l’indemnité de rupture elle-même, le demandeur – tout en revendiquant la qualité d’ouvrier – sollicite l’application des dispositions de la C.P. 200. Celle-ci est uniquement compétente pour les employés.

Le tribunal retient cependant que, même si des fonctions sont exercées sous statut d’ouvrier, ceci n’empêche pas les parties de convenir d’appliquer des dispositions plus favorables, en l’occurrence celles de cette commission paritaire. Le tribunal renvoie sur cette question à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 18 février 2010 (C. trav. Bruxelles, 18 février 2010, J.T.T., 2010, p. 145). Cette volonté des parties peut ressortir du contrat de travail ou de l’exécution du contrat ainsi des mentions des fiches de paie, dans lesquelles, en l’occurrence, il est toujours fait référence à cette commission paritaire.

Les postes relatifs aux chèques-repas et primes de fin d’année n’appellent pas de débats particuliers, le tribunal reconnaissant qu’ils sont fondés.

Cependant, le travailleur a sollicité le paiement de l’indemnité de six mois prévue à l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 et son statut exact doit encore être réexaminé pour ce qui est du bien-fondé de ce chef de demande, la qualité d’employé ne permettant pas d’y faire droit.

Le tribunal rappelle qu’en vertu des articles 2 et 3 de la loi du 3 juillet 1978, le statut (ouvrier ou employé) est uniquement fixé en fonction de la nature du travail effectué et que la qualification donnée à la relation de travail par les parties est sans incidence. Sur ce point, les mentions des fiches de paie ne sont dès lors d’aucun intérêt.

Il est conclu à la qualité d’ouvrier, du fait de la nature des fonctions (chauffeur) et à la possibilité de faire valoir des droits dans le cadre de l’article 63.

Se pose cependant la question du statut unique, dans la mesure où son article 38 prévoit en effet que l’article 63 cesse de s’appliquer en ce qui concerne les employeurs qui relèvent du champ d’application de la loi du 5 décembre 1968 à partir de l’entrée en vigueur d’une convention collective de travail conclue au sein du C.N.T. rendue obligatoire par le Roi relative à la motivation du licenciement et, en ce qui concerne les employeurs qui ne relèvent pas du champ d’application de celle-ci, à partir de l’entrée en vigueur d’un régime analogue à celui prévu par la convention collective visée ci-dessus.

A l’époque du licenciement, le tribunal relève que la partie défenderesse (étant l’Etat employeur) n’était pas soumise à la loi du 5 décembre 1968, ne l’étant devenue que par la loi du 15 janvier 2018 (article 2 – loi portant des dispositions diverses en matière d’emploi). Cet article 2 ajoute dans l’article 2, § 3, de la loi du 5 décembre 1968 (qui vise les exclusions de son champ d’application) un point concernant les personnes occupées par les autorités publiques étrangères, à l’exception des missions diplomatiques, des missions auprès des organisations internationales ayant leur siège en Belgique, des postes consulaires et des agents diplomatiques ou des fonctionnaires consulaires étrangers, pour leur personnel qui ne bénéficie pas d’un statut privilégié au sens des conventions internationales en la matière.

Pour le tribunal, il en découle qu’au moment du licenciement, le défendeur devait toujours se voir appliquer l’article 63.

Examinant les motifs invoqués, essentiellement d’ordre financier, il conclut que ces motifs ne sont pas avérés et fait également droit à la demande sur ce point.

Intérêt de la décision

Un premier point d’intérêt est certes le traitement réservé par le tribunal à la question de la détermination du statut exact du travailleur : ouvrier ou employé.

La jurisprudence a admis que les parties sont libres de déterminer conventionnellement un statut (rémunératoire en l’occurrence) plus favorable au travailleur que celui auquel correspond normalement l’exercice de ses fonctions. En l’espèce, l’ouvrier se voit dès lors appliquer les barèmes de la C.P. 200, puisque telle a été la volonté des parties.

Pour ce qui est du droit à une indemnité pour licenciement abusif au sens de l’article 63 – exclusivement réservée aux ouvriers –, le raisonnement est inverse, étant que, dans la mesure où les fonctions exercées sont des fonctions d’ouvrier, il découle des articles 2 et 3 de la loi du 3 juillet 1978 que celles-ci doivent primer, indépendamment de l’accord des parties pour appliquer d’autres règles (en l’espèce rémunératoires).

Le deuxième point d’intérêt est certes de voir persister l’application de l’article 63, dans l’hypothèse d’une rupture intervenue en 2017.

L’on notera en effet sur la question deux importants arrêts de la Cour constitutionnelle intervenus les 18 décembre 2014 (n° 187/2014) et 30 juin 2016 (n° 101/2016).

Dans son arrêt du 18 décembre 2014, la Cour constitutionnelle a statué pour ce qui est du secteur privé. Elle a considéré que, vu l’harmonisation progressive des statuts d’employé et d’ouvrier (réf. à l’arrêt n° 125/2011), il ne se justifie plus que ce critère de distinction soit maintenu à l’heure actuelle, notamment en ce qui concerne la limitation des motifs admissibles de licenciement, le renversement de la charge de la preuve et la fixation forfaitaire de l’indemnité – il y a violation mais les effets de cette disposition sont maintenus jusqu’au 1er avril 2014.

Dans son arrêt du 30 juin 2016, relatif au secteur public, elle a conclu que l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, combiné avec l’article 38, 2°, de la loi du 26 décembre 2013 concernant l’introduction d’un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que de mesures d’accompagnement, viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il s’applique aux ouvriers du secteur public licenciés après le 31 mars 2014.

En l’espèce, l’Etat étranger n’est pas à classer dans le secteur public et, par ailleurs, la réglementation applicable au secteur privé ne le concerne qu’à partir de l’entrée en vigueur de la loi du 15 janvier 2018 portant des dispositions sociales en matière d’emploi, puisque celle-ci a expressément prévu qu’entrent dans son champ d’application les autorités diplomatiques et consulaires pour leur personnel qui ne bénéficie pas des privilèges des conventions internationales en la matière.


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