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Notion de cohabitation en chômage et allocations familiales

Commentaire de C. trav. Mons, 11 avril 2019, R.G. 2018/AM/135

Mis en ligne le lundi 13 avril 2020


C. trav. Mons, 11 avril 2019, R.G. 2018/AM/135

Notion de cohabitation en chômage et allocations familiales

Par arrêt du 11 avril 2019, statuant dans les deux matières, la Cour du travail de Mons rappelle que la notion de cohabitation reçoit, dans les différentes branches de la sécurité sociale, une acception transversale.

Les faits

Une mère de famille ayant deux enfants a obtenu le bénéfice des allocations d’attente (actuellement « allocations d’insertion ») au taux « travailleur ayant charge de famille ». Après un déménagement, elle confirme sa situation. Par ailleurs, elle a pu bénéficier d’allocations familiales majorées pour travailleuse invalide depuis 2009 et pour chômeuse de longue durée et, ultérieurement, pour famille monoparentale.

Suite à une enquête menée par la zone de police, il s’est avéré que l’intéressée a fait des déclarations inexactes ou incomplètes, de même qu’un tiers, avec qui il est apparu qu’elle cohabitait. Cette enquête avait débuté suite à des suspicions de participation de ce tiers à un trafic, suspicions qui ont ultérieurement été abandonnées. Dans une audition intervenue suite à une apostille de l’auditeur du travail, l’intéressée conteste la cohabitation, précisant que, si le tiers en question est le père d’un de ses enfants, il ne paie pas de pension alimentaire et vit avec une autre personne. Il ne contribue par ailleurs pas aux charges ménagères.

L’intéressée est cependant exclue des allocations de chômage par une décision prise le 30 septembre 2014, ordonnant l’exclusion pour une période de 5 ans (pour le taux attribué en tant que travailleur ayant charge de famille) ainsi que la récupération eu égard aux règles de prescription. En outre, elle est exclue pendant une période de 12 semaines. Par ailleurs et parallèlement, FAMIFED (à l’époque O.N.A.F.T.S.) a ouvert une enquête, notamment eu égard à la parution dans la presse locale d’un article sur la question. Celui-ci visait le tiers en cause, à l’époque mandataire local et dont il était suspecté qu’il cohabitait avec la demanderesse, elle-même bénéficiant d’un logement social.

Vu la communication des informations dans les deux dossiers, via l’auditorat du travail de Mons, la cohabitation a été retenue également par l’O.N.A.F.T.S., qui a considéré que, vu les revenus du couple, les suppléments sociaux ne se justifiaient pas, la cohabitation faisant par ailleurs obstacle à l’octroi du supplément relatif à la famille monoparentale. Un indu a été notifié dans cette branche également.

Deux requêtes ont dès lors été introduites, par lesquelles l’intéressée conteste les deux décisions administratives. Les deux recours ont été joints, déclarés recevables mais non fondés.

Appel est interjeté devant la Cour du travail de Mons.

La décision de la cour

La cour aborde la question à partir de la situation en matière de chômage. Reprenant les dispositions habituelles sur la question (articles 110, §§ 1er à 3, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, ainsi que 59, alinéa 1er, de l’arrêté royal du 26 novembre 1991), elle donne la définition de la cohabitation dans ce secteur.

Dans la matière des allocations familiales, l’article 56bis, § 2, alinéa 2, de la loi générale règle la question, étant que la cohabitation avec une personne autre qu’un parent ou allié jusqu’au troisième degré fait présumer l’existence d’un ménage de fait. Il s’agit d’une présomption réfragable et la cour du travail rappelle l’arrêt intervenu le 18 février 2008 en la matière (Cass., 18 février 2008, n° S.07.0041.F), qui a donné la définition : le ménage de fait s’entend de la cohabitation de deux personnes qui, n’étant ni conjoints ni parents ou alliés jusqu’au troisième degré inclusivement, règlent d’un commun accord et complètement ou, à tout le moins, principalement les questions ménagères en mettant en commun, fût-ce partiellement, leurs ressources respectives, financières ou autres.

La cour du travail rappelle ensuite que la notion de cohabitation reçoit une acception transversale dans les diverses branches de la sécurité sociale. Si la notion de vie sous le même toit pose rarement des difficultés, il n’en va pas de même de la condition du règlement commun des questions ménagères, et la cour de rappeler les arrêts de la Cour de cassation intervenus récemment (Cass., 22 janvier 2018, n° S.16.0070.F ; Cass., 22 janvier 2018, n° S.17.0024.F ; Cass., 9 octobre 2017, n° S.16.0084.N).

Si la notion a ainsi été précisée, cette jurisprudence n’a pas modifié les règles en matière de répartition de la charge de la preuve, le chômeur devant, si l’inexactitude de sa déclaration est avérée, établir, vu le renversement de la charge de la preuve, qu’il se trouve dans une situation lui permettant d’être indemnisé au taux qu’il revendique. Cette règle vaut en chômage et, pour ce qui est des allocations familiales, la cour précise que, dès qu’il y a vie sous le même toit, l’assuré social doit renverser la présomption d’établissement en ménage. Dès lors que l’assuré social supporte le risque de la preuve, le doute ne lui profite pas.

La cour examine ensuite les éléments du dossier et en conclut que les éléments de preuve ne sont pas apportés, notamment quant à l’obligation pour la demanderesse d’établir qu’elle supportait seule les charges ménagères. Elle constate en outre des mouvements bancaires (entrées) inexpliqués.

Elle confirme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

Outre le rappel de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de chômage, cet arrêt examine la situation eu égard aux règles figurant dans la loi générale relative aux allocations familiales. Les critères y sont apparemment plus simples, étant que, dès qu’il y a vie sous le même toit, une présomption d’établissement en ménage existe et celle-ci, à caractère réfragable, peut être renversée par l’assuré social. La loi ne détermine pas le mode de renversement de la présomption, à savoir l’objet de la preuve contraire à apporter.

L’arrêt de la Cour de cassation du 18 février 2008 est cependant beaucoup plus explicite, ayant défini ce qu’il faut entendre par là : la disposition est de portée large, puisqu’elle vise les tiers qui ne sont ni conjoints ni parents ou alliés jusqu’au troisième degré et qu’elle précise que la notion suppose le règlement d’un commun accord des questions ménagères par la mise en commun, fût-elle partielle, des ressources respectives des personnes, ressources financières ou autres. La Cour de cassation y avait précisé que la circonstance que l’un des cohabitants ne bénéficie pas de revenus n’exclut pas l’existence d’un ménage de fait.

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons concerne deux décisions administratives prises suite à la situation critiquée, l’une dans le secteur chômage et l’autre dans le secteur des allocations familiales, comme vu ci-dessus. La cour y a conclu à une application transversale de la notion, dans les diverses branches de la sécurité sociale.

L’on peut à cet égard relever un jugement récent rendu par le Tribunal du travail de Liège (Trib. trav. Liège, div. Liège, 24 avril 2019, R.G. 16/7.460/A et 17/1.374/A – précédemment commenté) rendu en matière d’A.M.I., à propos d’une cohabitation n’impliquant qu’un partage de charges locatives. Le tribunal y a considéré que le système de preuve contenu à l’article 225, § 4, de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 ne permet pas de prendre en compte les situations de colocation et de co-housing.

Pour le tribunal, il y a ainsi une discrimination au sein de la sécurité sociale, selon que l’on perçoit des allocations de chômage ou des indemnités d’incapacité, vu la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de chômage, où celle-ci a considéré que non seulement il faut qu’il y ait vie sous le même toit et qu’en résulte un avantage économique et financier, mais également que devaient être réglées en commun les tâches, activités et autres questions ménagères, et ce en mettant éventuellement en commun des ressources financières. Cette discrimination, fondée uniquement sur le critère de la cohabitation, n’est pas justifiée. L’article 225, § 4, de l’arrêté royal est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution en ce que cette disposition s’étend à la situation de cohabitation concernant des personnes hébergées sous le même toit et qui ne partagent que des charges locatives.


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