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Droit pour une employée, après son retour de congé de maternité suivi d’un congé parental, à retrouver ses fonctions contractuelles ou, à tout le moins, des fonctions équivalentes : un jugement du Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles

Commentaire de Trib. trav. néerl. Bruxelles, 3 septembre 2019, R.G. 18/401/A

Mis en ligne le vendredi 20 mars 2020


Trib. trav. néerl. Bruxelles, 3 septembre 2019, R.G. 18/401/A

Terra Laboris

Droit pour une employée, après son retour de congé de maternité suivi d’un congé parental, à retrouver ses fonctions contractuelles ou, à tout le moins, des fonctions équivalentes : un jugement du Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles.

Dans un jugement du 3 septembre 2019, le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles examine sous l’angle de la discrimination au sens de la loi « genre » de 2007 une modification de fonction intervenue pendant l’absence d’une travailleuse pour congé parental consécutif à un congé de maternité, modification qui lui est imposée à son retour.

Les faits

Une employée, engagée depuis 2009 dans une société de la région bruxelloise, voit sa carrière évoluer, avec notamment une promotion en 2012. Pendant une période de près de cinq mois à la fin de l’année 2014, l’intéressée est absente pour congé de maternité. Ce congé est suivi d’une période de vacances. Elle fait l’objet d’un remplacement dans sa fonction pendant cette période. A son retour de son congé de maternité, l’intéressée reçoit une nouvelle promotion, devenant « marketing communication manager ». Vu le niveau de qualité de ses prestations pendant l’année 2015, elle bénéficie en 2016 d’une augmentation de rémunération de 10% et est intégrée dans une catégorie de salaire supérieure. A partir de la mi-juillet 2016, l’employée est de nouveau absente, étant en congé de maternité. Elle introduit alors une demande en vue de bénéficier, à l’issue de ce congé, d’un congé parental de trois mois. La société fait droit à sa demande.

Peu avant son retour, elle est informée téléphoniquement de l’existence d’une réorganisation au sein de la société, qui touche notamment son département. Il est fait état d’une scission en plusieurs groupes et la nouvelle structure lui est communiquée. L’intéressée répond, exposant sa déception vu la nouvelle organisation. Son courrier est particulièrement détaillé, celle-ci posant notamment diverses questions très concrètes quant au contenu des fonctions. Concomitamment, la société présente la nouvelle structure au personnel, avec le nouvel organigramme.

Après sa reprise du travail, qui intervient fin février 2017, l’intéressée exerce ses nouvelles fonctions pendant environ quatre semaines et, le 23 mars suivant, elle remet un préavis de quatre semaines. Pendant cette période, elle est dispensée de prestations.

A la mi-juin 2017, l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes intervient auprès de la société, constatant que celle-ci n’a pas respecté le droit de l’employée à retrouver une fonction équivalente lors de son retour de son congé parental. Il s’agit, pour l’Institut, d’une discrimination sur la base du genre.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles, procédure dans laquelle l’Institut fait intervention volontaire.

La décision du tribunal

Le tribunal examine la loi « genre » de 2007, dans ses règles générales d’une part et dans ses aspects spécifiques liés au litige de l’autre.

Il renvoie à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 février 2009 (C. const., 12 février 2009, n° 17/2009), sur le plan de la preuve : dès lors que la victime pointe des faits qui permettent de présumer prima facie que la partie adverse a posé un acte discriminatoire, la charge de la preuve est inversée. Les faits invoqués doivent être suffisamment forts et pertinents et doivent pouvoir être imputés spécifiquement à l’auteur de la distinction.

Le tribunal observe par ailleurs que la loi « genre » ne contient pas de dispositions particulières qui seraient venues transposer l’article 15 de la Directive n° 2006/54/CE, qui dispose qu’une femme en congé de maternité a le droit, au terme de ce congé, de retrouver son emploi ou un emploi équivalent à des conditions qui ne lui soient pas moins favorables et de bénéficier de toute amélioration des conditions de travail à laquelle elle aurait eu droit durant son absence.

Pour le tribunal, le fondement du droit de l’employée à retrouver une fonction équivalente réside dans l’article 1134 du Code civil, ainsi que dans l’article 20, § 1er, 1°, L.C.T. La lecture combinée de ces dispositions avec l’article 19 de la loi « genre » (qui contient le principe de l’interdiction de discrimination) a comme conséquence que l’employeur est obligé, au retour de la travailleuse à l’issue de la suspension du contrat pour maternité et/ou congé parental, ou encore en cas d’autres causes de suspension, de fournir le travail convenu ou, à tout le moins, dans une fonction comparable. Un traitement qui ne respecte pas ces règles est un traitement défavorable qui entraîne le renversement de la charge de la preuve. L’employeur doit dès lors établir que la modification de fonction est étrangère au congé de grossesse et/ou de maternité et qu’elle a une autre justification.

En l’espèce, analysant les organigrammes ainsi que le contenu des fonctions, le tribunal retient qu’à son retour, l’intéressée n’était plus responsable d’une équipe, ce qui a impliqué pour elle que sa nouvelle fonction ne consistait plus qu’en tâches d’exécution. Il estime que les deux fonctions ne sont pas des fonctions équivalentes et qu’il y a présomption d’un traitement défavorable.

Il constate ensuite que la société n’établit pas la preuve contraire, à savoir que la décision a été prise pour des motifs étrangers à la discrimination sur la base du genre. Il examine une évaluation relative aux prestations de 2015. Celle-ci étant rédigée en anglais, le tribunal en soulève la nullité, vu le non-respect de l’emploi des langues. Ce document est supposé ne jamais avoir existé et les parties ne peuvent y puiser aucun argument. Il rejette également des éléments invoqués par la société relatifs au niveau de rémunération ainsi qu’à des promotions antérieures.

Constatant l’existence d’une discrimination prohibée, le tribunal aborde ensuite la question de la réparation, qu’il fixe à six mois. L’article 23, §§ 1er et 2, 2°, de la loi « genre » détermine comme fondement de celle-ci le droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle et pose le choix pour la victime entre l’indemnisation de son dommage réel (qu’elle doit établir) et une indemnité forfaitaire pour préjudice matériel et moral. Celle-ci est de six mois et peut être limitée à trois mois si l’employeur établit que le traitement défavorable serait également intervenu en l’absence de discrimination.

Pour ce qui est de la rémunération de base, le tribunal la fixe en reprenant toutes ses composantes. Il rejette cependant les avantages non récurrents liés aux résultats.

L’intéressée ayant également introduit une demande d’indemnisation pour la violation de son droit lors de son retour au travail après son congé de maternité à bénéficier d’une fonction équivalente, le tribunal considère que ce préjudice est inclus dans celui examiné ci-dessus, vu le caractère forfaitaire de l’indemnité de six mois.

Enfin, il alloue à l’Institut 1 euro au titre de dommage moral.

Intérêt de la décision

Ce jugement rappelle, à propos de la Directive n° 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 (directive relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail – refonte), que son article 15, spécifiquement consacré au retour de congé de maternité, n’a pas fait l’objet d’une transposition expresse dans la loi « genre » de 2007.

L’affaire a dès lors été examinée à partir de la modification de fonction intervenant au retour de la maternité, en tant que mesure discriminatoire prise par l’employeur, dans la mesure où il n’établit pas qu’elle repose sur des motifs étrangers au congé de grossesse et/ou de maternité.

La demanderesse sollicitait, en outre, la réparation de la violation de son droit, visé à l’article 15, de retrouver son emploi ou un emploi équivalent à des conditions qui ne lui sont pas moins favorables et de bénéficier de toute amélioration des conditions de travail à laquelle elle aurait eu droit durant son absence.

Le tribunal a estimé que ce chef de demande faisait « double emploi » avec l’indemnité allouée dans le cadre de l’article 23, §§ 1er et 2, 2°, de la loi « genre », au motif que les deux dommages ont la même cause. La violation par l’employeur du droit de l’employée à reprendre lors de son retour des fonctions à tout le moins équivalentes est, pour le tribunal, indépendamment de la cause de la suspension, un manquement aux articles 1134 du Code civil et 20, alinéa 1er, 1°, L.C.T. La qualification juridique ne modifie pas le fait que les deux demandes sont fondées sur la même cause.

Ce jugement est également l’occasion de rappeler l’arrêt de la Cour constitutionnelle rendu le 12 février 2009 (C. const., 12 février 2009, n° 17/2009) dans le cadre d’un recours en annulation – qu’elle a rejeté. La Cour constitutionnelle y a longuement repris (considérants B.91 et suivants) les règles en matière de charge de la preuve, détaillant notamment les conditions que doivent remplir les faits visés, pour permettre de présumer l’existence d’une discrimination. Les travaux préparatoires sont repris dans l’arrêt et la Cour insiste sur la circonstance que la charge de la preuve incombe dès lors en premier lieu à la victime.


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