Terralaboris asbl

Faut-il tenir compte, dans l’indemnisation d’une maladie professionnelle, des séquelles d’un accident du travail antérieur ?

Commentaire de C. trav. Liège, 7 mars 2006, R.G. 32.606/2004

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Liège, Section de Liège, 7 mars 2006, R.G. n° 32.606/2004

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 7 mars 2006, déjà commenté pour son importance sur une autre question, étant celle des intérêts moratoires sur les arriérés d’indemnités, la cour du travail de Liège a appliqué à la matière des maladies professionnelles la jurisprudence de la Cour de Cassation en matière d’accidents du travail successifs à la situation d’un travailleur victime précédemment d’un accident du travail et qui demandait réparation d’une maladie professionnelle.

Les faits

L’intéressé avait introduit une demande d’indemnisation pour des lésions arthrosiques au niveau de la région lombaire, provoquées par des vibrations mécaniques. Il avait précédemment été victime d’un accident du travail affectant la région lombaire.

Le jugement du tribunal

L’expert désigné par le tribunal conclut à l’impossibilité de déterminer la part d’arthrose vertébrale due à l’accident et celle résultant des vibrations mécaniques.
Le tribunal du travail ne tint pas compte de l’indemnisation en accident du travail et alloua 11% pour l’incapacité physique et 5% pour les facteurs socio-économiques. Pour ces derniers, il se livra à un examen des critères utiles pour l’appréciation concrète de l’incapacité permanente, à savoir ceux dégagés par la Cour de Cassation depuis son arrêt du 10 mars 1980 (Pas., 1980, I, 82), critères permettant de déterminer la perte ou la diminution du potentiel économique de la victime sur le marché général de l’emploi.

La position des parties

Le Fonds des maladies professionnelles, sans contester le principe de l’indifférence de l’état antérieur, concluait cependant que cette règle ne pouvait aboutir au cumul de deux indemnisations pour un même dommage.

L’intéressé contestait l’évaluation. En ce qui concerne le taux de l’incapacité physique, il faisait valoir qu’il fallait tenir compte de la combinaison avec l’état antérieur qui trouvait sa cause dans un accident du travail de 1992, celui-ci ayant eu un impact sur la région lombaire puisqu’il y avait eu fracture et tassement de vertèbres avec reconnaissance d’une incapacité permanente de 4%.

La décision de la cour

La cour rappelle que l’état antérieur de la victime est indifférent et qu’il faut indemniser la répercussion de la maladie professionnelle sur la capacité de travail dès lors que cette maladie est au moins la cause partielle de l’incapacité. Ce mécanisme trouve sa justification dans le fait que la réparation de la maladie professionnelle a pour objet de compenser la répercussion sur le marché général du travail d’une lésion préjudiciable à une fonction.

En conséquence, les prédispositions pathologiques ne doivent pas être prises en compte dès lors et aussi longtemps que l’accident du travail ou la maladie professionnelle constitue la cause au moins partielle de l’incapacité.

La cour rappelle que la jurisprudence est constante, en ce qui concerne les accidents du travail successifs et que la Cour d’arbitrage a été saisie de la question de savoir si (en accident du travail) le mécanisme légal de réparation ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, interprété en ce sens que l’incapacité permanente résultant d’un accident du travail qui aggrave une lésion fonctionnelle provoquée par un ou plusieurs accidents du travail antérieurs doit être appréciée dans son ensemble, sans tenir compte de l’incapacité de travail préexistante.

La cour du travail rappelle la position de la Cour d’arbitrage, dans son arrêt du 21 juin 2002 (M.B., 28 août 2002, p. 37.917), étant que la loi a instauré un système de réparation forfaitaire et non pas d’exacte réparation de l’atteinte réellement constatée dans chaque cas. Le critère retenu pour apprécier la valeur économique de la victime est légalement présumé trouver sa traduction dans le salaire de base. Il s’agit d’une présomption irréfragable. En conséquence, il n’y a pas lieu de déduire du taux d’incapacité résultant d’un accident du travail celui qui a résulté d’un accident antérieur car les effets de celui-ci sont de nature à affecter normalement la rémunération prise en considération pour le suivant. Il n’y a dès lors pas de traitement discriminatoire.

En conséquence, que la victime subisse ou non une perte de rémunération après un accident du travail ne signifie pas nécessairement qu’elle ne retient de cet accident aucune atteinte à sa valeur économique.

Par identité de motifs avec ceux précisés par la Cour de Cassation, lorsqu’il s’agit d’une maladie professionnelle il faut apprécier l’incapacité dans son ensemble, sans tenir compte de l’incapacité préexistante. Il n’y a dès lors pas de double indemnisation pour le même dommage.

Sur cette question, la cour donne tort au Fonds des maladies professionnelles, en relevant que comme en matière d’accident du travail, la législation a pour objectif de réparer l’atteinte à la valeur économique et non pas la perte de rémunération subie par la victime. Dans la mesure où la valeur économique de la victime est légalement présumée par le salaire de base, il n’y a pas lieu de déduire du taux d’incapacité résultant d’un accident du travail celui qui avait résulté d’un accident antérieur, car les effets de celui-ci sont de nature à affecter normalement la rémunération prise en considération pour le suivant. Il s’agit des principes dégagés par la Cour de Cassation.

Intérêt de la décision

L’intérêt de la décision est double, sur la question de l’évaluation du taux de l’incapacité permanente.

La cour du travail confirme, en effet, l’ensemble des décisions rendues en matière d’accidents du travail successifs, étant qu’il y a lieu, dans de telles hypothèses, de retenir le principe de l’indifférence de l’état antérieur, l’indemnisation étant acquise dès que l’accident du travail constitue la cause au moins partielle de l’incapacité.

La cour applique les mêmes principes à la maladie professionnelle, qui va donc entraîner réparation dès lors qu’elle est une cause partielle de l’incapacité. Si le travailleur a été, précédemment, victime d’un accident du travail, il y a indifférence de l’état antérieur lorsqu’il sollicite le bénéfice d’une réparation dans le cadre des maladies professionnelles.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be