Terralaboris asbl

Modification des critères de reconnaissance d’une maladie professionnelle et action en revision de l’indemnisation

Commentaire de C. trav. Liège, 24 avril 2006, R.G. 33.648/2005

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Liège, 24 avril 2006, R.G. n° 33.648/05

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 24 avril 2006, la cour du travail de Liège a rappelé que la modification des critères de reconnaissance d’une maladie professionnelle ne peut en rien affecter les conditions de l’action en révision de la maladie précédemment reconnue.

Les faits

Un travailleur fut reconnu atteint d’une maladie professionnelle en 1995 pour une affection ostéo-articulaire provoquée par les vibrations mécaniques au niveau de l’axe vertébral. Il reçut alors une indemnité d’incapacité permanente de travail de 6% (5% d’incapacité physique et 1% de facteurs socio-économiques).

Par décision de revision ultérieure, le F.M.P. porta le taux d’incapacité à 16% à partir d’octobre 1998.

L’intéressé introduisit alors, le 1er septembre 2003, une nouvelle demande de revision pour l’aggravation de la pathologie, qui sur le seul plan physique porterait l’indemnisation à 16%.

Le F.M.P. confirma sa décision précédente, le motif de celle-ci, tel que repris dans l’arrêt, étant que les critères de reconnaissance de la maladie professionnelle avaient changé depuis la dernière décision et que le Fonds entendait faire application de la notion de précocité (selon les critères qu’il appliquait à celle-ci) en vertu d’une modification du texte légal introduite par l’arrêté royal du 2 août 2002.

La position du tribunal

Le premier juge considéra que la demande en revision ayant pour objet d’examiner si, une fois la maladie professionnelle admise, l’incapacité de travail s’était ou non modifiée, l’action devait être reçue et que la situation de la victime devait être réévaluée par un expert médecin en ce qui concerne la réalité et l’importance de l’aggravation invoquée.

Les positions des parties en appel

Le F.M.P. soutenait en substance, pour s’opposer à l’expertise, que :

  • un arrêté royal était intervenu le 2 août 2002, soit avant l’introduction de la demande de revision et qu’il y avait dès lors lieu d’en appliquer les dispositions, étant que l’intéressé devait prouver qu’il était atteint d’une affection de la colonne lombaire, associée à des lésions dégénératives précoces provoquées par les vibrations mécaniques transmises au corps par le siège (terminologie de l’arrêté royal du 2 août 2002) ;
  • tel n’était pas le cas en l’espèce, d’autant que la première décision, datant de novembre 1995, avait établi que les lésions n’avaient été constatées qu’à partir de 1994, alors que l’intéressé avait plus de 47 ans ;
  • un argument supplémentaire pouvait être tiré des dispositions de la Charte de l’assuré social, qui habilite l’institution de sécurité sociale à remettre en cause une indemnisation octroyée, dès lors qu’existent des faits nouveaux.

En substance donc, le F.M.P. faisait grief au premier juge d’avoir interrogé l’expert sur l’aggravation de l’incapacité permanente de travail résultant d’une affection à la colonne lombaire, puisque, telle quelle, elle ne constituait plus une maladie professionnelle. Il faisait également valoir que, soucieux de respecter les droits acquis, il maintiendrait l’indemnisation définitivement accordée avant l’entrée en vigueur de la modification de la liste des maladies professionnelles.

Il développait, subsidiairement, une thèse relative à la mission d’expertise, demandant que l’expert se prononce en premier lieu et préalablement sur le respect de l’exigence de précocité et donc sur l’existence même de la maladie professionnelle au regard des nouvelles dispositions régissant les maladies localisées au niveau de l’axe vertébral.

L’intéressé sollicitait quant à la lui la confirmation du jugement.

La décision de la cour

La cour rappelle que l’hypothèse de l’aggravation d’une maladie professionnelle est appréhendée par l’article 35 bis des lois coordonnées du 3 juillet 1970. Il en découle que la demande de revision a un objet bien déterminé : faire apprécier si l’incapacité permanente s’est aggravée ou non et faire adapter en conséquence le montant de l’allocation annuelle. Les juridictions ont donc une appréciation limitée, de même qu’en cas de revision d’office opérée par le Fonds dans le cadre de l’article 52 des mêmes lois.

En conséquence, une procédure en revision ne peut déboucher sur l’examen du maintien ou non de la qualification de la maladie professionnelle appliquée à l’affection dont le malade reste physiquement atteint, et ce à la lumière de critères nouveaux, intervenus entre-temps. Cette possibilité n’existe pas dans le cadre des lois coordonnées. La cour précise que si d’aventure elle avait été prévue par l’arrêté royal du 2 août 2002 (quod non), une telle disposition devrait être déclarée illégale parce que contraire à celles-ci.

La référence à l’article 2 du Code civil, que faisait le Fonds des maladies professionnelles, est par ailleurs inopérante. La cour rappelle que cette disposition énonce que la loi ne dispose que pour l’avenir et qu’elle n’a point d’effet rétroactif et la Cour de Cassation en a explicité les principes comme visant les situations qui naissent à partir de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle mais également les effets futurs de situations nées sous le régime de la loi antérieure, qui se produisent ou se prolongent sous l’empire de la loi nouvelle pour autant que cette application ne porte pas atteinte à des droits déjà irrévocablement fixés. Les mêmes principes sont appliqués par la cour suprême en cas de réglementation nouvelle (Cass., 9 janv. 1995, J.T.T., 1995, p. 251).

En l’espèce, la reconnaissance de la maladie professionnelle en vertu de critères réglementaires anciens constitue une situation définitivement clichée, et ce sous l’empire de ces critères. Il ne faut pas confondre cette situation avec les effets futurs qu’elle produit et elle ne peut être elle-même remise en question en fonction d’une réglementation nouvelle.

Quant à la Charte de l’assuré social, qui permet à l’institution de sécurité sociale de rapporter une décision et d’en prendre une nouvelle, elle est inapplicable puisqu’il s’agirait de rapporter la décision intervenue en novembre 1995 par laquelle le Fonds a reconnu que l’intéressé est atteint de la maladie professionnelle en cause.

Pour la cour, c’est à tort que le F.M.P. soutient que l’action en revision serait sans fondement au motif que la maladie dont souffre l’intéressé ne pourrait plus être qualifiée de maladie professionnelle, et ce quand bien même il marquerait accord pour lui assurer le bénéfice de son indemnisation antérieure.

La cour confirme dès lors la décision du premier juge, en ce compris sur les termes de la mission.

Intérêt de la décision

L’intérêt de la décision est évident, et ce à au moins deux titres :

  • une fois reconnue la maladie professionnelle, la cour rappelle qu’il s’agit d’une situation définitivement acquise et que l’action en rrvision a un objet limité, étant de déterminer si une aggravation est intervenue et d’adapter le taux de l’indemnisation en conséquence ;
  • le litige ici tranché (et dont la nature a donné lieu à divers recours du même type) peut encore resurgir, si l’on sait qu’après la modification apportée par l’arrêté royal du 2 août 2002, d’autres sont intervenues dans l’énumération des maladies professionnelles donnant lieu à réparation et notamment l’arrêté royal du 27 décembre 2004 (Moniteur belge, 9 février 2005), qui reconnaît en tant que maladie professionnelle la sciatalgie consécutive à une hernie discale provoquée soit par le port de charges lourdes, soit l’exposition à des vibrations mécaniques affectant la région lombaire. De nombreux travailleurs manuels sont susceptibles d’être visés par ces pathologies.

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