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Le télétravail est-il assimilable au travail à domicile ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 2 juillet 2019, R.G. 2018/AB/278

Mis en ligne le lundi 3 février 2020


Cour du travail de Bruxelles, 2 juillet 2019, R.G. 2018/AB/278

Terra Laboris

Dans un arrêt du 2 juillet 2019, la Cour du travail de Bruxelles reprend les dispositions du titre VI de la loi du 3 juillet 1978 relatif au travail à domicile, précisant que celles-ci, ainsi que repris à l’article 119.1, § 2, ne sont pas applicables aux travailleurs visés par la convention collective de travail sur le télétravail conclue au sein du Conseil National du Travail : un télétravailleur ne peut dès lors réclamer l’indemnité forfaitaire de 10% de la rémunération au titre de remboursement de frais.

Les faits

Un contrat de travail à durée indéterminée lie une employée et une société de softwares. Sa fonction évolue et, conformément à une réglementation interne en matière de bonus, lui est octroyé, en plus d’une rémunération fixe, un variable de son salaire annuel brut. En 2011, la possibilité lui est donnée de travailler à domicile, à partir des moyens informatiques de l’entreprise.

Elle sera licenciée quatre ans plus tard, en 2015, avec paiement d’une indemnité compensatoire de préavis et une offre d’outplacement.

Quelque temps après le licenciement, l’organisation syndicale à laquelle l’intéressée est affiliée fait parvenir un courrier à la société, demandant, outre les intérêts sur l’indemnité compensatoire de préavis (qui n’avait pas été payée immédiatement), d’autres sommes suite à la rupture. Parmi celles-ci figure une demande de paiement de l’ordre de 55.000 euros au titre de frais pour travail à domicile.

La société refuse de faire droit à ces chefs de demande, de telle sorte qu’une requête contradictoire est déposée devant le Tribunal du travail de Leuven.

Parmi les chefs de demande, figure cette indemnité pour travail à domicile, fixée alors à 30.000 euros nets.

Le tribunal du travail a rendu un jugement le 26 octobre 2017, faisant droit à la demande d’intérêts sur l’indemnité compensatoire de préavis. Il a également condamné la société au paiement de 1 euro provisionnel au titre d’indemnité forfaitaire pour travail à domicile. Il a rouvert les débats.

La société a interjeté appel.

La décision de la cour

La cour aborde très brièvement la question des intérêts sur l’indemnité compensatoire de préavis, confirmant le jugement sur ce point.

Elle examine, ensuite, l’article 119.6 de la loi du 3 juillet 1978, qui prévoit, à titre subsidiaire, c’est-à-dire à défaut de convention collective de travail conclue conformément à la loi du 5 décembre 1968, un forfait de 10% de la rémunération au titre de remboursement de frais inhérents au travail à domicile, sauf pour le travailleur à établir, à l’aide de pièces justificatives, que les frais réels sont supérieurs.

La définition du travailleur à domicile est donnée à l’article 119.1, celui-ci disposant qu’est réglée au titre VI de la loi (qui chapeaute ces dispositions) l’occupation des travailleurs à domicile qui, sous l’autorité de l’employeur, fournissent un travail contre rémunération, à leur domicile ou à tout autre endroit choisi par eux, sans qu’ils soient sous la surveillance ou le contrôle direct de cet employeur. Le contrat en cause peut être un contrat d’ouvrier ou d’employé au sens de la loi.

L’article 119.1 contient en son § 2 une exclusion expresse du bénéfice des dispositions en cause pour ce qui est des travailleurs auxquels s’applique la convention collective sur le télétravail conclue au sein du Conseil National du Travail.

La cour rappelle que ce paragraphe a été introduit par la loi du 20 juillet 2006, entré en vigueur le 28 juillet 2006. Elle rejette dès lors les références doctrinales faites par l’employée, antérieures à cette modification législative, dans la mesure où celle-ci a adapté la réglementation du travail à domicile en tenant compte de l’hypothèse du télétravail, eu égard précisément à la convention collective nationale couvrant ce mode de travail. Il s’agit de la C.C.T. n° 85 du C.N.T. du 9 novembre 2005 (qui a fait l’objet d’une modification par la C.C.T. n° 85bis du 27 février 2008).

La cour reprend dès lors les dispositions pertinentes de ce texte. Son article 2 définit le télétravail comme étant une forme d’organisation et/ou de réalisation du travail, utilisant les technologies de l’information, dans le cadre d’un contrat de travail, dans laquelle un travail, qui aurait également pu être réalisé dans les locaux de l’employeur, est effectué hors de ces locaux de façon régulière et non occasionnelle.

En vertu de l’article 4, le télétravail peut être réalisé au domicile du télétravailleur ou en tout autre lieu choisi par lui.

Pour la cour, qui renvoie à la doctrine (L. HELLEMANS et E. KARREMAN, Telewerk en huisarbeid, coll. E.P.S., Kluwer, Malines, 2018, n° 10), la différence essentielle entre un travailleur à domicile et un télétravailleur est que ce dernier utilise les moyens modernes de télécommunication qui lui sont nécessaires, ce qui n’est pas le cas pour le travailleur à domicile.

Tel est bien le cas en l’espèce, ainsi qu’il ressort du dossier. L’intéressée se trouvait par ailleurs sous l’autorité de l’employeur, celui-ci pouvant suivre son activité, précisément via les moyens informatiques mis à sa disposition.

La cour relève encore l’article 5 de la convention collective, selon lequel le télétravail est volontaire pour le travailleur et l’employeur concernés. En l’occurrence, l’intimée, qui travaillait précédemment dans son bureau à Heverlee, aurait pu, lorsque celui-ci a été fermé, être mutée vers Vilvorde. Elle a cependant choisi d’effectuer le travail à partir de son domicile, via les moyens mis à sa disposition par son employeur.

La cour rejette dès lors que la nature de sa fonction (gestion complète des activités liées à la responsabilité d’un « staff product controller ») soit de nature à modifier sa conclusion.

En outre, elle relève que l’article 8 du contrat prévoyait un défraiement.

La cour règle également deux questions relatives à la demande originaire, pour lesquelles l’intéressée avait été déboutée par jugement, s’agissant d’un complément d’indemnité compensatoire de préavis et d’un bonus (majoré du pécule de vacances). Ces deux chefs de demande sont rejetés.

Il est conclu, dès lors, à la réformation du jugement, sauf sur la question des intérêts.

Intérêt de la décision

La demande introduite, tendant à l’assimilation de la situation du télétravailleur au travailleur à domicile, se heurte au texte de l’article 119.1, § 2, de la loi du 3 avril 1978, puisque celui-ci dispose expressément que les articles 119.3 à 119.12 ne sont pas applicables aux travailleurs auxquels s’applique la convention collective sur le télétravail conclu au sein du C.N.T. Les articles 119.3 et suivants règlent l’obligation pour l’employeur de mettre à la disposition du travailleur, s’il y a lieu, l’aide, les instruments et les matières nécessaires à l’exécution du travail, ainsi que de payer la rémunération convenue (119.3), les obligations formelles permettant de qualifier le contrat de « contrat d’occupation de travailleur à domicile » (119.4) et la possibilité pour le travailleur, en cas de non-respect, de mettre fin au contrat sans préavis ni indemnité (119.5).

Le forfait de 10% de la rémunération est prévu à l’article 119.6. Il est destiné à couvrir forfaitairement le remboursement des frais inhérents au travail à domicile, et ce sauf si le travailleur prouve, à l’aide de pièces justificatives, qu’il a dû exposer des frais réels supérieurs.

Les articles suivants visent essentiellement d’autres obligations contractuelles et légales (rémunération, incapacité de travail, congés, etc.).

La jurisprudence sur le contrat de travail à domicile n’est pas abondante. L’on peut relever un arrêt de la Cour de cassation du 27 février 2017 (Cass., 27 février 2017, n° S.15.0134.F), qui a rappelé l’obligation pour le travailleur qui demande le remboursement de ses frais de prouver l’exécution du travail à domicile qu’il allègue.

La Cour suprême avait également jugé, dans un arrêt du 13 avril 2015 (Cass., 13 avril 2015, n° S.14.0023.N), qu’en cas de rupture par le travailleur à domicile sans préavis ni indemnité, vu le non-respect de l’article 119.4, le forfait des 10% de rémunération prévu relatif au remboursement des frais inhérents au travail à domicile était néanmoins dû.

Il s’agit de deux décisions interprétant deux points spécifiques du statut du travailleur à domicile. A notre connaissance, c’est par cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 2 juillet 2019 qu’il est pour la première fois statué sur l’article 119.6 et son exclusion expresse relative aux télétravailleurs.

Relevons, enfin, que la distinction nous semble pleinement justifiée et l’extension au télétravailleur des dispositions applicables au travailleur à domicile d’autant plus malaisée qu’il s’agit de deux contrats de travail de nature distincte : le télétravail (décidé d’un commun accord entre l’employeur et le travailleur) ne modifie pas le contrat (en l’occurrence d’employé) liant les parties, alors que, dès l’origine, le contrat de travail à domicile a un statut spécifique dans la loi, faisant l’objet d’un titre à part (Titre VI).


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