Terralaboris asbl

Qu’entend-on par « séjour illégal » ?

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. La Louvière), 17 avril 2019, R.G. 18/1.543/A

Mis en ligne le vendredi 31 janvier 2020


Tribunal du travail du Hainaut (division La Louvière), 17 avril 2019, R.G. 18/1.543/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 17 avril 2019, le Tribunal du travail du Hainaut (division La Louvière) refait le point sur la notion de séjour irrégulier et de séjour illégal, situation qui conditionne l’étendue de l’aide sociale.

Les faits

Une citoyenne de nationalité russe introduit une demande d’asile en Belgique en 2016. Celle-ci est rejetée par l’Office des Etrangers, décision confirmée par le Conseil du Contentieux des Etrangers. Elle fait ensuite une demande de régularisation de séjour sur pied de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 (circonstances exceptionnelles).

Cette demande est déclarée recevable et une attestation d’immatriculation est délivrée à l’intéressée. Le C.P.A.S. compétent est ainsi en mesure de reconnaître le droit à une aide sociale pendant la procédure. La décision de l’Office des Etrangers, rendue neuf mois plus tard, conclut au non-fondement de la demande, et ce au motif que les soins nécessaires au traitement des affections dont souffre l’intéressée sont disponibles et accessibles en Fédération de Russie.

Elle se voit dès lors notifier un ordre de quitter le territoire.

Un recours est introduit devant le Conseil du Contentieux des Etrangers (recours apparemment toujours pendant au moment où le tribunal statue).

En conséquence de la notification de l’ordre de quitter le territoire, le C.P.A.S. a décidé d’arrêter l’octroi de l’aide sociale (équivalente au revenu d’intégration au taux cohabitant).

Une requête en contestation est dès lors introduite devant le Tribunal du travail du Hainaut, le C.P.A.S. réclamant en outre un remboursement d’indu.

La décision du tribunal

Sur le plan des principes, le tribunal rappelle que l’article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976 organique des C.P.A.S. fait une distinction en matière d’aide sociale entre les étrangers selon qu’ils séjournent légalement ou illégalement sur le territoire, ces derniers ne pouvant bénéficier que de l’aide médicale urgente.

Il relève que la loi ne définit pas ce qu’il faut entendre par « séjour illégal », le renvoi étant fait à la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers.

Pour les demandeurs d’asile, le séjour illégal est subordonné à deux conditions, étant (i) le rejet de la demande et (ii) la notification d’un ordre de quitter le territoire.

Pour les autres catégories d’étrangers, le séjour illégal ne requiert pas la notification d’un O.Q.T. (le tribunal renvoyant à un arrêt de la Cour du travail de Liège du 10 janvier 2017, J.T.T., 2017, p. 140).

Par « séjour illégal », il faut entendre le séjour sans autorisation d’entrer sur le territoire, d’y séjourner ou de s’y établir, ou encore sans se trouver dans une des catégories admises de plein droit au séjour. Il peut s’agir d’entrer sur le territoire sans autorisation et/ou de présence sur celui-ci dans la clandestinité, de séjour après l’expiration de la période couverte par une autorisation ad hoc, ou encore de présence après que – la demande d’asile ayant échoué – il n’ait pas été donné suite à l’ordre de quitter le territoire.

Dans la mesure où celui-ci a été notifié, l’autorisation de séjour donnée sur la base de l’article 9ter cesse de produire ses effets, vu le rejet de la demande. L’intéressé ne peut, dès lors, prétendre qu’à l’aide médicale urgente.

Cependant, pour les étrangers qui, pour des raisons indépendantes de leur volonté, sont empêchés de rentrer dans leur pays d’origine, il entre dans la mission des C.P.A.S. de leur assurer l’aide sociale, et ce jusqu’au moment où ils seront en mesure de quitter effectivement le territoire (le tribunal renvoyant à diverses décisions, dont les arrêts du 7 octobre 2002 et 7 juin 2004 de la Cour de cassation).

Entrent dans cette hypothèse les étrangers qui ne peuvent être contraints de quitter le territoire pour des raisons médicales, pour des raisons indépendantes de leur volonté, ou encore en vertu d’une disposition légale interdisant leur éloignement.

Il doit s’agir d’une impossibilité absolue et, dans l’hypothèse de raisons médicales, le tribunal rappelle que celles-ci s’apprécient par rapport à la gravité de l’état de santé et, également, après examen de la disponibilité tant médicale qu’économique d’un traitement adéquat dans le pays, celui-ci pouvant par ailleurs exister et être appliqué mais n’être concrètement accessible sur le plan économique qu’à une partie infime de la population.

En l’espèce, l’intéressée estime qu’elle ne pourrait pas avoir accès auxdits soins si elle se trouvait en République de Russie. Le tribunal, qui passe à l’examen de la preuve de l’impossibilité médicale absolue de quitter le territoire, constate que l’intéressée n’apporte cependant pas les éléments exigés, n’établissant par aucun document probant ni l’impossibilité de recevoir les soins en cause ni l’inaccessibilité de ceux-ci.

Elle n’établit dès lors pas que l’exécution de l’ordre de quitter le territoire serait susceptible de l’exposer à un risque sérieux de détérioration grave et irréversible de son état de santé.

Le tribunal conclut en conséquence à la justification du retrait de l’aide qui avait été allouée.

Sur le plan de la récupération, il rappelle les articles 97 et suivants de la loi organique. Ces dispositions, lues conjointement avec l’article 60, § 1er, alinéa 2, de la loi (qui impose au demandeur de fournir au C.P.A.S. tous renseignements utiles sur sa situation, étant de l’informer de tout élément nouveau susceptible d’avoir une répercussion sur l’aide accordée), autorisent la récupération de l’indu.

Il constate que la demanderesse a omis de signaler le non-renouvellement de son titre de séjour au-delà d’une date déterminée et que cette omission est à l’origine de l’indu. Aucune faute ne peut être reprochée au C.P.A.S. et l’article 17 de la Charte de l’assuré social ne trouve pas à s’appliquer.

Intérêt de la décision

Ce jugement du Tribunal du travail du Hainaut (division la Louvière) rappelle de manière claire les principes en la matière, étant d’une part les droits du demandeur d’asile à une aide sociale pendant la procédure, à partir de la décision de recevabilité de la demande, l’article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976 ne trouvant plus à s’appliquer à partir de ce moment. Il reprend cependant ses droits si la demande est rejetée (décision sur le fond) et si un ordre de quitter le territoire est notifié.

L’aide sociale accordée après cette date constitue un indu, susceptible de remboursement.

Le tribunal rappelle également qu’en dehors du cadre de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980, le C.P.A.S. peut être amené à intervenir si des raisons sont exposées par le demandeur, l’empêchant de quitter le territoire. Ces raisons peuvent être d’ordre médical (le tribunal renvoyant à C. const., 30 juin 1999, n° 80/99), indépendantes de la volonté du demandeur (Cass., 18 décembre 2000, n° S.98.0010.F) ou dues à une disposition légale interdisant l’éloignement (Cass., 7 juin 2004, n° S.03.0008.N, notamment).


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be