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Absence de capacité de travail dans le secteur AMI : la position de la Cour du travail de Liège

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 26 avril 2019, R.G. 2017/AL/432

Mis en ligne le vendredi 31 janvier 2020


Cour du travail de Liège (division Liège), 26 avril 2019, R.G. 2017/AL/432

Terra Laboris

Dans un arrêt du 26 avril 2019, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle le silence du législateur quant au moment où doit s’apprécier la capacité de gain au sens de l’article 100, § 1er, alinéa 1er, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 et conclut que cette preuve peut être apportée par l’ensemble des éléments versés au dossier, même si l’intéressée ne peut prouver, pour l’époque concernée, des prestations de travail effectives de plusieurs mois.

Les faits

Une assurée sociale a reçu quatre décisions de son organisme assureur AMI, considérant qu’elle ne pouvait être reconnue en incapacité de travail. La période initialement visée débute le 19 septembre 2014. L’intéressée ayant cependant repris le travail comme travailleuse intérimaire le 15 octobre, l’organisme assureur divise alors cette période en deux parties, la première précédant ce travail intérimaire et l’autre débutant à la fin de celui-ci.

Les motifs de refus de reconnaissance sont relatifs d’une part à la déclaration tardive d’incapacité ainsi qu’à un certificat médical insuffisant et, d’autre part, pour l’une d’entre elles, au fait que la cessation des activités n’est pas ou n’est plus la conséquence directe du début ou de l’aggravation de lésions ou de troubles fonctionnels. Une fin de reconnaissance avait en effet été actée le 1er juillet 2013 pour état antérieur de non-capacité de gain. Il est fait grief à l’intéressée de ne pas établir une période de travail suffisamment longue et ininterrompue.

Un recours ayant été introduit devant le Tribunal du travail de Liège, un expert a été désigné, la question posée étant de savoir si la demanderesse avait jamais eu une capacité de gain sur le marché du travail, et ce en raison d’un état antérieur (affection de nature psychiatrique). Les éléments relatifs au travail effectué indiquaient 110 heures de prestations entre 2007 et 2012.

L’expert a déposé un rapport de carence, vu un incident d’expertise, et a demandé à être déchargé de sa mission.

La demanderesse a alors été déboutée de son recours et a interjeté appel.

La décision de la cour

La cour constate que se pose la question de la capacité de travail et, notamment, de la date à laquelle celle-ci doit être constatée, l’organisme assureur considérant que ceci doit l’être au moment de la déclaration d’incapacité de travail elle-même.

La cour examine ensuite les expériences professionnelles de l’intéressée, qui a travaillé en 2008 comme intérimaire pendant 23 jours, en 2009 pendant une dizaine de jours, connaissant à l’époque des problèmes de santé. Quelques jours de travail sont encore enregistrés en 2014 et 2015, l’appelante suivant occasionnellement une formation professionnelle. La cour constate qu’à partir de 2016, sa situation est plus stable, celle-ci étant engagée pour plusieurs mois d’affilée.

Elle en vient ensuite à l’examen de l’article 100, § 1er, alinéa 1er, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, qui renferme les conditions permettant de retenir qu’il y a incapacité de travail au sens légal. La cour rappelle les trois conditions de base, étant que (i) il faut avoir cessé toute activité, (ii) cette cessation doit être la conséquence directe du début ou de l’aggravation de lésions ou troubles fonctionnels et (iii) ceux-ci doivent engendrer une réduction de deux tiers au moins de la capacité de gain.

La particularité du dossier est l’application de cette disposition en présence d’un état antérieur.

La cour rappelle la modification intervenue dans la réglementation par l’arrêté royal du 23 mars 1982, qui a posé une condition supplémentaire par rapport au texte antérieur, étant une condition de causalité. Il en découle qu’un large courant de jurisprudence a souligné que l’exigence de ce lien causal direct suppose que le travailleur justifie d’une capacité de gain de plus d’un tiers au moment de son entrée sur le marché du travail. L’aggravation d’un état de santé qui réduit à néant une capacité déjà inexistante n’ouvre en effet pas le droit au bénéfice des indemnités prévues par l’article 100.

Cet examen passe par la démonstration par l’intéressée qu’elle a exécuté des prestations de travail et que celles-ci sont « conséquentes », l’aggravation invalidante de son état étant intervenue après l’entrée sur le marché du travail. La personne doit également avoir présenté une capacité suffisante entre le moment de cette entrée et la survenance de l’affection invalidante.

Renvoyant à la jurisprudence de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 9 janvier 2014, R.G. 2013/AM/206), la cour précise la définition de l’entrée sur le marché du travail comme suit : c’est le moment où la personne qui quitte le milieu scolaire tente d’acquérir des moyens d’existence grâce à un travail régulier ou encore le moment où elle se déclare prête à les acquérir en étant disposée à effectuer un tel travail. Il est généralement exigé que la preuve de cette capacité de gain soit apportée par celle de prestations accomplies pendant une durée significative.

La cour se pose cependant la question de savoir si l’existence de la capacité de gain ne peut être démontrée autrement.

Renvoyant à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 11 juin 2009 (C. trav. Bruxelles, 11 juin 2009, R.G. 50.928), elle considère que fixer à la date d’entrée sur le marché du travail le moment auquel doit être évaluée l’existence d’un état antérieur invalidant revient à ajouter à la loi une condition qu’elle ne contient pas, celle-ci étant en outre susceptible de créer des discriminations entre assurés sociaux. Le même arrêt de la Cour du travail de Bruxelles souligne que le seul critère légal est celui qui découle de l’exigence posée par l’article 100, § 1er, alinéa 1er, étant exclusivement de vérifier la présence du lien causal direct requis entre la cessation d’activité et le début ou l’aggravation d’une lésion ou d’un trouble fonctionnel ayant entraîné la perte d’une capacité de travail préexistante.

Comme le relève la Cour du travail de Liège, il a également été admis par la Cour du travail de Bruxelles, dans un arrêt du 21 décembre 2006 (C. trav. Bruxelles, 21 décembre 2006, R.G. 43.978), que, s’il est exact que le bénéfice d’allocations de chômage ne constitue pas une présomption irréfragable d’une capacité de gain, le fait de n’avoir jamais travaillé, malgré des recherches d’emploi, ne suffit pas pour démontrer que l’intéressé n’a jamais eu cette capacité au sens de l’article 100, § 1er, de la loi coordonnée. C’est concrètement et sans a priori ni pétition de principe que doit être examinée la situation de l’assuré social au regard de l’ensemble des pièces produites. Il est également renvoyé à un arrêt de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, div. Liège, 11 janvier 2016, R.G. 2015/AL/160), l’apport de cette jurisprudence étant d’attirer l’attention sur la circonstance que la loi ne précise pas quand la capacité de gain s’apprécie dans l’hypothèse d’un état antérieur.

Un assuré social qui a présenté une capacité de gain, même faible, à l’âge adulte – fût-ce avant son accession au marché du travail – ne peut être reconnu comme présentant un état antérieur au sens de la réglementation.

Reste dès lors, pour la cour, à vérifier si en l’espèce l’intéressée a présenté ou non une capacité de gain au moment de son accession au marché du travail, quand bien même ne peut-elle prouver à cette époque des prestations effectives de plusieurs mois.

En l’espèce, est retenue une « sérieuse pathologie » à partir de l’âge de 18 ans, qui a conduit à plusieurs hospitalisations et mises en observation, la cour constatant cependant qu’elle a déployé des efforts croissants d’intégration sur le marché du travail (job d’étudiant, intérim de courte durée, prestations un peu soutenues ensuite, formation et, enfin, insertion plus durable dans le cadre de contrats d’intérim et de contrats à durée déterminée).

Pour ce qui est de la désignation d’un nouvel expert, la cour adresse une mise en garde à l’appelante, soulignant que l’incident d’expertise relaté ne pouvait être toléré et qu’elle est tenue d’offrir sa pleine collaboration à l’expert qui est désigné.

Intérêt de la décision

Cet arrêt fait le point sur la délicate question de l’absence de capacité de gain susceptible de refuser le bénéfice des indemnités légales, vu les conditions posées par l’article 100, § 1er, alinéa 1er, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994.

La question posée est double, étant de savoir à quel moment doit s’apprécier cette capacité de gain et, par ailleurs, comment l’apprécier.

Des décisions de jurisprudence ont retenu l’importance quantitative des périodes de travail prestées et ont en fin de compte admis (ou rejeté) l’absence de capacité de gain eu égard à l’intégration de la personne sur le marché du travail, celle-ci étant exclusivement appréciée à partir de ce critère. La cour, citant des décisions de la Cour du travail de Bruxelles et, également, de la propre Cour du travail de Liège, est d’avis que le fait de n’avoir jamais travaillé ne suffit pas pour démontrer qu’il n’y a jamais eu de capacité de gain au sens de la disposition légale. Relevant le silence du législateur sur le moment où cette capacité de gain s’apprécie dans l’hypothèse d’un état antérieur, la cour fait sienne la position selon laquelle un assuré social qui a présenté une capacité de gain, même faible, à l’âge adulte – fût-ce avant son accession au marché du travail –, ne peut être reconnu comme présentant un état antérieur.

Il s’agit, dès lors, d’apprécier cette capacité sur la base des éléments au dossier, et ce quand bien même l’intéressé ne peut prouver à l’époque des prestations de travail effectives de plusieurs mois.


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