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Commissions payées par un tiers à la relation de travail sur des ventes : un nouvel arrêt de la Cour de cassation

Commentaire de Cass., 20 mai 2019, n° S.18.0063.F

Mis en ligne le vendredi 29 novembre 2019


Cour de cassation, 20 mai 2019, n° S.18.0063.F

Terra Laboris

Dans un arrêt du 20 mai 2019, la Cour de cassation rejette un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 7 mars 2018 (R.G. 2015/AB/316), qui avait fait droit à la demande de l’O.N.S.S. d’assujettir des avantages payés par un tiers (fabricant) à des employés d’une société de distribution des produits en cause (produits cosmétiques), étant des primes sur ventes.

Les faits à la base du litige

Le litige a débuté en 2013, l’O.N.S.S. ayant signifié son intention de procéder à une régularisation d’office sur pied de l’article 22 de la loi du 27 juin 1969 concernant des commissions versées à des employés d’une chaîne de distribution dans le secteur de la parfumerie, ces commissions leur étant payées par le fabricant.

Pour l’O.N.S.S., ces commissions constituent de la rémunération au sens de l’article 2 de la loi du 12 avril 1965, étant qu’il s’agit de sommes dues en raison de l’engagement. Il rappelle que la rémunération ne doit pas nécessairement être payée par l’employeur.

La régularisation porte sur des montants très importants sur le plan financier (près de 750.000 euros).

La société a introduit un recours devant le Tribunal du travail de Bruxelles, recours dont elle a été déboutée.

L’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 7 mars 2018

La cour du travail va rejeter l’appel de la société. Elle renvoie essentiellement à l’article 36 de l’arrêté royal du 28 novembre 1969 d’exécution de la loi du 27 juin 1969. Celui-ci dispose que, lorsqu’une fraction de la rémunération est payée par un tiers, ce tiers est substitué à l’employeur pour l’accomplissement de toutes les obligations relatives à celle-ci, obligations qui incombent à l’employeur en vertu de la réglementation. Si le tiers a fourni à l’employeur tous les renseignements requis pour lui permettre de faire la déclaration dans le délai réglementaire et qu’il lui a transmis le montant des retenues dès qu’elles ont été effectuées sur la rémunération, il est déchargé de ces obligations. Si, cependant, il n’a pas fait usage de cette possibilité, il doit communiquer à l’employeur, immédiatement après le paiement, le montant brut des rémunérations versées. En tout état de cause, il y a lieu de payer les cotisations de sécurité sociale.

Ceci suppose cependant que les sommes versées aient un caractère rémunératoire et la cour rappelle les trois conditions prévues à l’article 2 de la loi du 12 avril 1965, étant que le travailleur doit y avoir droit, et ce en raison de son engagement et à charge de l’employeur.

Renvoi est fait par la cour aux deux arrêts rendus par la Cour de cassation le 20 avril 1977, dont essentiellement celui (Cass., 20 avril 1977, n° 1984), où elle a précisé que le droit à la contrepartie du travail fourni est la conséquence nécessaire de l’exécution du travail. La cour renvoie également à un arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2016 (Cass., 10 octobre 2016, n° S.15.0118.N), où celle-ci a rappelé qu’un tiers prenne en charge l’avantage financier en cause et non l’employeur – ni directement ni indirectement – est sans incidence.

En l’espèce, il s’agit de primes et la cause celles-ci est le travail lui-même. La cour retient que les vendeuses ne fournissent aucune autre prestation pour la société fabricante, qu’elles n’ont pas de contacts avec les responsables de la société ailleurs que sur leur lieu de travail, aucune relation contractuelle n’étant nouée. Elle conclut au caractère rémunératoire des primes en tant que contrepartie du travail fourni.

Le fait de ne pouvoir faire valoir un droit à l’égard de l’employeur n’a pas pour conséquence d’ôter à celles-ci leur caractère rémunératoire.

Est encore indifférent que ce qui a été octroyé en contrepartie du travail effectué ne serait pas à charge de l’employeur.

L’arrêt de la Cour de cassation

La Cour rejette le pourvoi (qui contient un seul moyen).

Elle rappelle en premier lieu que l’obligation de l’employeur de payer la rémunération n’est pas un élément distinct de la notion de rémunération, mais une conséquence nécessaire de l’exécution d’un travail en vertu du contrat de travail. Il n’est pas compatible avec la nature du contrat de travail et avec la notion de rémunération de considérer que l’employeur n’a pas l’obligation de payer celle-ci, qui est la contrepartie du travail fourni en exécution du contrat.

La Cour rappelle ensuite la notion de rémunération reprise à l’article 2 de la loi du 12 avril 1965, qui étend la notion de rémunération aux avantages en argent ou évaluables en argent auxquels le travailleur a droit à charge de l’employeur en raison de l’engagement, bien qu’ils ne constituent pas cette contrepartie. La rémunération allouée pour le travail effectué en raison du contrat de travail constitue dès lors de la rémunération au sens de l’article 2 et, en vertu des articles 14 de la loi du 27 juin 1969 et 23 de la loi du 29 juin 1981, elle entre en ligne de compte pour le calcul des cotisations de sécurité sociale.

Pour la Cour de cassation, la cour du travail a considéré – sans être critiquée – que les primes versées par le fabricant aux employés de la société de distribution, qu’elle a chargés de vendre ses produits, constituent une « contrepartie du travail effectué en exécution du contrat de travail existant entre les employés (…) et la [société de distribution], dès lors que les employés ne fournissent [au fabricant] aucune prestation autre que celles qui sont prévues dans ce cadre, que c’est à l’occasion de ces prestations qu’ils vendent les produits et qu’il n’est pas allégué qu’ils entreraient en contact avec les responsables de [cette société] ailleurs que sur leur lieu de travail ».

La Cour ajoute que l’arrêt n’était pas tenu de vérifier autrement que les employés avaient droit aux primes à charge de la société et qu’il décide légalement par sa motivation que les primes constituent de la rémunération au sens des dispositions ci-dessus.

Intérêt de la décision

L’arrêt de fond a été précédemment commenté. Nous avons renvoyé dans ce commentaire à l’arrêt de la Cour de cassation auquel la cour du travail s’était également référée (Cass., 10 octobre 2016, n° S.15.0118.N), s’agissant d’une société d’un groupe de presse qui octroyait à ses employés des abonnements à prix réduit ou gratuits pour des publications d’autres sociétés du même groupe. L’Office avait considéré dans cette affaire qu’il fallait assujettir ces avantages à la sécurité sociale et la Cour de cassation a confirmé dans son arrêt du 10 octobre 2016 que la circonstance que l’avantage soit payé par un tiers n’est pas de nature à retirer à celui-ci son caractère rémunératoire. Dès qu’il est conféré vu l’engagement et eu égard à l’exercice du contrat, cet avantage est de la rémunération, sans que n’intervienne la question de l’identité du payeur.

L’arrêt de la Cour du 20 mai 2019 s’inscrit parfaitement dans cette analyse.

L’on peut encore, sur cette problématique bien spécifique, renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 7 février 2019 (C. trav. Bruxelles, 7 février 2019, R.G. 2018/AB/222 – précédemment commenté également), relatif à des commissions versées par une société de financement faisant partie d’un groupe automobile à des employés de concessionnaires indépendants, s’agissant également de primes sur ventes.


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