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Introduction du dossier de chômage auprès de l’ONEm : respect des délais et force majeure

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 5 avril 2019, R.G. 18/3.763/A et 19/345/A

Mis en ligne le vendredi 15 novembre 2019


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 5 avril 2019, R.G. 18/3.763/A et 19/345/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 5 avril 2019, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles rappelle que la rigueur de la loi peut être tempérée en cas de force majeure, appliquant cette règle à une hypothèse dans laquelle le travailleur n’a pas pu, malgré toute sa diligence, introduire le dossier administratif dans les délais de l’article 92, § 2, ou de l’article 93 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991.

Les faits

Un ouvrier, travaillant dans une boulangerie, introduit une demande d’allocations de chômage le 4 avril 2018, et ce à partir du 1er janvier. L’employeur a fermé son établissement et est injoignable, ne donnant aucune suite aux courriers lui adressés.

Le travailleur demande une dérogation au délai d’introduction du dossier (C54) et il introduit également une demande d’aide auprès de l’ONEm pour l’obtention du C4 (via document C109). En outre, il sollicite le paiement des allocations provisoires pour la période qui devait être couverte par une indemnité de rupture.

Il est fait droit à la demande de dérogation de délai. Le travailleur fait cependant constater l’impossibilité permanente de compléter le dossier, la société n’étant par ailleurs pas en faillite. L’ONEm procède à une enquête et estime qu’il n’y a pas lieu à rédaction du C4, notamment, malgré l’imprécision quant à la situation de la société, au motif que son occupation est toujours ouverte à la Banque-carrefour. Il est conseillé au travailleur de porter plainte à l’O.N.S.S. afin que la Banque-carrefour reprenne les données exactes de la fin d’occupation.

L’ONEm prend deux décisions, suite à une demande d’allocations introduite par le travailleur. La première, datée du 24 mai 2018, est relative à la demande à partir du 1er janvier 2018. L’ONEm refuse au motif que l’intéressé serait toujours occupé en qualité d’ouvrier auprès de la société. La seconde décision, datée du 5 décembre 2018, concerne la période à partir du 1er février 2018, une nouvelle demande ayant été réintroduite. L’ONEm y fait droit, mais uniquement à partir du 12 septembre, au motif de l’introduction tardive du dossier. Les deux décisions font l’objet d’un recours, le demandeur en sollicitant l’annulation et demandant que les allocations lui soient octroyées à partir du 1er février 2018.

Par ailleurs, l’intéressé a introduit une action en vue d’obtenir le paiement de l’indemnité compensatoire de préavis et la délivrance du C4. Un jugement par défaut a été rendu le 12 juin 2018. La société a été déclarée en faillite un mois plus tard. Le curateur rédige alors un C4, dans lequel il indique comme date de rupture le 30 janvier 2018 (précisant que le motif est économique).

La discussion

Les dispositions de l’arrêté royal organique examinées par le tribunal sont, outre l’article 44 relatif à la privation de travail et de rémunération, l’article 46, § 1er, alinéa 1er, 1°, qui – définissant la notion de rémunération – vise notamment l’indemnité à laquelle le travailleur peut prétendre du fait de la rupture du contrat ainsi que l’article 47, qui organise les conditions d’octroi des allocations provisoires si le travailleur n’a pas perçu l’indemnité en cause.

Le tribunal en vient ensuite aux conditions fixées pour l’introduction du dossier de demande d’allocations. L’article 133, § 1er, de l’arrêté royal prévoit que doit être produit un dossier contenant tous les documents nécessaires au directeur de l’ONEm pour statuer sur la demande, les pièces et documents que doit contenir ce dossier ainsi que les délais, le mode d’introduction de la demande étant réglé à l’article 87, alinéa 1er, de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991. Cette disposition exige notamment le document C4 remis par l’employeur. Les allocations seront accordées à partir du moment où le dossier complet parviendra au bureau de chômage dans les délais fixés. L’organisme de paiement a pour sa part l’obligation d’apposer sur les documents transmis un cachet indiquant la date à laquelle il les a reçus (article 92, § 1er, de l’arrêté ministériel), le dossier devant parvenir dans un délai de deux mois, qui prend cours le jour suivant le premier jour pour lequel les allocations sont demandées.

Des possibilités de prorogation existent, si l’organisme de paiement constate qu’il ne peut respecter le délai, et ce à la condition pour lui d’informer, pendant le cours de celui-ci, le bureau de chômage. Cette information porte dans ce cas uniquement sur l’identité du travailleur et la date à partir de laquelle les allocations sont demandées.

Le tribunal reprend les hypothèses dans lesquelles le directeur de l’ONEm constate que le dossier est incomplet et qu’il est temporairement impossible de le compléter. Dans ce cas, le dossier est renvoyé à l’organisme de paiement, qui a un délai supplémentaire de deux mois pour la régularisation. S’il est par contre définitivement impossible de compléter le dossier, le directeur de l’ONEm statue sur le droit aux allocations après avoir fait effectuer les enquêtes nécessaires (article 93, §§ 2 et 3, de l’arrêté ministériel).

Enfin, sur cette question, le dossier réintroduit tardivement qui parvient au bureau de chômage avant la fin du cinquième mois qui suit les délais d’introduction est considéré comme réintroduit à temps utile si les raisons de l’impossibilité sont reconnues par le directeur.

Pour ce qui est de l’ouverture du droit aux allocations, celui-ci est réglé à l’article 95 de l’arrêté royal, qui prévoit que ce droit est ouvert à partir de la date de la demande lorsque le dossier complet parvient au bureau de chômage dans les délais fixés ci-dessus ou lorsque le dossier incomplet a été introduit dans ces délais et que le directeur reconnaît qu’il est définitivement impossible de le compléter.

Le tribunal applique ces dispositions, constatant qu’au moment où l’ONEm a statué (première décision), il disposait dans son dossier d’une copie de l’envoi recommandé du syndicat du demandeur constatant la rupture du contrat aux torts de l’employeur à la date du 15 février. C’est une des hypothèses dans laquelle le contrat prend fin par la notification faite par le travailleur à l’employeur de la résiliation du contrat à ses torts en raison d’un acte équipollent à rupture. L’ONEm aurait en conséquence dû considérer que le contrat avait pris fin, et ce eu égard par ailleurs au jugement rendu par le tribunal du travail en matière d’indemnité de rupture.

Il en découle que le droit aux allocations de chômage ne pouvait naître qu’à partir de ce moment. Un délai supplémentaire a été accordé par l’ONEm pour permettre à l’intéressé de compléter son dossier, et ce jusqu’au 11 mai. Entre-temps, celui-ci a réintroduit une demande, aux fins de constater l’impossibilité permanente de compléter ce dossier et le tribunal constate que l’ONEm n’a pas répondu à celle-ci.

Il renvoie au principe général de droit, selon lequel la rigueur de la loi peut être tempérée en cas de force majeure (citant l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 28 février 2008, n° 30/2008, à propos des délais visés aux articles 50 et 1051 C.J.).

Relevant la diligence du demandeur dès le départ ainsi que les avatars du dossier (dont la demande d’aide des services de l’ONEm, la décision de ne pas rédiger le C4 au motif que le contrat serait toujours en cours d’exécution, la faillite de la société et les « errements » du curateur), le tribunal conclut que la réintroduction du dossier complet en avril 2018 était entièrement imputable à une situation de force majeure et que celle-ci a perduré jusqu’au 14 novembre 2018, date à laquelle le curateur a pu enfin établir un C4 correct. Suite à celui-ci, la demande a d’ailleurs été acceptée, mais à partir du 12 septembre seulement. Pour le tribunal, cependant, les délais d’introduction et/ou de réintroduction du dossier étaient à l’époque suspendus jusqu’à la fin de situation de force majeure et l’intéressé doit être considéré comme ayant fait parvenir un dossier complet, sinon dans le délai de l’article 92, § 2, en tout cas dans celui de l’article 93. Le droit aux allocations de chômage à partir du 15 février 2018 doit être reconnu.

Intérêt de la décision

Les modalités d’introduction du dossier administratif permettant au directeur de l’ONEm de statuer sur le droit aux allocations de chômage ainsi que sur la prise de cours de celles-ci sont longuement rappelées dans ce jugement, qui retrace de manière très claire les étapes de cette procédure.

Il rappelle la possibilité pour l’ONEm de décider qu’il y a impossibilité temporaire ou définitive de compléter le dossier, ainsi que les mesures à prendre dans chacune de ces deux hypothèses. L’intérêt particulier du jugement est d’avoir recouru à la figure de la force majeure, qui a, en l’espèce, empêché l’intéressé de remplir ses obligations dans les délais. Le tribunal a également renvoyé à un arrêt de la Cour de cassation du 13 janvier 2012 (Cass., 13 janvier 2012, n° C.11.0091.F), selon lequel, en vertu de l’effet libératoire de la force majeure, un délai imparti par la loi pour l’accomplissement d’un acte est prorogé en faveur de la partie qui a été mise dans l’impossibilité d’accomplir cet acte pour raison de force majeure pendant tout ou partie de ce délai. Celui-ci est suspendu tant que la force majeure existe et recommence à courir lorsque la force majeure cesse d’exister.


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