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Charte de l’assuré social et obligations de la caisse d’allocations familiales

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 27 mai 2019, R.G. 2015/AL/277

Mis en ligne le vendredi 15 novembre 2019


Cour du travail de Liège (division Liège), 27 mai 2019, R.G. 2015/AL/277

Terra Laboris

Dans un arrêt très motivé du 27 mai 2019, la Cour du travail de Liège (division Liège) conclut à l’existence d’une faute dans le chef d’une caisse d’allocations familiales, du fait de l’omission d’information de la mère allocataire de la possibilité pour elle d’introduire une demande de prestations familiales garanties au taux majoré d’orphelin.

Rétroactes

Suite au décès de son époux, une mère, allocataire d’allocations familiales, a introduit une demande pour bénéficier de celles-ci au taux orphelin. Le recours est rejeté au motif que les prestations familiales garanties payées au taux majoré supposent qu’au moment du décès de l’un des parents, un droit aux prestations familiales garanties existait. Or, il est fait grief à la mère d’avoir quitté la Belgique pendant plusieurs mois, dont celui au cours duquel le père (domicilié à l’étranger) est décédé.

Le tribunal du travail a fait droit à la demande et a condamné FAMIFED au paiement. Appel ayant été interjeté, la cour a décidé dans un arrêt rendu le 14 mars 2016 qu’un droit existait. La décision administrative de récupération des prestations familiales garanties (qui était accordée précédemment) a été annulée et la cour a condamné FAMIFED au paiement. La cour a cependant soulevé la question de la rétroactivité de la demande. En effet, l’article 7, alinéa 2, de la loi du 20 juillet 1971 prévoit que les allocations familiales sont accordées au plus tôt à partir du mois précédant d’un an la date à laquelle la demande a été présentée. En l’occurrence, la demande a été introduite en juillet 2012 et la cour a admis que le droit existait à partir du 1er juillet 2011. Reste la période antérieure, qui est de 11 mois. Sur la question, la cour s’interrogeait sur une éventuelle obligation d’information de la caisse.

Relevons qu’un pourvoi contre cet arrêt a été rejeté par un arrêt de la Cour de cassation du 8 janvier 2018 (non consultable sur Juridat).

L’arrêt du 27 mai 2019

La cour commence par le rappel de la position des parties, la partie intimée étant FAMIWAL actuellement.

Celle-ci considère que les articles 3 et 4 de la Charte de l’assuré social n’imposent à une institution de sécurité sociale de prendre l’initiative que pour des compléments d’information, l’information elle-même devant avoir été préalablement demandée par écrit. Elle déduit des éléments de fait qu’elle n’a pas manqué à ses obligations d’information et de conseil.

Elle conclut également sur la question des intérêts, qu’elle considère dus à partir de 4 mois après la demande pour les allocations échues et, pour celles à échoir, à dater de leur date d’exigibilité, qui est le premier jour du mois qui suit celui pour lesquels elles sont dues.

Elle conteste également une demande d’anatocisme formée par l’intimée. Celle-ci réclame les prestations familiales garanties majorées au taux orphelin pour la période antérieure au 1er juillet 2011. Elle forme également trois demandes incidentes, dont l’une concerne les intérêts.

La position de M. l’Avocat général

Pour le Ministère public, la caisse aurait dû aviser la mère de la possibilité d’introduire une demande d’allocations au taux orphelin. Pour ce qui est de la demande d’anatocisme, il estime qu’elle est étrangère à l’objet de la réouverture des débats.

La décision de la cour

La cour statue en premier sur le droit aux prestations familiales garanties pour la période antérieure au 1er juillet 2011 et constate que la demanderesse originaire, se fondant sur une faute de la caisse, eu égard à un manquement à l’obligation d’information de la Charte, il s’agit en réalité d’une demande de dommages et intérêts équivalant aux prestations familiales garanties.

Elle considère qu’il faut dès lors examiner le « triptyque classique faute-dommage-lien de causalité ». Elle analyse dès lors la notion de faute en droit commun, appliquée à une institution de sécurité sociale. Pour engager la responsabilité de celle-ci, est exigé un comportement qui soit s’analyse en une erreur de conduite devant être appréciée suivant le critère de l’institution de sécurité sociale normalement soigneuse et prudente placée dans les mêmes conditions, soit – sous réserve d’une erreur invincible ou d’une autre cause de justification – viole une norme de droit national ou d’un traité international ayant des effets dans l’ordre juridique interne, imposant à cette institution de sécurité sociale de s’abstenir ou d’agir d’une manière déterminée (10e feuillet).

Selon l’enseignement de la Cour de cassation (Cass., 9 février 2017, n° C.13.0143.F), la transgression matérielle d’une disposition légale ou réglementaire constitue une faute qui entraîne la responsabilité civile de son auteur, à condition que cette transgression soit commise librement et consciemment. Il n’est pas nécessaire que l’auteur se rende compte qu’il commet une faute ni qu’il ait l’intention d’en commettre une.

Reprenant les obligations contenues aux articles 3 et 4 de la Charte de l’assuré social et renvoyant également à l’arrêt de la Cour de cassation du 23 novembre 2009 (Cass., 23 novembre 2009, n° S.07.0115.F), la cour conclut que la caisse a commis une faute en omettant de faire savoir à la mère qu’elle pouvait demander des allocations au taux orphelin en temps utile. Si celle-ci avait été informée de ce fait, elle aurait réagi. La conséquence de la faute est la privation du droit aux prestations familiales garanties au taux orphelin pendant la période considérée. Celle-ci est cependant limitée aux 6 derniers mois, la cour prenant comme date de référence celle d’une visite à domicile. Pour la période antérieure, il n’y a pas de faute à retenir.

La cour en vient ensuite aux demandes incidentes et considère que l’article 775 du Code judiciaire ne peut faire obstacle à la recevabilité de celles-ci.

Plus particulièrement sur la prise de cours des intérêts, le droit de la mère aux allocations d’orphelin n’a été reconnu qu’en 2016, soit bien plus de 4 mois après l’introduction de la demande (2 juillet 2012). Le droit existe à partir du 1er juillet 2011, même si la question n’a été tranchée que par l’arrêt du 14 mars 2016. Pour la cour, et en conformité avec les dispositions de la Charte de l’assuré social, les intérêts sur les indemnités dues courent à dater de leur exigibilité et au plus tôt à partir de l’expiration du délai de 4 mois après la demande, c’est-à-dire le 3 novembre 2012.

Pour ce qui est des dommages et intérêts, les dispositions de la Charte relatives aux intérêts eux-mêmes ne peuvent s’appliquer, ne s’agissant pas de prestations sociales. Ces dommages et intérêts, destinés à réparer le dommage, sont une dette de somme et seuls les intérêts moratoires prévus par l’article 1153 du Code civil sont dus.

Enfin, pour ce qui est de la capitalisation des intérêts, la cour considère que la circonstance que les intérêts courent de plein droit – toujours en vertu de la Charte – ne permet pas de déduire la volonté du législateur de 1995 à déroger à une disposition du Code civil, en l’occurrence les articles 1153 et 1154. Il n’y a pour la cour aucune raison de ne pas appliquer cette disposition à des prestations de sécurité sociale et elle renvoie à de la jurisprudence, qui a admis la chose dans d’autres secteurs (allocations aux personnes handicapées, A.M.I.) ainsi qu’à la doctrine (notamment en accidents du travail).

Intérêt de la décision

Suite à l’arrêt rendu le 14 mars 2016, qui a tranché la question du droit aux prestations, restait en cause la fixation du montant pouvant être réclamé, et ce eu égard à l’écoulement du temps. Une circonstance particulière est intervenue dans l’instruction du dossier, dans la mesure où la caisse a été informée à un moment déterminé de la situation de la mère et qu’elle n’a, alors, pas réagi.

Pour la cour, en application du principe de proactivité contenu dans les articles 3 et 4 de la Charte de l’assuré social, en n’avertissant pas la mère de la possibilité d’introduire une demande en temps opportun, il y a faute de la caisse et, si les prestations sociales ne sont pas – à proprement parler – exigibles, vu que la période ne concerne pas celle envisagée par la loi, les dommages et intérêts correspondants sont dus, avec cependant un bémol, étant que, ne s’agissant pas de prestations sociales à proprement parler, ils ne peuvent produire des intérêts de plein droit, au sens de la Charte.


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