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Agression et gestes de menace : événement soudain ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 25 mars 2019, R.G. 2016/AL/667

Mis en ligne le jeudi 31 octobre 2019


Cour du travail de Liège (division Liège), 25 mars 2019, R.G. 2016/AL/667

Terra Laboris

Par arrêt du 25 mars 2019, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle qu’un choc psychologique ou une agression verbale intervenus sur les lieux du travail peuvent être constitutifs d’un événement soudain indemnisable dans le cadre de la loi du 10 avril 1971.

Les faits

Un ouvrier, manutentionnaire au sein d’une société bagagiste dans le secteur du transport aérien, a une altercation avec son responsable, celui-ci lui donnant des instructions particulières quant à l’horaire à prester. L’incident est dû au fait que l’intéressé craignait de ne pas avoir le temps d’accomplir ses tâches avant de prendre son service pour des activités d’inventaire (auquel il était essentiellement affecté). Le travailleur estime avoir, lors de cette altercation, été victime d’une agression verbale et physique (coup de poing). L’employeur relativise et fait état d’une « discussion animée ». Les faits ont été immédiatement dénoncés à la directrice des ressources humaines mais aucune déclaration n’a été faite à ce moment, le chef d’équipe considérant pour sa part qu’il y a eu refus de travail combiné à une fausse accusation d’agression.

Rentré à son domicile grâce à l’aide de son frère, l’intéressé se fait examiner par un médecin, qui note un état de choc et un léger œdème sur la pommette droite.

Il y a incapacité de travail et celle-ci sera de longue durée.

Deux plaintes croisées sont déposées à la police et seront classées sans suite.

L’employeur, pour sa part, reproche au travailleur un comportement inacceptable.

Trois mois après l’accident, une déclaration est transmise par la société à son assureur-loi, qui refuse la prise en charge.

Une procédure est introduite par le travailleur devant le Tribunal du travail de Liège, demandant la condamnation de l’assureur aux indemnités légales prévues par la loi du 10 avril 1971.

Le tribunal du travail va admettre l’accident par un jugement du 5 septembre 2016 et désigner un expert, considérant que la preuve d’un événement soudain est établie à suffisance de droit, étant qu’il s’agit d’une agression verbale, accompagnée de gestes, à tout le moins agressifs.

L’assureur interjette appel.

Position des parties devant la cour

C’est un problème de preuve qui est essentiellement soulevé par l’appelante, ainsi que le fait qu’il n’y a pas événement soudain au sens de la loi. L’assureur demande à titre subsidiaire l’audition sous serment de deux témoins et, à titre infiniment subsidiaire, il sollicite une modification du jugement en vue de limiter l’examen de l’expert aux lésions psychologiques uniquement.

Pour ce qui est de l’intimé, il sollicite la confirmation du jugement, faisant valoir que l’agression verbale et physique est la cause de son incapacité de travail. Il sollicite que la cause soit renvoyée au tribunal pour la mise en route de l’expertise. Subsidiairement, il propose des mesures d’instruction (sa comparution personnelle et des témoignages).

La décision de la cour

La cour reprend les règles classiques données par les articles 7 et 9 de la loi du 10 avril 1971, ainsi que les principes en matière de preuve, étant qu’il résulte de celles-ci et des principes généraux relatifs à la charge de la preuve que c’est la personne qui se prétend victime d’un accident qui doit établir la survenance de l’événement soudain, de cette survenance pendant le cours de l’exécution du contrat et d’une lésion. La preuve doit être certaine.

La tâche journalière habituelle pouvant constituer un événement soudain, il faut néanmoins que, dans l’exercice de celle-ci, l’on puisse déceler un élément qui a pu provoquer la lésion.

Elle en vient alors aux éléments qui lui sont soumis, soulignant ici encore qu’un choc psychologique ou une agression verbale peuvent être constitutifs d’événement soudain. Les événements en cause, étant une altercation violente avec des gestes de menace, ressortent du dossier et la cour conclut que ceux-ci dépassent de loin une simple discussion animée.

Pour ce qui est des éléments de preuve soumis, la cour a visionné, à l’audience, les images des caméras de surveillance et elle relève avoir observé des gestes agressifs de la part du chef d’équipe. Les images montrées suffisent à démontrer l’événement soudain, que la cour reconnaît, s’agissant d’une altercation violente avec des gestes de menace. Elle estime dès lors ne pas devoir recourir à des mesures d’instruction.

La lésion ayant été reconnue par le tribunal, c’est, pour la cour, à juste titre qu’il y a lieu de désigner un expert. Pour ce qui est de la limitation de la mission, la cour la rejette et conclut également à l’absence d’effet dévolutif des appels, renvoyant ainsi le dossier au premier juge.

Intérêt de la décision

Cet arrêt contient des développements factuels sur les éléments de preuve proposés, étant essentiellement la fiabilité de ceux-ci. Il est, cependant, important sur le plan des principes et, notamment, sur le rappel – une nouvelle fois fait – de la jurisprudence de la Cour de cassation sur la question. Parmi les décisions citées, la cour renvoie particulièrement à l’arrêt du 28 avril 2008 (Cass., 28 avril 2008, n° S.07.0079.N).

Cet arrêt avait longuement examiné une espèce particulière, étant relative à une position inconfortable occupée pendant une durée de cinq heures. Le travailleur avait été accroupi pendant cette durée dans un espace confiné, étant occupé à lier des fers à béton. Portant des chaussures de sécurité, il présenta ultérieurement des lésions de surcharge, étant un flegmon, un œdème, une phlébite et une tendinite.

Après avoir rappelé sa jurisprudence habituelle, étant que l’événement soudain doit être un fait épinglable dans le temps et d’une durée relativement courte, la Cour de cassation y a franchi une étape importante quant à cette notion de soudaineté. Elle a en effet précisé qu’il appartient au juge du fond de déterminer si la durée d’un tel événement dépasse ce qui peut être admis pour constituer un événement soudain au sens de la loi. Une position inconfortable de longue durée, qui, par surcharge, entraîne des lésions peut constituer cet événement soudain. Le juge d’appel avait identifié les circonstances de l’exécution de la prestation de travail et il pouvait dès lors légalement décider que celles-ci constituaient ledit événement soudain. Par ailleurs, était souligné que la circonstance que la lésion était apparue de manière évolutive pendant la durée d’un événement non instantané et la Cour suprême a conclu sur ce point qu’il n’empêche pas que le juge peut considérer l’événement comme événement soudain au sens de l’article 9 de la loi.

Cet arrêt, rappelé à diverses reprises dans l’arrêt de la Cour du travail de Liège, avait également défini la lésion comme étant tout ennui de santé. La cour du travail rappelle qu’il a fait l’objet de commentaires en doctrine (obs. P. PALSTERMAN, in Chron. Dr. Soc., 2009, p. 315).


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