Terralaboris asbl

Coordination des systèmes de sécurité sociale – dérogation au principe d’unicité de la législation nationale applicable

Commentaire de C.J.U.E., 6 juin 2019, Aff. n° C-33/18 (V c/ INSTITUT NATIONAL D’ASSURANCES SOCIALES POUR TRAVAILLEURS INDEPENDANTS (I.N.A.S.T.I.) et SECUREX INTEGRITY A.S.B.L.)

Mis en ligne le jeudi 31 octobre 2019


Cour de Justice de l’Union européenne, 6 juin 2019, Aff. n° C-33/18 (V c/ INSTITUT NATIONAL D’ASSURANCES SOCIALES POUR TRAVAILLEURS INDEPENDANTS (I.N.A.S.T.I.) et SECUREX INTEGRITY A.S.B.L.)

Terra Laboris

Dans un arrêt du 6 juin 2019, la Cour de Justice de l’Union européenne donne l’interprétation à réserver à l’article 87, § 8, du Règlement n° 883/2004 relatif à l’obligation d’introduire une demande, lors de l’application de ce Règlement, en vue d’être soumis à la législation applicable.

Les faits

Le demandeur a exercé la profession d’avocat pendant vingt-sept ans, au barreau de Bruxelles, et ce jusqu’au 30 septembre 2007. Il était affilié à une caisse d’assurances sociales. Lors de sa demande d’omission du tableau de l’Ordre, il y a eu désaffiliation. Le même jour, son cabinet a été mis en liquidation et il a été désigné liquidateur.

Depuis, il occupe une fonction salariée (directeur juridique) au sein d’une société au Luxembourg et est affilié au régime de sécurité sociale luxembourgeois à ce titre.

En 2010, l’I.N.A.S.T.I. s’est intéressé à son statut de liquidateur et, en réponse, l’intéressé a fait valoir que les émoluments qu’il avait perçus, par le cabinet en liquidation, ne pouvaient l’assimiler à un travailleur indépendant. Trois ans plus tard, en 2013, l’I.N.A.S.T.I. a transmis à la caisse une décision de régularisation pour les revenus de 2008 à 2010, celle-ci lui signalant qu’il devait être considéré comme assujetti au régime de sécurité sociale belge au titre d’indépendant complémentaire. Lui était réclamé un montant de l’ordre de 35.000 euros en cotisations et majorations.

L’intéressé a communiqué ensuite à la caisse une déclaration sur l’honneur concernant la gratuité de son mandat de liquidateur, situation dont il était confirmé par un procès-verbal de la réunion des associés coopérateurs du cabinet qu’elle devait perdurer jusqu’à la clôture de la liquidation.

La procédure

Un recours a été introduit devant le Tribunal du travail de Liège.

Il a été rejeté par un jugement du Tribunal du travail de Liège du 17 août 2016 et appel a été interjeté.

La cour du travail s’est posé la question de savoir si, à la date d’application du Règlement n° 883/2004, l’intéressé, qui était uniquement assujetti au régime de sécurité sociale luxembourgeois, devait néanmoins introduire une demande expresse (dans un délai de trois mois), conformément à l’article 87, § 8, du Règlement, aux fins de pouvoir bénéficier de l’application de celui-ci.

Elle a renvoyé au Guide pratique pour la détermination de la législation applicable aux travailleurs dans l’Union européenne, l’Espace économique européen et la Suisse (élaboré par la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale), en vertu duquel la première condition pour appliquer l’article 87, § 8, est que, en conséquence de ce Règlement, une personne est assujettie à la législation d’un Etat membre autre que « celui déjà déterminé » en vertu du Règlement n° 1408/71. Ceci semble indiquer, pour la cour du travail, que la disposition s’applique à la condition que, à la date du 1er mai 2010 (date d’entrée en vigueur du Règlement n° 883/2004), la personne concernée était effectivement assujettie à la législation de l’Etat membre compétent selon l’ancien Règlement. Si une telle condition n’était pas explicitement visée par le libellé de l’article 87, § 8, ceci soulèverait une difficulté d’interprétation.

Aussi, la cour interpelle-t-elle la Cour de Justice, en lui posant deux questions.

Les questions préjudicielles

La première question, relative à l’article 87, § 8, porte sur le point de savoir s’il doit être interprété en ce sens que la personne qui, avant le 1er mai 2010, a commencé à exercer une activité salariée (en l’occurrence au Luxembourg) et a exercé une activité non salariée en Belgique, doit, pour être soumise à la législation applicable en vertu de celui-ci, introduire une demande expresse même si elle ne faisait l’objet d’aucun assujettissement en Belgique avant cette date et n’avait été assujettie à la législation belge que de manière rétroactive, après l’expiration du délai de trois mois prenant cours le 1er mai 2010.

La seconde question, toujours relative à l’article 87, § 8, porte sur le point de savoir si, en cas de réponse affirmative à la première, la demande introduite conformément à ce qui est exposé ci-dessus entraîne l’application de la législation de l’Etat membre compétent en vertu du Règlement, et ce avec effet rétroactif au 1er mai 2010.

La décision de la Cour

La Cour relève que l’Etat belge a présenté une exception d’irrecevabilité, dans un premier temps, étant que les questions préjudicielles soulèveraient un problème purement hypothétique, non nécessaire pour la résolution du litige au principal. Cet argument a été abandonné.

Quant au fond, la première question revient, pour la Cour, à savoir si l’article 87, § 8, doit être interprété en ce sens qu’une personne qui, à la date d’application de ce Règlement, exerçait une activité salariée dans un Etat membre et une activité non salariée dans un autre devait, afin d’être soumise à la législation applicable en vertu du nouveau Règlement, introduire une demande expresse en ce sens.

La Cour de Justice rappelle que la disposition s’applique, premièrement, à la condition que la législation applicable relève du titre II du Règlement n° 1408/71 et, deuxièmement, à la condition que la situation qui a prévalu soit restée inchangée.

Rappelant le caractère transitoire de la disposition, la Cour en vient à l’interprétation de l’adjectif « autre » (le texte concernant la personne qui, en conséquence du Règlement n° 883/2004, « est soumise à la législation d’un Etat membre autre que celui à la législation duquel elle est soumise en vertu de l’article 2 du Règlement n° 1408/71 »). La Cour souligne que, lors de l’extension du Règlement n° 1408/71 aux travailleurs non salariés, l’article 14quater du Règlement n° 883/2004 a été introduit afin de prévoir une exception à la règle d’unicité de la législation applicable, dans l’hypothèse d’une personne exerçant simultanément une activité non salariée sur le territoire d’un Etat membre et une activité salariée sur celui d’un autre.

Le Règlement n° 883/2004 a procédé à la modernisation et à la simplification des règles contenues dans le Règlement n° 1408/71, tout en conservant le même objectif que celui-ci. Notamment, est réaffirmé le principe d’unicité de la législation applicable, en vertu duquel les personnes auxquelles le Règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul Etat membre. Conformément à celui-ci, une personne qui exerce normalement une activité salariée dans un Etat membre et une activité non salariée dans un autre est soumise à la législation de l’Etat où elle exerce son activité salariée.

La Cour ajoute, renvoyant ici aux conclusions de l’Avocat général, que le Règlement n° 883/2004 a procédé à la suppression de toutes les exceptions au principe d’unicité de la législation applicable antérieures.

Il ne s’agit dès lors pas de perpétuer un régime dérogatoire prévoyant une double affiliation, ce qui serait incohérent avec le système mis en place par le Règlement et sa finalité, qui est le principe d’unité de la législation nationale applicable. Par ailleurs, la disposition transitoire a pour effet d’assurer aux travailleurs un temps d’adaptation nécessaire, aux fins de leur permettre de prendre connaissance de la législation d’un nouvel Etat membre, qui serait nouvelle pour eux.

Dès lors, en conséquence, qu’un travailleur est soumis simultanément aux législations de deux Etats membres (conformément au Règlement n° 1408/71), l’application du Règlement n° 883/2004 ne conduit pas à l’application d’une législation d’un autre Etat membre – qui serait donc nouvelle –, mais entraîne seulement un changement de sa situation en raison de la cessation de l’application de la législation d’un des deux Etats à laquelle il était jusqu’alors soumis (considérant n° 48).

La Cour conclut que cet article n’est pas applicable à une situation telle que celle de l’intéressé, qui, à la date d’entrée en vigueur du Règlement n° 883/2004, était assujetti à la législation de deux Etats membres (en vertu de l’article 14quater, sous b), du Règlement n° 1408/71). L’intéressé ne devait dès lors pas présenter la demande prévue à l’article 87, § 8.

La réponse de la Cour est dès lors que, s’il y avait assujettissement simultané à deux législations applicables, le requérant ne devait pas, afin d’être soumis à la législation déterminée par le Règlement n° 883/2004, introduire une demande expresse en ce sens.

Intérêt de la décision

La Cour de Justice est saisie d’une question relative à l’article 87, § 8, du Règlement n° 883/2004, qui est – comme elle le rappelle – une disposition à caractère transitoire. Celle-ci prévoit que, si une personne était soumise à la législation d’un Etat membre autre que celui à la législation duquel elle est soumise en vertu du Règlement n° 1408/71, elle continue d’être soumise à celle-ci aussi longtemps que la situation qui a prévalu reste inchangée, mais en tout cas pas plus de dix ans à compter de la date d’application du Règlement n° 883/2004 (c’est-à-dire le 1er mai 2020), à moins qu’elle n’introduise une demande en vue d’être soumise à la législation applicable en vertu du nouveau Règlement.

La disposition prévoit également l’obligation d’introduire la demande dans un délai de trois mois auprès de l’institution compétente de l’Etat membre dont la législation est applicable, et ce si l’intéressé entend être soumis à la législation de celui-ci dès la date d’application du Règlement. Si la demande est présentée après l’expiration de ce délai, le changement interviendra le premier jour du mois suivant.

Comme la Cour le souligne dans cet arrêt du 6 juin 2019, cette disposition doit être interprétée en ce sens que, si une personne exerçait au 1er mai 2010 une activité salariée dans un Etat membre et une activité non salariée dans un Etat membre et qu’elle était dès lors simultanément assujettie aux législations applicables de ceux-ci en matière de sécurité sociale, elle ne devait pas, afin d’être soumise à la législation applicable en vertu du Règlement n° 883/2004, introduire la demande visée à l’article 87, § 8.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be