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Clause d’essai en cours au 31 décembre 2013 : calcul du délai de préavis

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 juin 2019, R.G. 2016/AB/1.160

Mis en ligne le mardi 29 octobre 2019


Cour du travail de Bruxelles, 4 juin 2019, R.G. 2016/AB/1.160

Terra Laboris

Dans un arrêt du 4 juin 2019, la Cour du travail de Bruxelles, confirmant un jugement du tribunal du 30 mai 2016, tranche la question controversée de la durée du préavis à prendre en compte pour la « première partie » du calcul de celui-ci, en cas de licenciement intervenu après le 1er janvier 2014 et en présence d’une clause d’essai toujours en vigueur à la date du 31 décembre 2013.

Les faits

Un employé est engagé le 3 juillet 2013 pour des fonctions de vente. Il a une clause d’essai de 6 mois. Sa rémunération annuelle est inférieure au seuil de 32.254 euros.

Il est licencié le 24 mars 2014, la société lui versant une indemnité compensatoire de préavis de 3 semaines. Celle-ci se décompose en 7 jours pour la première période (jusqu’au 31 décembre 2013) et 2 semaines pour la seconde (à partir du 1er janvier 2014).

L’intéressé considère que la première période doit correspondre à une indemnité de 3 mois et il introduit une procédure devant le tribunal du travail.

Le jugement du tribunal

Par jugement du 30 mai 2016, le tribunal du travail fait droit à sa demande, concluant que l’objectif de l’article 68 de la loi sur le statut unique est d’offrir une certaine garantie aux employés engagés avant le 1er janvier 2014 de conserver le préavis acquis sur la base de leur ancienneté (le tribunal souligne) au 31 décembre 2013.

L’appel

La société forme appel du jugement et la cour du travail est ainsi saisie de la question de droit.

Position des parties devant la cour

Pour la société, qui demande la mise à néant du jugement, le calcul de la première partie du délai de préavis doit être de 7 jours, conformément à l’article 68, et aucune indemnité compensatoire de préavis n’est due dans son chef. Elle sollicite en conséquence la condamnation de la partie intimée aux dépens.

Celle-ci sollicite pour sa part la confirmation du jugement.

La décision de la cour

La cour confirme le jugement, et ce par une motivation très fouillée. Après avoir repris le texte des articles 67 et 68 de la loi du 26 décembre 2013, elle conclut que, s’agissant d’un employé dont la rémunération annuelle ne dépasse pas le seuil de 32.254 euros, la première partie du délai doit être basée sur les alinéas 1er et 2 de l’article 68. Celui-ci dispose en effet à cet égard que la première partie est calculée en fonction de l’ancienneté de service ininterrompue acquise au 31 décembre 2013 et que ce délai est déterminé sur la base des règles légales, réglementaires et conventionnelles en vigueur au 31 décembre 2013 applicables en cas de congé notifié à cette date.

Pour la cour, il y a deux interprétations possibles.

La première consiste à considérer que la première partie du délai de préavis théorique au 31 décembre 2013 doit être calculée comme pour un employé en période d’essai, c’est-à-dire suivant la disposition légale en vigueur à ce moment, étant un délai réduit de 7 jours. Elle renvoie à la doctrine qui suit cette manière de voir, estimant que le texte est clair et non susceptible d’interprétation. La règle légale « applicable en cas de congé notifié à cette date » serait celle permettant, dans l’hypothèse d’un licenciement, de notifier un préavis réduit.

Une autre interprétation est de se référer pour cette première partie du délai de préavis uniquement à l’ancienneté du travailleur à cette date, soit, suivant la disposition légale en vigueur à ce moment (article 82, § 2, L.C.T. – abrogé au 1er janvier 2014), qui prévoit un délai de préavis de 3 mois. Existe de la jurisprudence à cet égard, considérant que cette interprétation se fonde notamment sur l’esprit de la loi et une lecture combinée de l’article 68 et de l’article 71 de celle-ci. La cour renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Gand du 28 novembre 2016 (C. trav. Gand, div. Bruges, 28 novembre 2016, R.G. 2015/AR/205).

Elle opte pour la seconde interprétation, estimant qu’il n’y a pas lieu de tenir compte de la période d’essai. Elle expose les motifs qui l’amènent à cette conclusion (au nombre de 8), étant essentiellement que l’exposé des motifs renvoie, pour la première partie, au critère de l’ancienneté de service, compte tenu des règles de calcul du délai de préavis applicables jusqu’au 31 décembre 2013, l’existence d’une clause d’essai en cours étant en tant que telle sans incidence sur la détermination de l’ancienneté du travailleur. Celle-ci doit se calculer depuis le début de son occupation, en ce compris la clause d’essai.

La cour envisage aussi l’article 71 de la loi du 26 décembre 2013, selon lequel les clauses d’essai figurant dans le contrat de travail dont l’exécution a débuté avant le 1er janvier 2014 continuent à sortir leurs effets jusqu’à leur échéance et se voient appliquer les règles en vigueur au 31 décembre 2013. Cette disposition n’est pas applicable telle quelle, la cour relevant qu’au moment du licenciement, la clause était expirée. Cependant, elle déduit de celle-ci qu’après l’échéance de la clause dont les effets ont perduré au-delà du 1er janvier 2014, les règles spécifiques à la clause d’essai ne trouvent plus à s’appliquer.

Enfin, elle rejette l’analogie faite par la société avec les clauses sur préavis, celle-ci n’étant pas pertinente, dans la mesure où lesdites clauses continuent à devoir être respectées sans limite de temps.

La cour confirme ainsi la décision du premier juge.

Intérêt de la décision

La question devait être tranchée, deux opinions ayant été défendues en doctrine et le texte de l’article 68 pouvant donner lieu à interprétation.

Le tribunal du travail avait, dans son jugement, également rappelé les divergences de vue en doctrine, les tenants de l’application du délai de 7 jours s’étant fondés sur les termes de l’article 68 de la loi sur le statut unique, qui prévoit qu’il faut appliquer « les règles légales, réglementaires et conventionnelles en vigueur au 31 décembre 2013 applicables en cas de congé notifié à cette date ». Le tribunal s’était cependant interrogé sur la portée réelle de cette disposition et avait renvoyé à l’exposé des motifs (Doc. parl. 53.3144/0001, pp. 39-40, disponible sur le site www.lachambre.be), qui avait notamment souligné qu’il s’imposait d’introduire un régime transitoire, dans la mesure où le nouveau régime de calcul des préavis était fort différent des régimes antérieurs. Le régime transitoire doit, selon les travaux préparatoires, permettre de tenir compte des attentes légitimes des parties dont le contrat de travail a été conclu et a commencé à être exécuté avant le 1er janvier 2014, tel étant l’objet des articles 67, 68 et 69.

Le tribunal avait également relevé qu’appliquer la thèse du délai de préavis de 7 jours créerait une discrimination entre deux employés engagés au même moment, mais dont l’un aurait eu dans son contrat de travail une clause d’essai et l’autre non, et qui seraient licenciés à un moment où la clause d’essai n’aurait plus d’effet.

Rappelons encore que le jugement avait également analysé les travaux de la Commission Affaires sociales (Doc. parl. 53.3144/0004, pp. 34-35, ibid.).


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