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Cohabitation en A.M.I. : critères

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 24 avril 2019, R.G. 16/7.460/A et 17/1.374/A

Mis en ligne le lundi 14 octobre 2019


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 24 avril 2019, R.G. 16/7.460/A et 17/1.374/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 24 avril 2019, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) écarte l’application de l’article 225, § 4, de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 d’exécution de la loi coordonnée du 10 juillet 1994, au motif de contrariété avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

Les faits

Mme M., qui bénéficie d’indemnités de mutuelle, est domiciliée à la même adresse qu’un tiers, et ce depuis mai 2015. Son organisme assureur lui envoie un formulaire 225 à compléter, ce qu’elle ne fait pas. Elle l’informe cependant, 14 mois plus tard, qu’elle est invalide avec un enfant à charge et qu’elle ne perçoit plus qu’une indemnité réduite, s’étant installée en colocation avec un tiers aux fins de pouvoir payer plus facilement son loyer. Elle fait également valoir qu’elle n’avait plus de domicile et qu’elle avait été radiée de la Commune, ne pouvant par ailleurs bénéficier d’un logement social.

Une convention de vie commune en colocation a été rédigée. L’intéressée la communique, précisant encore qu’elle n’a pas de lien de parenté avec le tiers en question, qu’ils ne vivent ni en couple ni en ménage et que le colocataire perçoit environ 900 euros par mois. Enfin, elle signale qu’elle ne peut plus bénéficier des avantages « VIPO » et ne peut, avec les seules ressources ci-dessus, s’occuper dignement de sa fille.

Elle renvoie ensuite le formulaire 225, confirmant sa situation : cohabitation avec un enfant de moins de 15 ans, absence de cohabitation avec un conjoint ou un partenaire mais avec une personne dont elle n’est ni parente ni alliée jusqu’au troisième degré et qui perçoit un revenu mensuel inférieur à 1.050 euros bruts.

Les pièces justificatives sont jointes à son courrier, en ce compris la preuve de l’enregistrement de la convention de vie commune-colocation. Celle-ci est très détaillée, reprenant les accords entre ses signataires à propos de la prise en charge du loyer, des charges, ainsi encore que diverses dispositions quant aux meubles.

L’intéressée réinterpelle ensuite l’I.N.A.M.I., étant sans nouvelles de la mutuelle. Cette dernière réagit, en concluant qu’il y a cohabitation (sans aucun lien) avec un tiers et qu’elle a été indemnisée au taux cohabitant en attendant les « formulaires adéquats ». L’organisme assureur marque accord pour régulariser la situation au taux intermédiaire (isolé) et demande des pièces complémentaires. Il s’agit essentiellement d’éléments relatifs aux revenus du tiers (avertissements-extraits de rôle sur 2 ans, fiches de paie, montant de la prime de fin d’année). La mutuelle annonce le réexamen du dossier dès communication de ces pièces.

Mme M. persiste dans sa position, étant qu’elle doit bénéficier des indemnités au taux chef de ménage. L’organisme assureur, quant à lui, maintient sa demande d’explications complémentaires quant aux revenus du tiers avec qui elle cohabite.

L’intéressée saisit le tribunal du travail.

Les recours

Le premier recours concerne la décision de n’indemniser Mme M. qu’au taux cohabitant vu la domiciliation commune, et ce nonobstant l’existence de la convention de vie commune-colocation.

Le deuxième recours concerne une décision communiquée verbalement, dans le courant de l’année 2017, par laquelle l’organisme assureur maintient sa décision d’admettre l’indemnité au taux chef de ménage, malgré qu’un enfant soit à charge.

La position de l’organisme assureur

Celui-ci estime que la convention de vie commune-colocation ne lui est pas opposable, eu égard à l’article 225, § 4, de l’arrêté royal du 3 juillet 1996. Il fait valoir que, dès lors que le registre national fait état d’une adresse commune avec un tiers, il y a cohabitation.

La décision du tribunal

Le tribunal renvoie à la matière des allocations de chômage, rappelant que la volonté du législateur a été de moduler le montant des indemnités, en distinguant selon que la personne est en situation d’isolé ou de cohabitation, pour tenir compte des charges du ménage (plus ou moins lourdes selon la situation). L’article 59, alinéa 1er, de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991 a défini la cohabitation comme étant le fait, pour deux ou plusieurs personnes, de vivre ensemble sous le même toit et de régler principalement en commun les questions ménagères.

Le tribunal renvoie à la jurisprudence récente de la Cour de cassation, initiée par un arrêt du 9 octobre 2017 (Cass., 9 octobre 2017, n° S.16.0084.N) et confirmée par un second du 22 janvier 2018 (Cass., 22 janvier 2018, n° S.17.0039.F). Dans ces dernières décisions, la Cour suprême a précisé que non seulement il faut qu’il y ait vie sous le même toit, qu’en résulte un avantage économique et financier, mais également que devaient être réglées en commun les tâches, activités et autres questions ménagères, et ce en mettant éventuellement en commun des ressources financières.

Pour le tribunal, il y a ainsi un point final à la controverse portant sur la question de savoir si les situations de colocation ou de co-housing doivent être considérées comme une cohabitation aux fins de déterminer le taux des allocations de chômage.

En matière A.M.I., rappelant le texte de l’article 225, § 4, de l’arrêté royal, le tribunal conclut que le système de preuve qui y est contenu ne permet pas de prendre en compte les situations de colocation et de co-housing. Il y a ainsi une discrimination au sein de la sécurité sociale, selon que l’on perçoit des allocations de chômage ou des indemnités d’incapacité.

Cette discrimination, fondée uniquement sur le critère de la cohabitation, n’est pas justifiée.

En conséquence, le tribunal considère l’article 225, § 4, de l’arrêté royal comme contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution en ce que cette disposition s’étend à la situation de cohabitation concernant des personnes hébergées sous le même toit et qui ne partagent que des charges locatives, comme en l’espèce.

Il conclut au droit pour la demanderesse à bénéficier du taux « chef de ménage ».

Intérêt de la décision

La jurisprudence rendue en matière de chômage et consacrée par la Cour de cassation fait ainsi tache d’huile, le Tribunal du travail de Liège étant saisi en l’espèce d’une situation – non contestée – de colocation, dans laquelle les parties n’ont aucun lien de vie mais ont entrepris de partager leur logement pour des raisons purement financières. L’on notera l’importance, en l’espèce, de la convention qui a été signée (et enregistrée !), confirmant la situation de fait.

Rappelons que l’article 225, § 4, de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 portant exécution de la loi relative à l’assurance obligatoire de soins de santé et indemnités dispose que la preuve de la cohabitation résulte des mentions du registre national (exception faite des cas dans lesquels il ressort d’autres documents probants produits que la situation ne correspond pas ou plus avec l’information susvisée). Cette disposition est stricte, dans la mesure où, à part une discordance entre lesdites mentions et la situation de fait, la preuve contraire n’est pas autorisée.


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