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Accident du travail dans le secteur public et absences après la consolidation

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Mons), 20 mars 2019, R.G. 11/1.317/A

Mis en ligne le lundi 23 septembre 2019


Tribunal du travail du Hainaut (division Mons), 20 mars 2019, R.G. 11/1.317/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 20 mars 2019, le Tribunal du travail du Hainaut (division Mons) examine le lien de causalité entre des journées d’absence postérieures à la consolidation d’un accident du travail, considérant que, le lien direct avec celui-ci étant établi, la subvention-traitement complète devait être payée à l’intéressée.

Les faits

Une enseignante, au service d’un établissement dépendant de la Communauté française, est victime d’un accident du travail. Elle introduit une action contre son employeur et la Communauté en paiement des indemnités prévues par la loi du 3 juillet 1967.

Un expert est désigné par un premier jugement et son rapport est entériné dans une deuxième décision. Celle-ci met hors cause l’A.S.B.L. employeur. Sur le plan de l’indemnisation de l’incapacité temporaire totale, le jugement constate que l’intéressée a perçu ses subventions-traitements et que l’incapacité permanente est de 10%, ce qui donne lieu à une rente à charge du Service des Pensions du secteur public. Le tribunal prend acte de ce que la Communauté française prendra un arrêté ministériel en ce sens (reprenant les mentions légales requises : base de calcul de la rente, date de consolidation, taux d’I.P.P. et rémunération annuelle de base).

Une demande nouvelle est introduite par l’intéressée en cours de procédure. Celle-ci a en effet été mise en disponibilité pour maladie, ce qui lui cause un préjudice consistant en la réduction de la subvention-traitement, qui est passée par paliers successifs à 60%. La demande nouvelle porte dès lors sur l’indemnisation des jours d’absence postérieurs à la consolidation, pour lesquels elle demande paiement de la subvention-traitement entière.

Le jugement constate que cette demande nouvelle est fondée sur l’article 10 du Décret du 5 juillet 2000 et a dès lors un fondement différent de l’indemnisation de l’accident du travail. Une réouverture des débats est ordonnée, avec pour objet notamment de désigner le juge compétent.

Un troisième jugement intervient, dans lequel le tribunal a estimé que la demande nouvelle relève de sa compétence d’attribution.

L’affaire est renvoyée au rôle. Elle revient ensuite devant le tribunal.

Position des parties devant le tribunal

La demanderesse rappelle que le congé pour cause de maladie (ou d’infirmité) est accordé sans limite de temps en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle et qu’aucune distinction n’est faite suivant que le congé est accordé avant ou après la consolidation. Les jours d’absence postérieurs à celle-ci (ou plus exactement à sa mise en disponibilité) résultent de l’accident du travail et aucun aménagement des conditions de travail n’a été proposé, ni par l’employeur ni par la Communauté française.

Pour cette dernière, le Décret du 5 juillet 2000 n’a pas pour objet l’indemnisation de la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle. Son article 10 signifie que n’interviennent pas dans le décompte du capital des jours de maladie ordinaires (et ne sont pas déduits du quota de jours de congé pour cause de maladie) (i) les périodes d’I.T.T. avant consolidation admises comme étant en lien causal avec l’accident et (ii) les périodes post-consolidation expressément admises par la loi du 3 juillet 1967, étant les rechutes (article 6, § 3) et les reprises par prestations réduites (article 32bis). La Communauté française considère que la demanderesse ne se trouve dans aucune des hypothèses d’I.T.T. post-consolidation. Elle fait grief à l’intéressée de ne pas prouver le lien causal entre ces absences et l’accident du travail, l’absence de reprise du travail ne pouvant par ailleurs être assimilée à une rechute en I.T.T., s’agissant d’une absence de réaffectation.

Quant à l’institution employeur, elle considère que la demanderesse ne justifie pas sa demande en ce qui la concerne.

La décision du tribunal

Le tribunal rappelle le fondement de la demande nouvelle, qui est effectivement le Décret du 5 juillet 2000 et non la loi du 3 juillet 1967 ou l’arrêté royal d’application. Pour le tribunal, les moyens tirés de la législation relative aux accidents du travail sont dès lors étrangers à la question et ils sont d’ailleurs écartés.

Il examine en conséquence la contestation de la demanderesse en ce qui concerne la mise en disponibilité pour maladie. En l’espèce, il constate que celle-ci est intervenue le 28 octobre 2010 et que celle-ci a repris le travail le 26 juin 2015.

Il fait un bref rappel du régime institué par ce Décret, étant que (i) le membre du personnel empêché d’exercer normalement ses fonctions par suite de maladie ou d’infirmité peut bénéficier, pendant chaque période scolaire, de quinze jours ouvrables de congé pour ce motif, (ii) à l’issue de chaque période scolaire, le nombre de jours de congé peut être augmenté du solde des jours de congé octroyés pour ce motif, que l’intéressée n’a pas épuisés (avec un maximum) et (iii) le membre du personnel est de plein droit en disponibilité lorsqu’il est absent pour le même motif après avoir épuisé le nombre maximum de jours de congé auquel il peut prétendre à ce titre.

Cependant, le congé pour cause de maladie ou d’infirmité sera accordé en vertu de l’article 10 du Décret, et ce sans limite de temps en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle. Il n’y a dès lors pas de diminution du quota de jours de congé.

Le tribunal renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 14 février 2011 (Cass., 14 février 2011, n° S.09.0105.F), qui a confirmé ce principe : le congé, accordé sans limite de temps dans cette hypothèse, n’est pas pris en considération pour apprécier si l’agent, ayant épuisé le nombre maximum de jours de congé pouvant lui être accordés à ce titre, se trouve de plein droit en disponibilité.

Il souligne encore un extrait de l’arrêt de la Cour de cassation, selon lequel cet article (article 10 du Décret) ne prévoit aucune distinction suivant que le congé qu’il concerne est accordé avant ou après la consolidation. La Cour de cassation casse l’arrêt soumis à sa censure en considérant qu’il viole l’article 10 du Décret en décidant qu’il ne pourrait trouver application après la consolidation des lésions en raison des « principes clairs » dégagés dans la loi du 3 juillet 1967.

Pour le tribunal, les absences postérieures à la date de consolidation et à la mise en disponibilité sont en lien direct avec l’accident du travail. Il rappelle les éléments de fait à cet égard, reprenant des extraits du rapport d’expertise. L’accident du travail était survenu dans un contexte de relations conflictuelles avec une collègue et, si la demanderesse n’a pas repris son activité professionnelle à la fin de sa période d’I.T.T. et à la date de consolidation, c’est, pour le tribunal, en raison de la permanence du contexte de l’accident du travail. La non-reprise est ainsi en lien direct avec cet accident. L’employeur a la responsabilité de prévoir les aménagements des conditions de travail et le tribunal souligne en l’espèce que c’est la demanderesse qui a pris des initiatives en ce sens.

Pour l’ensemble de ces motifs, elle est justifiée à demander l’application de l’article 10 du Décret. La Communauté française doit en conséquence lui payer la subvention-traitement complète pour cette période.

Intérêt de la décision

Sur le plan de la compétence des juridictions du travail pour ce qui est du Décret du 5 juillet 2010 fixant le régime des congés et de disponibilité pour maladie ou infirmité de certains membres du personnel de l’enseignement, il est de règle que ces juridictions doivent décliner celle-ci.

L’on peut utilement renvoyer à deux arrêts de la Cour de cassation (Cass., 8 mai 2006, C.D.S., 2007, p. 570 et Cass., 13 décembre 2004, C.D.S., 2005, p. 431) ainsi que, notamment, à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 10 janvier 2012 (C. trav. Mons, 10 janvier 2012, R.G. 2011/AM/101).

Les juridictions du travail ne peuvent en effet connaître de contestations qui ne sont pas relatives à l’application de la loi du 3 juillet 1967 mais à celle de dispositions réglant le statut de la victime de l’accident du travail ou d’une maladie professionnelle.

Dans l’espèce commentée, le tribunal du travail s’est considéré compétent, au motif qu’il était saisi du lien entre les absences elles-mêmes et l’accident du travail. L’article 10 du Décret prévoit qu’en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, le congé pour cause de maladie ou d’infirmité est accordé sans limite de temps. Le juge du travail peut dès lors vérifier si les journées d’absence (postérieures à la consolidation et, ici, même postérieures à la mise en disponibilité) résultent de l’accident du travail. Le lien direct a, dans l’affaire en cause, été constaté, s’agissant d’une incapacité qui s’est poursuivie, eu égard au non-reclassement dans l’institution qui occupait l’enseignante. L’expert judiciaire avait conclu qu’elle pouvait, avec certaines limitations des capacités de concentration, reprendre une activité similaire (économie ou comptable). Il avait cependant souligné les difficultés en lien avec le lieu d’exercice et l’autorité qui exercerait le contrôle sur l’activité reprise.


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