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Droit aux prestations familiales garanties : condition de séjour

Commentaire de Cass., 8 avril 2019, n° S.17.0086.F

Mis en ligne le jeudi 12 septembre 2019


Cour de cassation, 8 avril 2019, n° S.17.0086.F

Terra Laboris

L’étranger en possession d’une attestation d’immatriculation remplit-il les conditions d’octroi pour bénéficier des prestations familiales garanties ? Dans son arrêt du 8 avril 2019, la Cour de cassation prend position sur la question et rejette un pourvoi contre un arrêt rendu par la Cour du travail de Bruxelles le 14 août 2017.

L’arrêt de la cour du travail

Dans son arrêt du 14 août 2017 (R.G. 2016/AB/19), la Cour du travail de Bruxelles a répondu par l’affirmative : la délivrance d’une attestation d’immatriculation ouvre le droit aux prestations de sécurité sociale en ce qui concerne la condition de régularité de séjour, s’agissant d’un document de séjour. Elle avait confirmé un jugement du Tribunal du travail de Bruxelles, qui avait accueilli le recours d’une maman, contre une décision de FAMIFED. L’Institution avait considéré que la délivrance de l’attestation d’immatriculation ne signifie pas admission ou autorisation à séjourner sur le territoire et qu’il y avait en l’espèce lieu de revoir le droit qu’elle avait accordé aux prestations familiales.

Pour la cour du travail, il y a lieu de faire la distinction entre le séjour irrégulier (étant celui où l’étranger séjourne légalement en Belgique mais contrevient à l’obligation d’inscription et n’est, en conséquence, pas titulaire d’un document ou titre de séjour) et le séjour illégal (qui concerne l’étranger séjournant en Belgique sans autorisation d’entrée, de séjour ou d’établissement, ou qui n’est pas admis au séjour de plein droit). Le premier ne peut faire l’objet d’une mesure d’éloignement, au contraire du second. Pour la cour du travail, le même raisonnement devait être adopté en matière de prestations familiales garanties, l’attestation d’immatriculation attestant, pour sa durée de validité, de la légalité et de la régularité du séjour. Si le séjour en Belgique couvert par une attestation d’immatriculation a un caractère précaire ou provisoire, ceci n’a pas d’incidence et il n’y a pas lieu d’ajouter à la loi des conditions qu’elle ne contient pas.

Le pourvoi

Le pourvoi est fondé sur l’article 1er (alinéas 1er, 6 et 8) de la loi du 20 juillet 1971 instituant des prestations familiales garanties dans ses modifications successives applicables à l’espèce, ainsi que sur les articles 6, 9 et 9ter de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, dans leurs modifications successives également.

Le pourvoi renvoie notamment à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 28 juin 2006 (n° 110/2006), qui s’est prononcé sur la compatibilité de l’article 1er, alinéa 6 nouveau, de la loi du 20 juillet 1971 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, arrêt dans lequel celle-ci a considéré qu’il n’était pas déraisonnable d’exiger la preuve d’un lien suffisant avec la Belgique, en l’espèce un séjour régulier, pour pouvoir bénéficier du régime résiduaire en matière d’allocations familiales.

Il s’appuie également sur un arrêt plus récent du 21 février 2013 (n° 12/2013), se prononçant de nouveau sur la compatibilité de l’article 1er, alinéa 6, de la loi avec les articles 10 et 11 de la Constitution, la Cour précisant dans celui-ci que, eu égard au caractère non contributif du régime résiduel des prestations familiales garanties (financement par les pouvoirs publics et non par des cotisations), le législateur peut en réserver le bénéfice aux personnes qui sont supposées, en raison de leur situation individuelle, être installées en Belgique de manière définitive ou, à tout le moins, pour une durée significative. Elle précise également que l’objectif de réserver les moyens, par essence limités, octroyés au régime des prestations familiales garanties aux enfants dont il peut être présumé que leur séjour en Belgique est relativement stabilisé peut être considéré comme une « considération très forte ».

Pour ce qui est du séjour, il considère, à propos de l’attestation d’immatriculation délivrée à l’étranger (ayant formé une demande de séjour sur pied de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980), que celle-ci n’ayant, vu les textes qui l’organisent, jamais une validité de plus de trois mois et qu’elle est ainsi distincte du titre de séjour délivré à l’étranger en cas de décision positive du ministre sur la demande de séjour, que l’étranger qui se l’est vu délivrer n’a pas encore été autorisé au séjour de plus de trois mois dans le Royaume, mais reste dans l’attente d’une telle décision. Si, dès que sa demande a été déclarée recevable, cet étranger jouit d’une protection contre l’éloignement, aucune décision d’autorisation de séjour sur pied de l’article 9ter n’a encore été prise et la décision de recevabilité de la demande ne préjuge en rien de la décision au fond sur la demande de séjour. Celui-ci ne peut dès lors être considéré comme ayant été admis ou autorisé à séjourner sur le territoire ou à s’y établir.

La décision de la Cour

La Cour rejette le pourvoi. Reprenant les dispositions légales, elle rappelle que les prestations familiales sont accordées dans les conditions fixées par ou en vertu de la loi du 20 juillet 1971 en faveur de l’enfant qui est exclusivement à la charge d’une personne physique résidant en Belgique. Celle-ci, si elle est étrangère, doit être admise ou autorisée au séjour ou à s’y établir. L’article 9ter permet à un étranger, dans les conditions qu’il prévoit, de demander l’autorisation de séjourner dans le Royaume, les cas où la demande doit être déclarée irrecevable étant prévus par la loi. La loi du 15 décembre 1980 ayant été modifiée par celle du 15 septembre 2006, un arrêté royal du 17 mai 2007 (fixant des modalités d’exécution de celle-ci) a prévu, en son article 7, alinéa 2, que le délégué du Ministre donne instruction à la Commune d’inscrire l’intéressé au registre des étrangers et de le mettre en possession d’une attestation d’immatriculation. Dès lors, il est autorisé à séjourner dans le Royaume, conformément aux dispositions de la loi du 15 décembre 1980, fût-ce de manière temporaire et précaire.

Intérêt de la décision

Cette question a fait l’objet de diverses positions en jurisprudence. L’on se référera utilement, outre à l’arrêt du 14 août 2017 dont la conclusion a été confirmée par la Cour de cassation, à deux autres arrêts de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 19 octobre 2017, R.G. 2016/AB/302 et C. trav. Bruxelles, 12 janvier 2017, R.G. 2015/AB/867 – tous deux précédemment commentés).

La problématique tranchée par la Cour de cassation dans son arrêt du 8 avril 2019 est spécifiquement relative à la question de l’octroi des prestations, eu égard à la nature du titre autorisant le séjour, étant de savoir si une attestation d’immatriculation (dont le caractère est temporaire) peut ouvrir le droit à ces prestations.

Relevons en outre que la Cour constitutionnelle avait été interrogée par la Cour du travail de Bruxelles dans un arrêt du 21 mai 2014 (R.G. 2010/AB/333) sur la condition de cinq ans de résidence interrompue exigée dans le chef de la personne physique qui demande les prestations familiales garanties pour un enfant né en Belgique et y résidant depuis lors. La Cour avait considéré dans son arrêt du 23 octobre 2014 (n° 155/2014) qu’il n’y avait pas violation des articles 10 et 11 de la Constitution (lus en combinaison avec l’article 22).


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