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Cotisation de compensation et redistribution des charges sociales : la décision de la Cour du travail de Mons après l’arrêt de la Cour constitutionnelle

Commentaire de C. trav. Mons, 13 décembre 2018, R.G. 2015/AM/80

Mis en ligne le vendredi 30 août 2019


Cour du travail de Mons, 13 décembre 2018, R.G. 2015/AM/80

Terra Laboris

Par arrêt du 13 décembre 2018, la Cour du travail de Mons a conclu l’examen de la question de la cotisation de compensation imposée dans le cadre des mesures de redistribution des charges sociales, s’agissant de l’application de ces mesures à une entreprise publique autonome, décision rendue après l’intervention de la Cour de cassation et de la Cour constitutionnelle.

Les faits

En novembre 2003, l’O.N.S.S. réclame à une grande société de téléphonie un montant avoisinant le million d’euros, correspondant à la cotisation de compensation de 1,55% calculée sur l’ensemble des cotisations de l’année 2002. Il s’agit d’une mesure instaurée en vue de la redistribution d’une partie des charges sociales des petites entreprises vers les grandes entreprises et la mesure a été étendue en 2002 aux entreprises publiques autonomes.

La société fait valoir qu’elle estime ne devoir cotiser qu’à partir du second semestre de l’année 2002 et paie les cotisations en conséquence. Le solde est payé sous toutes réserves et une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles en remboursement de celles-ci. Ayant été déboutée en première instance, la société interjette appel et obtient gain de cause devant la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 16 mars 2011, R.G. 48.966).

Rétroactes de la procédure

La Cour du travail de Mons a rendu un premier arrêt le 12 mai 2016. L’affaire lui a été renvoyée par la Cour de cassation, qui, par arrêt du 17 novembre 2014, a cassé l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles. Pour la cour du travail, l’obligation de verser la cotisation de compensation naissait à l’échéance de chaque trimestre, même si elle n’était payée qu’une seule fois par an et n’était exigible que le 30 juin de l’année suivant celle à laquelle elle se rapportait. Pour la Cour suprême, la cotisation de compensation est une cotisation annuelle, qui doit se calculer sur l’ensemble des cotisations dues pour chacun des trimestres de l’année civile écoulée.

Dans son arrêt du 12 mai 2016, la cour du travail de Mons a interrogé la Cour constitutionnelle, lui posant une question préjudicielle quant au caractère justifié ou non d’une différence de traitement entre les entreprises soumises à la taxe de compensation, eu égard à la distinction entre les entreprises considérées par la loi du 2 août 2002 comme des entreprises visées par la loi du 28 juin 1966 relative à l’indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d’entreprise et les autres entreprises (visées par cette même loi depuis 1976), les premières devant payer une cotisation de compensation calculée sur les autres trimestres de la première année de leur assujettissement à la réglementation et les autres n’ayant dû le faire que sur les deux derniers trimestres de cette première année.

Dans un arrêt du 1er juin 2017, la Cour constitutionnelle a conclu que la question posée ne relève pas de sa compétence, dans la mesure où le caractère justifié ou non de la différence de traitement ne trouve pas sa source dans une norme législative mais dans un arrêté royal (étant l’arrêté royal du 18 juin 1976 et le régime transitoire institué par ses articles 5 et 6).

L’affaire revient ainsi devant la Cour du travail de Mons, sans l’éclairage de la Cour constitutionnelle.

Position des parties devant la Cour du travail de Mons

La société développe trois moyens, étant que (i) l’arrêté royal du 18 juin 1976 est illégal, pour défaut de demande d’avis à la section de législation du Conseil d’Etat, (ii) il doit être interprété comme excluant les deux premiers trimestres 2002 du calcul de la cotisation de compensation et (iii), interprété autrement, il serait illégal pour cause de discrimination (argumentation subsidiaire).

Pour l’O.N.S.S., avant l’entrée en vigueur de la loi ordinaire de réformes institutionnelles du 9 août 1980, l’urgence devait être visée dans le préambule de l’arrêté mais celui-ci ne devait nullement mentionner les motifs justifiant celle-ci. Pour ce qui est de la discrimination, celle-ci n’existe pas entre 1976 et 2002, mais entre 1976 et les années ultérieures, dans la mesure où le mode de calcul spécifique a été prévu pour l’année 1976 uniquement. Il n’existe dès lors pas de différence de traitement entre les entreprises actuellement.

La décision de la cour du travail du 13 décembre 2018

La cour du travail rappelle la genèse de la mesure législative. La redistribution d’une partie des charges sociales des petites entreprises vers les grandes a été organisée par la loi du 30 mars 1976, loi relative aux mesures de redressement économique. Son arrêté royal d’exécution du 18 juin 1976 a fixé une cotisation de compensation de 1,55% de l’ensemble des cotisations dues trimestriellement qui dépassent 1.050.000 anciens BEF. Seules les entreprises soumises aux législations sur les fermetures d’entreprise étaient concernées par ces mesures de redistribution des charges sociales, les entreprises publiques autonomes n’entrant pas dans le champ d’application de la loi.

Ceci est cependant le cas depuis la loi du 2 août 2002 (loi-programme). La société en cause, classée parmi les entreprises publiques autonomes, est tenue de verser chaque année une cotisation destinée à compenser les réductions de cotisations sociales accordées aux petites entreprises.

Revenant à la question de l’avis de la section de législation du Conseil d’Etat, la cour considère que l’urgence invoquée ne devait à l’époque pas être spécialement motivée. Sur la question du contrôle de l’urgence par le pouvoir judiciaire, elle souligne que la notion d’urgence est vague et fonctionnelle et n’a pas été définie par le législateur. Elle doit être appréciée en fonction des circonstances propres à chaque cas d’espèce.

Un des critères à prendre en considération pour apprécier la pertinence de l’urgence est la date de publication de l’arrêté (d’exécution) au Moniteur belge. Renvoyant aux conclusions de M. l’Avocat général WERQUIN (Conclusions de M. l’Avocat général WERQUIN précédant Cass., 17 septembre 2001, n° S.99.0198.N), la cour souligne qu’un délai de plus de deux mois entre la date de la signature de l’arrêté et sa publication est habituellement considéré comme incompatible avec l’urgence invoquée, et ce indépendamment des éléments particuliers de la cause. Un autre élément est la date d’entrée en vigueur de l’arrêté par rapport à celle de son adoption et de sa publication. Elle conclut, des éléments soumis, que l’urgence invoquée existait réellement.

Pour ce qui est des cotisations de l’année 2002, la cour constate qu’il n’y a aucune disposition transitoire. Dans la mesure où un nouveau régime avait été institué en 1976, elle admet que le législateur a pu raisonnablement décider que les cotisations dues dans le cadre de celui-ci seraient calculées sur la base du nombre de trimestres pendant lesquels le régime avait existé cette année-là et que, pour les années suivantes, il pouvait décider que le montant serait calculé sur la base des quatre trimestres pour toutes les entreprises soumises, même si certaines d’entre elles ne se trouvaient dans les conditions de devoir payer la cotisation qu’en cours d’année (12e feuillet). Dès lors que le mode particulier de calcul a été prévu en 1976, la différence de traitement ne pouvait être constatée qu’entre cette année et les années ultérieures.

Elle conclut qu’il y a lieu de confirmer le jugement entrepris et que la société doit être déboutée de sa demande originaire.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons mettra – très certainement – fin à cette longue saga, dans laquelle ont été interrogées à la fois la Cour de cassation et la Cour constitutionnelle. L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 17 novembre 2014 (n° S.12.0057.F) n’est pas publié sur Juridat. L’extrait repris par la Cour du travail de Mons dans la décision commentée est important, la Cour suprême ayant jugé qu’il résulte de l’article 3 de l’arrêté royal du 18 juin 1976 pris en exécution de la loi du 30 mars 1976 relative aux mesures de redressement économique que la cotisation de compensation est une compensation annuelle qui doit se calculer sur l’ensemble des cotisations dues pour chacun des trimestres de l’année civile écoulée.

Quant à la Cour constitutionnelle, elle a conclu que le régime institué, spécifique à la cotisation de compensation due au 30 juin 1977 (cotisation pour l’année 1976), n’est pas établi par l’article 46 de la loi du 30 mars 1976, qui ne contient aucune précision relative à la première application de la dérogation à la répartition des charges sociales entre entreprises que le Roi est autorisé à mettre en œuvre.

La Cour du travail de Mons n’a dès lors pu s’appuyer utilement que sur la décision de la Cour de cassation, qui a confirmé le caractère annuel de la cotisation. Par ailleurs, la cour du travail a accueilli les arguments de l’O.N.S.S. selon lesquels, si différence de traitement il y a eu, c’est pour le passé et non pour le présent.

L’on relira très utilement sur la question l’arrêt du 12 mai 2016 prononcé par la Cour du travail de Mons – arrêt précédemment commenté.


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