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Notion de travailleur au sens de la Directive n° 2004/38/CE

Commentaire de C.J.U.E., 11 avril 2019, Aff. n° C-483/17 (TAROLA c/ MINISTER FOR SOCIAL PROTECTION)

Mis en ligne le vendredi 30 août 2019


Cour de Justice de l’Union européenne, 11 avril 2019, Aff. n° C-483/17 (TAROLA c/ MINISTER FOR SOCIAL PROTECTION)

Terra Laboris

Par arrêt du 11 avril 2019, la Cour de Justice de l’Union européenne rappelle le principe de libre circulation et de séjour garanti par la Directive n° 2004/38/CE, ainsi que les conditions dans lesquelles la qualité de travailleur doit être maintenue à un ressortissant d’un Etat membre qui a fait usage de celle-ci et a presté pour de courtes périodes dans l’Etat d’accueil.

Les faits

Un citoyen roumain est arrivé en Irlande en 2007 et a travaillé à deux reprises, pour de courtes durées, pendant cette même année. Il y a de nouveau été employé pour des périodes de courte durée en 2013 et 2014. Il a, cette même année, travaillé comme sous-traitant indépendant.

Il a introduit en 2013 une demande d’allocation pour demandeur d’emploi (jobseeker’s allowance). Celle-ci a été rejetée au motif que n’étaient pas établies, d’une part, une résidence habituelle en Irlande et, d’autre part, des ressources pour toute la période concernée.

En conséquence, une autre demande a été introduite, étant une allocation d’assistance sociale complémentaire (supplementary welfare allowance), celle-ci étant également rejetée, dans la mesure où l’intéressé n’a pu établir la manière dont il avait pu survenir à ses besoins pendant la période de référence.

Une nouvelle demande est introduite en novembre 2014, en vue d’obtenir l’allocation pour demandeur d’emploi, et celle-ci est alors rejetée à la fois pour un autre motif, étant qu’il n’a pas travaillé pendant plus d’une année et que se pose toujours la question de sa résidence habituelle dans cet Etat.

Un recours est introduit devant le Ministre de la Protection sociale et il est encore rejeté.

D’autres démarches sont encore faites par l’intéressé auprès de l’administration et, en fin de compte, il forme infructueusement un recours devant la High Court (Haute Cour, Irlande). Celle-ci considère qu’il ne peut avoir la qualité de « travailleur » et, par conséquent, qu’il ne remplit pas la condition de résidence habituelle en Irlande, permettant de prétendre à une assistance sociale.

Le texte de droit interne applicable est un « règlement de 2006 » (étant le règlement de droit irlandais qui a transposé l’article 7, § 3, de la Directive n° 2004/78).

Son article 6 reprend deux hypothèses distinctes, La première, sur laquelle l’intéressé se fondait est celle d’un chômage involontaire dûment constaté à la fin d’un contrat de travail à durée déterminée inférieure à un an. La juridiction rejette ce fondement, au motif que les conditions d’occupation ne pouvaient être assimilées à un tel contrat. La seconde hypothèse vise l’occupation depuis plus d’un an et celle-ci n’est pas invoquée.

Appel est interjeté devant la Court of Appeal (Cour d’appel), qui considère que se pose essentiellement la question de savoir si une personne qui a travaillé moins d’un an conserve le statut de travailleur au sens de l’article 7, § 3, sous c), de la Directive n° 2004/38. S’il est prévu dans celle-ci que les personnes exerçant leur droit de séjour ne devraient pas représenter une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’Etat membre d’accueil pendant une première période de séjour, la Directive a pour but de mettre en œuvre l’article 45, T.F.U.E., et la notion de travailleur a, dans la jurisprudence de la Cour de Justice, toujours été interprétée largement.

Une question est dès lors posée à celle-ci, étant de savoir si l’intéressé a conservé son statut de travailleur au sens de la disposition susvisée de la Directive en raison du fait qu’il a travaillé pendant une courte période (deux semaines) en juillet 2014, de sorte qu’il aurait, en principe, le droit de percevoir l’allocation pour demandeur d’emploi, dans la mesure où il s’est trouvé en chômage involontaire et s’est fait enregistrer en cette qualité.

Se pose en outre une question d’interprétation de la disposition, vu qu’elle vise deux hypothèses distinctes, étant (i) que la personne doit se trouver en chômage involontaire dûment constaté à la fin de son contrat de travail à durée déterminée inférieure à un an et (ii) que cette hypothèse est suivie d’une coordination disjonctive (« ou »), étant que la personne a été involontairement au chômage pendant les 12 premiers mois et qu’elle s’est fait enregistrer en qualité de demandeur d’emploi auprès du service compétent. N’étant pas sûre de l’interprétation à donner au texte, la cour interroge la Cour de Justice sur ce point également.

La question préjudicielle

La Cour de Justice reprend en substance la question posée, étant de savoir si l’article 7, § 1er, sous a) et § 3, sous c), de la Directive n° 2004/38 doit interprété en ce sens qu’un ressortissant d’un Etat membre qui a exercé son droit à la libre circulation, qui a travaillé dans un autre Etat pendant une période de 2 semaines, autrement qu’en vertu d’un contrat à durée déterminée, avant de se trouver en chômage involontaire, conserve le statut de travailleur pendant une période supplémentaire d’au moins 6 mois au sens de cette disposition et dispose en conséquence du droit de percevoir des prestations d’assistance sociale ou de sécurité sociale, comme s’il était un ressortissant de l’Etat membre d’accueil.

La décision de la Cour de Justice

Pour ce qui est de la conjonction de coordination « ou » figurant à l’article 7, § 3, sous c), la Cour énonce qu’il ressort du libellé même de la disposition qu’elle prévoit le maintien du statut de travailleur salarié ou non salarié pendant au moins 6 mois dans deux hypothèses : (i) soit le travailleur a occupé un emploi en vertu d’un contrat de travail à durée déterminée inférieure à un an et se retrouve en chômage involontaire au terme de celui-ci (non applicable en l’espèce), soit (ii) le travailleur se trouve « involontairement au chômage pendant les 12 premiers mois ».

La disposition ne précise pas si elle trouve à s’appliquer aux travailleurs salariés ou aux travailleurs non-salariés, ou encore aux deux, ni si elle concerne les contrats à durée déterminée d’une durée supérieure à une année, les contrats à durée indéterminée, ou encore tout type de contrat ou d’activité, ni enfin les 12 mois auxquels elle se réfère (étant de savoir s’ils visent la période de séjour ou la période d’emploi) (considérant 35).

Rappelant l’exigence d’une interprétation autonome et uniforme du droit de l’Union et la nécessité de prendre en compte le contexte et les objectifs poursuivis par la réglementation, la Cour renvoie à sa jurisprudence selon laquelle, compte tenu du contexte de la Directive n° 2004/38/CE et des finalités poursuivies, ses dispositions ne sauraient être interprétées de façon restrictive et qu’elles ne peuvent être privées de leur effet utile (plusieurs arrêts étant cités, dont C.J.U.E., 5 juin 2018, Aff. n° C-673/16, COMAN).

La lecture combinée de l’article 7, § 1er, sous a) et § 3, sous c), de la Directive permet de retenir que le bénéfice du maintien du statut de travailleur est reconnu à tout citoyen de l’Union qui a exercé une activité dans l’Etat membre d’accueil, quelle que soit la nature de celle-ci (salariée ou non). Pour ce qui est du citoyen de l’Union qui a exercé une activité salariée ou non salariée dans l’Etat membre d’accueil pendant moins d’un an, il ne bénéficie du maintien de son statut de travailleur que pour une durée à fixer par l’Etat membre, pour autant qu’elle ne soit pas inférieure à 6 mois.

Tel est le cas pour la première hypothèse et, pour la cour, tel doit également être le cas dans toutes les situations dans lesquelles un travailleur a été contraint, pour des raisons indépendantes de sa volonté, de cesser son activité avant l’échéance d’une année, quels que soient la nature de l’activité exercée et le type de contrat conclu (considérant 48).

Cette interprétation est conforme à la principale finalité poursuivie par la Directive.

La Cour renvoie encore au principe d’égalité de traitement, le juge national devant vérifier si le requérant a droit au bénéfice des prestations de sécurité sociale ou des prestations d’assistance sociale qu’il réclame, eu égard au fait que le droit national peut – ou non – exclure du bénéfice de ce droit les personnes qui n’ont exercé une activité salariée ou non salariée que pendant une brève période, cette exclusion s’appliquant de la même manière aux nationaux et aux travailleurs d’autres Etats membres qui ont exercé leur droit à la libre circulation.

La Cour conclut dès lors qu’il faut interpréter la disposition (article 7, § 1er, sous a) et § 3, sous c), de la Directive) en ce sens qu’un ressortissant d’un Etat membre qui a exercé son droit à la libre circulation et qui a acquis dans l’Etat membre d’accueil la qualité de travailleur au sens de l’article 7, § 1er, sous a), de la Directive en raison de l’activité qu’il y a exercée pendant une période de 2 semaines autrement qu’en vertu d’un contrat de travail à durée déterminée et qui s’est retrouvé en chômage involontaire conserve le statut de travailleur pendant une période supplémentaire d’au moins 6 mois au sens des dispositions visées, pour autant qu’il se soit fait enregistrer en qualité de demandeur d’emploi.

Le juge de renvoi devra vérifier les conditions dans lesquelles le droit de percevoir les prestations d’assistance sociale ou, le cas échéant, de sécurité sociale existe comme si l’intéressé était un ressortissant de l’Etat membre d’accueil.

Intérêt de la décision

L’arrêt rendu par la Cour de Justice ce 11 avril 2019, dans cette affaire irlandaise, fait une lecture combinée de l’article 7, 1er, sous a) et § 3, sous c), de la Directive n° 2004/38/CE. La Cour a souligné l’imprécision dans la rédaction de l’article 7, § 3, sous c), étant qu’il n’est pas permis de déterminer si la disposition trouve à s’appliquer aux travailleurs salariés ou non (ou aux deux catégories de travailleurs), ni les contrats qui sont visés, non plus que la période de 12 mois à laquelle elle se réfère. Il faut dès lors renvoyer à la notion d’effet utile : renvoyant à de nombreuses décisions de sa jurisprudence, dont l’arrêt COMAN (précédemment commenté), elle rappelle que les dispositions en cause ne peuvent être privées de leur effet utile et, en conséquence, qu’il y a lieu de leur donner une interprétation autonome et uniforme, tenant compte des finalités poursuivies par la Directive.


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