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Notion de réduction de capacité de travail au sens de l’article 100, § 2, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Huy), 19 octobre 2018, R.G. 17/16/A

Mis en ligne le mardi 30 juillet 2019


Tribunal du travail de Liège (division Huy), 19 octobre 2018, R.G. 17/16/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 19 octobre 2018, le Tribunal du travail de Liège (division Huy) fait un rappel des conditions à retenir en vue d’évaluer la réduction de capacité de 50% au sens de l’article 100, § 2, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 : cette réduction de capacité est physique ou physiologique et non économique.

Les faits

Suite à un grave accident de moto survenu en 1990, à la suite duquel il est devenu paraplégique, le demandeur bénéficie d’une aide de tiers en vertu d’une décision du tribunal du travail. Il est à charge du secteur A.M.I. depuis.

En 1993, il a fait une demande d’autorisation de travail pour une activité de maroquinier indépendant, à raison de 2 à 3 heures par jour, ce qui a été autorisé.

L’organisme assureur revoit le dossier, son médecin-conseil prenant deux décisions, l’une en vue de la suppression de l’aide de tiers (décision qui a été contestée et annulée par le tribunal) et l’autre mettant fin à la prise en charge à la date du 11 novembre 2016. Pour le médecin-conseil, l’activité complémentaire est devenue importante avec l’ouverture d’un véritable commerce, ce qui démontre que l’intéressé a récupéré sa capacité de gain.

La situation professionnelle de celui-ci ainsi que des articles de presse publiés (montrant qu’il était en contact avec de grandes marques automobiles et qu’il comptait ouvrir un showroom et un atelier en vue de proposer du matériel d’équitation et des articles de chasse) ont poussé la mutualité à demander une enquête de l’I.N.A.M.I. concernant l’activité autorisée. Selon le contrôleur social, rien ne permet de constater une infraction et le dossier est clôturé.

Suite à la décision prise le 11 novembre 2016 de mettre fin à la prise en charge de l’intéressé dans le secteur A.M.I., un recours est introduit devant le tribunal du travail, recours à l’appui duquel celui-ci fait valoir, sur la base de pièces médicales relatives à son état de santé, qu’une reprise d’activité professionnelle semble illusoire vu la fragilité de son état général. Il précise encore que, s’il a constitué une S.P.R.L., il en est gérant à titre gratuit et qu’il ne bénéficie d’aucun revenu. Ainsi, il n’a pas la gérance du magasin, celle-ci étant occupée par un indépendant, rémunéré via des factures.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend, sur le plan des principes, l’article 100 de la loi coordonnée, dont il souligne le § 2, qui dispose qu’est reconnu incapable de travailler le travailleur qui reprend un travail autorisé, à la condition que, sur le plan médical, il conserve une réduction de sa capacité d’au moins 50%. Pour être reconnu incapable de travailler, le travailleur doit ainsi avoir mis fin à toute activité, et le tribunal rappelle qu’une interruption d’un jour de travail suffirait (renvoyant à J. KIEKENS, « Etudes juridiques, sociales et statistiques : l’interdiction de travailler et le droit aux prestations sociales », R.B.S.S., 1991, p. 313).

Toute activité est visée, qu’elle soit principale ou accessoire, qu’elle n’ait pas de caractère professionnel, ou encore que le titulaire ne perçoive pas de rémunération ou de revenus en espèces, mais qu’il fasse l’économie d’une dépense, augmentant ainsi indirectement son patrimoine. Le tribunal renvoie ici à plusieurs arrêts de la Cour de cassation (dont Cass., 21 janvier 1982, Bul. Arr., 1982, p. 651).

Il s’agit de toute occupation orientée vers la production de biens ou de services permettant directement ou indirectement de retirer un profit économique pour soi-même ou pour autrui. Il importe peu que cette activité soit occasionnelle, voire même exceptionnelle, le tribunal renvoyant ici à plusieurs décisions de la Cour du travail de Mons (dont C. trav. Mons, 3 avril 1988, Bull. INAMI, 1992, p. 338). Il souligne encore que, dans un arrêt du 18 mai 1992 (Cass., 18 mai 1992, Larcier Cass., 1992, n° 518), la Cour de cassation a souligné qu’est visée toute activité à caractère productif effectuée dans le cadre de relations sociales, et ce même si elle est accomplie sans rémunération au titre de services d’ami.

La reprise du travail met fin à l’incapacité de travail. Les articles 100, § 2, et 101 de la loi coordonnée prévoient une exception à ce mécanisme, étant que l’incapacité de travail est maintenue en cas de reprise du travail si les conditions de la reprise d’un travail autorisé sont réunies (ceci venant encore confirmer que cette reprise doit être immédiatement précédée d’une période d’incapacité de travail complète).

Les règles d’indemnisation en cas de reprise de travail autorisé sont mentionnées à l’article 230 de l’arrêté royal du 3 juillet 1996, l’indemnisation étant fixée en tenant compte des revenus perçus par le travail autorisé. Ceci implique la contribution de l’assuré social à l’information de la mutuelle sur la question des revenus perçus.

En l’espèce, le tribunal constate que la mutualité ne demande pas une expertise, et ce même à titre subsidiaire, se bornant à solliciter la production de documents comptables, fiscaux et sociétaux. La question n’est dès lors nullement d’ordre médical, de telle sorte que l’état de santé n’est pas en cause. Dès lors que le médecin ne remet pas celle-ci en question, mais qu’il fait référence à une notion économique, pour le tribunal, il se trompe de débat, ceci ne pouvant justifier une fin d’incapacité. Le tribunal s’appuie ici sur la doctrine de Ph. GOSSERIES (Ph. GOSSERIES, « L’incapacité de travail des salariés et des indépendants en assurance indemnités obligatoire », J.T.T., 1997, p. 88), selon qui, pour apprécier la réduction de capacité de 50% sur le plan médical, le critère est physique ou physiologique, au contraire du caractère économique de l’article 100, § 1er, de la loi.

Par ailleurs, sur la question du dépassement du travail autorisé, il y a lieu de vérifier si l’intéressé a violé l’autorisation qui lui a été donnée. Il ressort du dossier que tel n’est pas le cas, le tribunal estimant que l’on ne peut quantifier le travail effectué sur la base des seuls articles de journaux déposés. En outre, le contrôleur de l’I.N.A.M.I. n’ayant relevé aucune infraction, le tribunal estime qu’il n’y a pas lieu de remettre ses conclusions en cause.

Enfin, en ce qui concerne les revenus produits par l’activité en cause, le tribunal retient que le montant de ceux-ci pourrait servir uniquement à déterminer le montant de l’indemnisation (renvoyant à l’article 230 de l’arrêté royal) et non à fixer le temps de travail passé à cette occupation.

Intérêt de la décision

Ce jugement du Tribunal du travail de Liège reprend très utilement la question de la réduction de la capacité de travail au sens de l’article 100, § 2, de la loi du 14 juillet 1994, rappelant, par le renvoi à la doctrine de Ph. GOSSERIES, que cette notion est purement médicale et non économique. L’exigence d’une réduction de capacité de 50% sur le plan médical suppose que le travailleur a conservé une réduction de sa capacité envisagée sur le plan médical, cette réduction devant être appréciée en fonction de critères physiques ou physiologiques et non économiques, comme il y a lieu de procéder dans le cadre de l’article 100, § 1er, de la loi.

Le tribunal renvoie encore à plusieurs décisions rendues par la Cour de cassation sur la question de la nature de l’activité visée au sens de ces dispositions, notamment à un arrêt du 21 janvier 1982, concernant un assuré social qui, aidé par les membres de sa famille, avait travaillé à la construction de son habitation, se passant des services d’un entrepreneur.


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