Terralaboris asbl

Licenciement pour motif grave et compétence de l’auteur du licenciement

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Huy), 10 décembre 2018, R.G. 17/622/A

Mis en ligne le vendredi 12 juillet 2019


Tribunal du travail de Liège (division Huy), 10 décembre 2018, R.G. 17/622/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 10 décembre 2018, le Tribunal du travail de Liège (division Huy) rappelle que, si le congé doit émaner d’une personne compétente et qu’aucune disposition légale n’empêche que le congé pour motif grave soit donné par un mandataire de l’employeur, le mandat donné par le Conseil d’Administration à son président doit être prouvé. Il s’agit d’un mandat spécial.

Les faits

Un contrat de travail est conclu en 2011 entre une Fondation, qui se charge entre autres de la formation de chiens-guides pour personnes malvoyantes, et un employé, pour des fonctions de directeur du département mobilité. Il s’agit pour ce dernier de gérer l’école des chiens-guides et de veiller à un dressage de haut niveau de qualité. L’intéressé héberge chez lui des chiens de l’institution et assure leur formation, activité pour laquelle il a le statut d’indépendant complémentaire.

Il tombe en incapacité de travail en octobre 2016 et reçoit un long avertissement, faisant état de nombreux incidents liés à des manquements commis (diverses initiatives malencontreuses dans le placement des chiens, etc.). Il est également reproché à l’intéressé d’utiliser son numéro de téléphone et son adresse mail professionnels pour son activité complémentaire. Il lui est demandé de fournir tous les documents d’identification des chiens qu’il possède encore, ainsi que du matériel. Le courrier d’avertissement se conclut par le constat qu’il y a des fautes contractuelles et que ceci est « un dernier avertissement ».

Un licenciement pour motif grave est notifié une semaine plus tard, suite à la réception par le président de la Fondation d’un courriel d’une utilisatrice se plaignant de l’intéressé. Celui-ci conteste son licenciement, fondé sur l’attitude qu’il aurait adoptée vis-à-vis de celle-ci.

Une procédure est introduite devant le tribunal et l’employé y conteste à la fois la régularité du licenciement et le fondement de celui-ci.

Pour ce qui est de la régularité, il se fonde à la fois sur l’absence de compétence de l’auteur du congé ainsi que sur le non-respect des délais.

La décision du tribunal

Le tribunal rappelle que le congé doit émaner d’une personne compétente et qu’aucune disposition légale n’empêche que le congé pour motif grave soit donné par un mandataire de l’employeur.

En l’espèce, le congé a été donné par le président de la Fondation et l’employé licencié considère que n’est pas apportée la preuve du mandat qu’il aurait reçu du Conseil d’Administration. Est cependant déposé au dossier un procès-verbal du Conseil d’Administration de la veille du jour de la notification du licenciement, lequel vient confirmer la régularité de celui-ci à cet égard.

Le tribunal rejette par ailleurs les arguments de l’intéressé quant au non-respect des délais, tant celui relatif à la notification du congé que celui notifiant les motifs eux-mêmes.

Cette lettre de notification des motifs vise essentiellement l’attitude adoptée par l’intéressé vis-à-vis d’une utilisatrice à laquelle un chien-guide avait été confié. Le tribunal retient que la lettre de cette dernière (courriel) est reproduite in extenso dans la lettre de notification du motif. Il lui est fait reproche d’avoir fait preuve d’indifférence vis-à-vis de la situation de cette utilisatrice, qui rencontrait des problèmes relatifs au comportement du chien. C’est ce manquement particulier dans le cadre du suivi du placement d’un chien qui constitue la faute grave justifiant pour l’institution le licenciement, même si sont reprochés différents manquements produits précédemment.

Le tribunal relève qu’en octobre (soit le mois précédant le licenciement), l’employé a été en incapacité de travail pour une période de quinze jours, prolongée d’un mois, et que c’est pendant cette période qu’il a reçu un avertissement, alors qu’aucun n’avait été adressé antérieurement. Pour le tribunal, il semble dès lors qu’il ait effectué son travail correctement depuis son engagement, cinq ans auparavant. Par ailleurs, il a contesté immédiatement, et ce dans un courrier particulièrement circonstancié.

Il est également relevé que l’utilisatrice en cause n’aurait jamais adressé précédemment de courriel ou autre message pour lui signaler des difficultés. Au contraire, les éléments produits relatifs à cette période concernent des vœux d’anniversaire envoyés à celle-ci, vœux pour lesquels elle a remercié l’employé licencié.

Le tribunal estime en conséquence que la faute grave reprochée n’est pas suffisamment établie, relevant encore qu’il n’y a au dossier de l’employeur pas d’attestation de cette personne qui viendrait confirmer les griefs.

Le motif grave n’est dès lors pas fondé.

Sur un deuxième chef de demande, relatif au caractère manifestement déraisonnable du licenciement, celui-ci est également accueilli par le tribunal, aux motifs de l’ancienneté du travailleur, qui, pendant cinq ans, n’a jamais rencontré de difficultés et dont le travail a donné satisfaction, de même que l’existence d’un avertissement envoyé pendant sa période d’incapacité de travail, suivi, une dizaine de jours plus tard, de la lettre de licenciement pour motif grave.

Est également souligné le fait que la lettre d’avertissement laissait entendre une possibilité de discussion des griefs formulés et que le licenciement est intervenu sans la moindre explication, alors que les griefs étaient formellement contestés.

Reprenant les éléments au dossier, le tribunal conclut qu’il n’y avait pas de réel reproche formulé à l’intéressé dans les courriels produits et que l’institution a agi avec précipitation (incapacité de travail, absence d’audition).

Le tribunal alloue en conséquence une indemnité équivalente à six semaines de rémunération.

Intérêt de la décision

Parmi les questions de principe abordées par ce jugement, se pose celle de la compétence de l’auteur du licenciement pour mettre un terme au contrat. L’hypothèse rencontrée est celle du mandat, qui prend une importance particulière dans l’hypothèse du licenciement pour motif grave. La ratification du mandat doit en effet intervenir dans le délai de trois jours. L’on notera qu’en l’espèce, le mandat avait été donné la veille.

L’on peut, sur la question, renvoyer très utilement à un arrêt de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, div. Liège, 9 août 2016, R.G. 2015/AL/100), rendu dans une espèce où était opposée – pour tenter de faire échec à la règle des trois jours de l’article 35 de la loi sur les contrats de travail – l’application des règles de droit civil. La cour y a considéré que l’application de l’article 1998 C.C. (relatif aux obligations du mandant) ne peut impliquer que la ratification d’un congé donné pour motif grave prive son destinataire du droit qu’il puise dans l’article 35 L.C.T. et qui consiste en ce qu’une partie au contrat ne peut plus se voir reprocher, plus de trois jours ouvrables après la connaissance certaine des faits acquise par l’autre partie, un motif grave qui, notifié dans ce délai, eût – à le supposer établi – justifié la rupture immédiate et définitive de son contrat sans indemnité.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be