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Reprise du personnel après faillite et droit au maintien de l’ancienneté

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Binche), 24 septembre 2018, R.G. 16/1.593/A

Mis en ligne le jeudi 27 juin 2019


Tribunal du travail du Hainaut (division Binche), 24 septembre 2018, R.G. 16/1.593/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 24 septembre 2018, le Tribunal du travail du Hainaut (division Binche) reprend la combinaison des exigences de la loi du 26 mai 2002 relative aux fermetures d’entreprises et de la C.C.T. n° 32bis dans son chapitre III (reprise après faillite) aux fins de déterminer si le Fonds de Fermeture est tenu au paiement d’une indemnité de transition ou d’une indemnité compensatoire de préavis, ou si, celui-ci étant libéré par le seul paiement de l’indemnité de transition, une indemnité plus importante (tenant compte du maintien de l’ancienneté depuis le début de l’occupation auprès de la société faillie) peut être réclamée auprès de la société qui a ensuite licencié le travailleur.

Les faits

Une employée est licenciée moyennant préavis à prester, d’une durée de 3 mois et 4 semaines. Pendant celui-ci, l’employeur est déclaré en faillite. Elle introduit une demande d’intervention auprès du Fonds de Fermeture pour le solde (indemnité correspondant au préavis non presté). Elle entre 2 semaines plus tard au service d’une autre société en qualité de secrétaire. Sa rémunération est inchangée et le contrat est à durée indéterminée. Elle sera licenciée 7 mois plus tard, moyennant paiement d’une indemnité de préavis de 6 semaines de rémunération.

Le Fonds de Fermeture lui verse une indemnité de transition, correspondant à la période à partir du jugement (jour suivant), à la veille de son réengagement. Il estime qu’il y a lieu d’appliquer la C.C.T. n° 32bis, au motif que l’actif de la société faillie aurait été repris par l’autre.

Une procédure est introduite par l’intéressée devant le Tribunal du travail contre la société qui l’a licenciée, en paiement d’une indemnité compensatoire de préavis plus élevée, le Fonds de Fermeture étant également à la cause.

Position des parties

Pour la demanderesse initialement, le Fonds de Fermeture lui est redevable d’une indemnité de préavis (correspondant au solde du préavis non presté auprès de la société faillie), à majorer des 3 jours de fermeture et de 15 jours de vacances. Elle conteste également dans un premier temps que le Fonds ne lui ait versé qu’une indemnité de transition. Cependant, eu égard aux éléments relevés par celui-ci quant à l’identité du siège social, ainsi que d’autres éléments permettant de constater une reprise d’actifs, elle s’en réfère à justice sur sa demande vis-à-vis du Fonds, sauf, à titre subsidiaire, pour ce qui est des 18 jours ci-dessus.

Sa demande vis-à-vis de la société porte, quant à elle, sur l’octroi de 22 semaines de rémunération, eu égard à son ancienneté réelle (englobant ses prestations pour la première société).

Quant à l’employeur, il conteste qu’il y ait eu un transfert d’entreprise, exposant divers éléments (identité de siège social due à l’installation de la société dans un « centre d’affaires »). Il estime – même s’il a repris cinq membres du personnel – qu’il n’y a pas reprise d’actifs et qu’il n’exercice pas son activité dans la même branche que la société faillie. Il donne également des explications de fait en ce qui concerne les similitudes de l’objet social (entreprise de construction) ainsi que les liens familiaux entre des responsables.

Pour ce qui est du Fonds de Fermeture, il y a non transfert conventionnel mais reprise de l’actif après faillite. Il retient que c’est le curateur qui a mis fin aux prestations de l’intéressée et que celle-ci a ensuite été réengagée. Il y a dès lors application du chapitre III (et non du chapitre II) de la C.C.T. n° 32bis.

Le Fonds de Fermeture retient divers éléments permettant de conclure à la poursuite de l’activité principale (identité du siège social, identité des gérants, présence de membres de mêmes familles dans les deux sociétés, liens étroits entre les deux sociétés avant la faillite, reprise du personnel et reprise de l’actif immatériel). Pour le Fonds de Fermeture, il s’est acquitté de l’indemnité à laquelle l’intéressée avait droit, étant l’indemnité de transition.

Décision du tribunal

Le tribunal reprend les principes, à la fois quant aux conditions de l’intervention du Fonds de Fermeture dans le cadre de la loi du 26 juin 2002 et aux obligations de l’employeur dans l’hypothèse d’une reprise d’actifs après faillite.

L’article 42, § 1er, de la loi vise les conditions dans lesquelles l’indemnité de transition est due, étant que peuvent y prétendre les travailleurs qui ont soit été liés par un contrat de travail ou d’apprentissage à la date de la faillite, soit qui ont été licenciés au cours du mois précédant celle-ci et qui ont droit à une indemnité de rupture qui n’a pas été payée en totalité, et ce à la condition d’avoir conclu un nouveau contrat avec un employeur qui a effectué la reprise de l’actif (soit avant que la reprise d’actifs n’ait lieu, soit au moment de la reprise d’actifs, soit encore dans un délai supplémentaire de 6 mois).

La notion de reprise d’actifs est définie à l’article 7, 1°, de la loi, étant qu’il faut entendre par là soit l’établissement d’un droit réel sur tout ou partie de l’actif d’une entreprise en faillite (…) avec poursuite de l’activité principale de l’entreprise ou d’une division de celle-ci, soit poursuite de l’activité principale de l’entreprise ou d’une division de celle-ci par un employeur qui n’a pas repris tout ou partie de l’actif de l’entreprise en faillite (…) ; il est dans cette hypothèse indifférent que l’activité principale de l’entreprise soit poursuivie avec des travailleurs engagés par l’employeur qui a repris l’actif ou par des tiers.

En cas de reprise d’actifs après faillite, la C.C.T. n° 32bis suppose, pour être applicable, qu’il y ait une reprise de travailleurs consécutive à la reprise de tout ou partie de l’actif d’une entreprise en faillite, à condition que la reprise intervienne dans un délai de 6 mois à partir de la date de celle-ci (article 11) et que les conditions de travail soient maintenues à l’égard du nouvel employeur (article 13). Dans cette hypothèse, l’ancienneté acquise est prise en considération pour la détermination du délai ou de l’indemnité de préavis (article 14).

Pour le tribunal, la première question à régler est ainsi de déterminer s’il s’agit d’une reprise de l’actif après faillite.

Certains éléments ne prêtent pas à discussion, étant la date de la faillite et le réengagement de l’intéressée dans les 6 mois de celle-ci, non plus le fait que, au moment de la déclaration de faillite, l’employée faisait toujours partie du personnel.

Se pose la question, cependant, de vérifier si l’on est en présence de la poursuite de l’activité principale de l’entreprise ou d’une division de celle-ci par un employeur qui n’a pas repris tout ou partie de l’actif, le tribunal relevant qu’en l’espèce il n’y a pas eu de transfert de droits réels.

Tel est bien le cas en l’espèce, l’examen de plusieurs indices révélant que la société a poursuivi l’activité principale de la société faillie et que cette succession a été préparée. Le tribunal relève notamment qu’il y a un objet social identique, que la société a poursuivi un chantier commencé par la première société avant sa faillite, poursuite intervenant avec le même personnel et qu’il y a un gérant effectif unique ainsi qu’un siège social unique.

Il en conclut que la demande de l’intéressée à l’égard du Fonds est, partant, non fondée.

Par contre, ayant réengagé l’employée dans les 6 mois de la déclaration de la faillite de la première société, l’employeur qui l’a licenciée est tenu de prendre en considération le maintien de son ancienneté acquise antérieurement auprès de la société en faillite, la période d’interruption d’activité précédant le nouvel engagement devant également être prise en compte pour la fixation de l’indemnité de préavis.

Celle-ci doit dès lors être de 22 semaines de rémunération, dont il y a lieu de déduire les 6 semaines payées.

Intérêt de la décision

Ce jugement reprend, en les combinant, les règles de la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d’entreprises et celles de la C.C.T. n° 32bis.

L’on peut à cet égard renvoyer très utilement à un jugement rendu par le Tribunal du travail du Brabant Wallon (division Nivelles) du 15 mars 2018 (R.G. 15/1.450/A – précédemment commenté), relatif à un réengagement dans le cadre d’un contrat à durée déterminée. Il a considéré qu’il faut mettre en parallèle les dispositions de la loi du 26 juin 2002 et de la C.C.T. n° 32bis : le travailleur ne sera considéré comme repris au sens de la loi de 2002 que si les articles 41 et 42 ainsi que l’article 14 de la C.C.T. n° 32bis sont respectés.

En l’occurrence, l’intéressée, qui avait une longue ancienneté au bénéfice d’une S.P.R.L., avait été réengagée par une A.S.B.L., mais dans des conditions toute différentes, étant un contrat à durée déterminée et un horaire à temps partiel. Pour le Tribunal du travail du Brabant Wallon, l’octroi de l’indemnité de transition ou de l’indemnité de rupture doit être apprécié en fonction des conditions réelles de l’éventuelle reprise.

Dans la présente espèce, le Tribunal du travail du Hainaut s’est attaché à vérifier si une des deux hypothèses de l’article 7 de la loi du 26 juin 2002 était rencontrée, étant que, même si le « repreneur » n’a pas repris tout ou partie de l’actif de l’entreprise en faillite, il y a poursuite de l’activité principale de celle-ci ou d’une de ses divisions.

Les indices dégagés ont permis en l’espèce de conclure à l’existence d’une telle poursuite.


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