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Les juridictions du travail peuvent-elles connaître d’une demande de dommages et intérêts introduite à titre principal ?

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 27 novembre 2018, R.G. 18/551/A

Mis en ligne le vendredi 14 juin 2019


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 27 novembre 2018, R.G. 18/551/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 27 novembre 2018, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles répond par l’affirmative, non seulement en vertu du principe selon lequel « l’accessoire suit le principal », mais également au motif qu’une telle demande peut, dans l’hypothèse où, en l’espèce, l’affaire concerne un C.P.A.S., être une contestation au sens de l’article 580, 8°, c), du Code judiciaire.

Les faits

L’affaire oppose une personne physique au C.P.A.S. Elle a introduit une demande d’aide et celle-ci a été refusée au motif que l’intéressée bénéficie d’une adresse de référence auprès du Centre et qu’elle est hébergée dans une maison d’accueil située sur le territoire d’une autre commune de la capitale. Il y a dès lors pour le C.P.A.S. incompétence au sens de l’article 2, § 1er, 1°, de la loi du 2 avril 1965. Le dossier est transmis au C.P.A.S. du lieu d’hébergement.

Il s’avère que, l’intéressée ayant été expulsée de son logement, elle a été hébergée pendant un mois dans un foyer de la région de Charleroi et, ensuite, au sein de différents sites du Samusocial. Elle avait pu obtenir, en octobre 2017, une adresse de référence du C.P.A.S. du lieu où elle était hébergée. Deux mois plus tard, ayant reçu une demande de prise en charge de frais d’hébergement d’une institution sur le territoire d’une autre commune, le Centre a pris la décision litigieuse.

Le service « Conflits de compétence » du SPF Intégration Sociale a été saisi et a tranché provisoirement. Un bail ayant été signé sur le territoire de sa commune via une A.I.S. (agence immobilière sociale), l’intéressée a pu recouvrer ses droits à une intervention dans ses frais d’hébergement en maison d’accueil.

Une procédure est introduite devant le tribunal du travail, demandant l’annulation de la décision (d’incompétence) du C.P.A.S., ainsi que sa condamnation au paiement de dommages et intérêts. Il s’agit d’un dommage moral évalué ex aequo et bono à 300 euros et d’un dommage matériel d’une vingtaine d’euros.

La décision du tribunal

Le tribunal s’interroge, en premier lieu, sur sa compétence, s’agissant d’une demande qui lui est soumise sur pied de l’article 1382 du Code civil.

Au moment où il statue, le tribunal constate que l’annulation de la décision litigieuse était demandée dans la requête introductive et l’octroi de dommages et intérêts dans des conclusions prises ultérieurement. En vertu du principe accessorium sequitur principali, toute demande accessoire est de la compétence du juge saisi de la demande principale, et ce même si celui-ci ne pourrait en connaître dans le cas où elle serait formée isolément (le tribunal renvoyant à la doctrine du Professeur A. FETTWEIS, « Précis de droit judiciaire », Tome II, La compétence, n° 336, p. 196).

Dès lors, des demandes de dommages et intérêts sont généralement admises si elles sont formulées au titre d’accessoire à une demande principale qui relève de la compétence du juge. Le tribunal retient également qu’elles peuvent l’être si elles sont formées de manière additionnelle, et ce dans le cadre de l’article 808 du Code judiciaire.

Cependant, la question de la compétence matérielle des juridictions du travail est discutée lorsque l’objet principal – sinon exclusif – de la demande porte sur la mise en cause de la responsabilité civile d’un C.P.A.S. Le tribunal rappelle que, à cet égard, certaines décisions concluent que le juge n’est pas compétent si le litige porte exclusivement sur ce point, mais que d’autres admettent une demande de dommages et intérêts formée à titre principal par un assuré social à l’encontre d’un C.P.A.S. Ceci suppose en effet l’examen en fait et en droit de la manière dont le C.P.A.S. a appliqué la loi du 26 mai 2002. Il s’agit d’une contestation relative à celle-ci, concernant l’octroi ou le refus du revenu d’intégration sociale au sens de l’article 580, 8°, c), du Code judiciaire.

Le juge est dès lors compétent, le tribunal renvoyant à une décision du Tribunal du travail de Bruxelles (Trib. trav. Bruxelles, 18 novembre 2014, R.G. 14/4.700/A). Conformément à ce courant jurisprudentiel, le tribunal retient sa compétence en l’espèce, et ce même s’agissant d’une demande introduite à titre principal. Si le fondement général est la responsabilité civile, il y a, dans la demande introduite, également mise en cause de la correcte application de la loi.

Pour ce qui est du fond, le tribunal retient, à partir d’éléments factuels, que, contrairement à la demande, le C.P.A.S. a correctement examiné la situation de l’intéressée et qu’il a agi avec diligence.

Le recours est dès lors jugé non fondé.

Intérêt de la décision

La question tranchée, sur la compétence des juridictions du travail lorsqu’elles sont saisies d’une demande de dommages et intérêts, est récurrente. Elle se pose, généralement, dans le cadre du non-respect d’une obligation figurant à la Charte de l’assuré social ou d’une attitude fautive du C.P.A.S. dans l’application de la législation en matière de droit à l’intégration sociale.

L’on peut à cet égard renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 12 janvier 2012 (C. trav. Bruxelles, 12 janvier 2012, R.G. 2010/AB/720), pour une demande de condamnation d’un C.P.A.S. à des dommages et intérêts pour manquement à l’article 21, § 1er, de la loi du 26 mai 2002, le C.P.A.S. n’ayant pas pris de décision dans le délai fixé par la loi. Pour la Cour du travail de Bruxelles, d’autres manquements pouvaient être relevés, étant l’absence d’enquête sociale lors d’une demande d’aide (article 19), l’absence d’informations fournies à la personne en vue de la sortir de sa précarité (article 17) et les manquements ajoutés à l’absence de décision prise laissant l’intéressée dans l’expectative. Conformément aux règles de la responsabilité civile, la cour devait retenir, outre la faute, un lien de causalité avec un dommage particulier et celui-ci a été identifié.

Relevons également, dans l’hypothèse de manquements aux obligations en matière de projet individualisé d’intégration sociale, un arrêt de la Cour du travail de Liège (section Namur) du 23 août 2011 (R.G. 2010/AN/191), où la cour du travail a retenu que la responsabilité du C.P.A.S. pouvait être mise en cause s’il n’accomplit pas sa mission « en bon père de famille » et s’il cause de ce fait un dommage.


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