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Requalification d’une convention de bénévolat en contrat de travail

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 16 octobre 2018, R.G. 2017/AL/644

Mis en ligne le vendredi 7 juin 2019


Cour du travail de Liège (division Liège), 16 octobre 2018, R.G. 2017/AL/644

Terra Laboris

Par arrêt du 16 octobre 2018, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle les conditions légales pour la conclusion d’une convention de bénévolat ainsi que d’une convention d’immersion professionnelle, conditions qui, à défaut d’être remplies, permettent la requalification en contrat de travail si les éléments constitutifs de celui-ci sont réunis.

Les faits

Une bénévole preste au profit d’une A.S.B.L. Il s’avère que les activités de celle-ci (soins de beauté) ne correspondent cependant pas à son objet social et le FOREm a refusé l’engagement de stagiaires. Suite à une enquête, l’O.N.S.S. notifie une décision de régularisation d’office. L’Office expose que les activités exercées correspondent à des prestations de travailleurs salariés et non à des prestations bénévoles, et ce d’autant plus qu’elles sont payées par les clients via Groupon.

L’O.N.S.S. agit en justice et, par jugement du 16 octobre 2017, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) fait droit à sa demande.

L’A.S.B.L. interjette appel.

La décision de la cour

Examen des faits

L’A.S.B.L., constituée en 2009, a pour objet essentiellement de développer des actions au sein de la communauté russophone et de favoriser l’intégration de personnes de cette communauté par la participation à la vie sociale, culturelle, économique et politique. Elle promeut le sport et la culture et vise à aider les gens à vivre de manière plus saine.

En 2013, un contrôle de l’Inspection sociale fait apparaître qu’elle exploite en réalité un centre de soins, le site web ainsi que la devanture de l’immeuble ayant un aspect commercial, notamment vu l’affichage de tarifs. Le président de l’A.S.B.L. s’était, précédemment, tourné vers le C.P.A.S. aux fins d’obtenir des « bénévoles » et, ensuite, un « article 60 », la formule antérieure ne suffisant plus. Le C.P.A.S. a refusé cette collaboration. La formule à laquelle il a été recouru a dès lors été de conclure d’abord une convention de bénévolat et, ensuite, d’envisager un contrat de travail Activa. C’est suite à l’enquête de l’Inspection sociale que l’activité de l’A.S.B.L. a été révélée et qu’une première régularisation est intervenue sur le plan du salaire minimum (C.P. n° 314 – coiffure et soins de beauté), régularisation refusée par le président de l’A.S.B.L., pour qui l’occupation de l’intéressée était en réalité un stage de formation sous la tutelle d’une autre bénévole.

En droit

La cour rappelle les dispositions de la loi du 27 juin 1969, dont les articles 21, 22 et 22bis relatifs aux obligations des employeurs en matière d’immatriculation à l’O.N.S.S. et aux conséquences de l’absence de déclaration trimestrielle (ou de déclaration incomplète ou inexacte).

Pour déterminer, par ailleurs, s’il y a contrat de travail, la cour renvoie aux principes en la matière, étant que le juge doit constater l’existence d’un travail, d’une autorité et d’une rémunération, à tout le moins dans son principe. C’est l’intention de rémunérer les prestations qui doit être établie. Même si la rémunération n’a pas été clairement définie mais que les circonstances établissent que, dans l’intention des parties, les prestations devaient être rémunérées, il y a contrat de travail.

En l’occurrence, la partie appelante exposant qu’il y avait stage couvert par une convention de bénévolat, la cour retient que ni le C.P.A.S. ni le FOREm n’ont accepté la collaboration avec celle-ci et qu’elle ne justifie d’ailleurs d’aucun engagement sous cette forme réglementée. La cour rappelle encore que, pour une convention d’immersion professionnelle, il faut qu’il y ait formation professionnelle et acquisition d’une expérience pratique, et non prestation d’un travail ouvrant le droit à une subvention, une allocation ou une indemnité. La période de bénévolat ayant été présentée comme constituant un essai préalable à un engagement Activa, la cour rappelle encore que l’essai, entendu comme un test préalable à l’embauche, réglementé par la convention collective de travail n° 38 du 6 décembre 1983, ne se conçoit que sur un laps de temps limité destiné à apprécier sommairement les capacités d’un candidat. L’essai a été supprimé au 1er janvier 2014 par la loi sur le statut unique.

Analysant la convention de bénévolat qui est produite (convention non datée), la cour relève qu’elle n’est pas valable pour couvrir la période litigieuse et que la loi du 3 juillet 2005 relative aux droits des volontaires exclut en son article 3 l’application du volontariat à une activité qui est exercée par la même personne et pour la même organisation dans le cadre d’un contrat de travail. Or, ceci était précisément l’intention des parties. L’intéressée bénéficiant à l’époque du revenu d’intégration sociale, la cour rappelle encore l’arrêté royal du 15 février 2007, réglant certains aspects de la coexistence du volontariat et du droit à l’intégration sociale, qui contient une obligation d’information du C.P.A.S., information préalable.

L’analyse d’autres éléments de fait permet, pour la cour, de conclure que les éléments constitutifs du contrat de travail sont établis, vu l’intention réelle des parties, la situation de bénévolat étant un moyen détourné de faire travailler l’intéressée dans le cadre d’un travail productif et en dehors de toute notion de formation.

La cour rejette dès lors l’appel.

Intérêt de la décision

L’espèce examinée par la cour du travail permet de rappeler les exigences de la convention de volontariat, la matière étant régie par la loi du 3 juillet 2005. Dans un arrêt du 16 février 2012 (C. trav. Bruxelles, 16 février 2012, R.G. 2011/AB/124), la Cour du travail de Bruxelles avait considéré que faire la démarcation entre ce qui doit être considéré comme activité professionnelle exercée dans les liens d’un contrat et ce qui peut être qualifié de volontariat implique que l’on se penche sur le motif déterminant les prestations, à savoir en l’espèce se procurer des rentrées financières ou occuper son temps libre, fût-ce moyennant défraiement, et ce sans avoir égard au fait que l’A.S.B.L. bénéficiaire des prestations développe des activités pouvant être qualifiées de commerciales. La nature de celles-ci n’est en effet pas un critère permettant de conclure que toute activité exercée pour son compte l’est dans des liens contractuels justifiant un assujettissement à la sécurité sociale.

Ici, la cour a également abordé la situation de la convention d’immersion professionnelle, dont le but premier est la formation du stagiaire, la convention pouvant être requalifiée en contrat de travail dès lors que l’exercice d’une activité professionnelle est retenu, en dehors d’une réelle formation ou d’un apprentissage de la profession. L’on peut à cet égard, pour les conditions de requalification d’une convention d’immersion professionnelle en contrat de travail, renvoyer à l’arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 2017 (Cass., 11 décembre 2017, n° 16.0016.F – précédemment commenté).


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