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Responsabilité d’un secrétariat social agréé : un cas d’application

Commentaire de Mons, 18 décembre 2018, R.G. 2017/RG/906

Mis en ligne le mardi 28 mai 2019


Mons, 18 décembre 2018, R.G. 2017/RG/906

Terra Laboris

Par arrêt du 18 décembre 2018, la Cour d’appel de Mons retient la responsabilité d’un secrétariat social agréé, dans l’hypothèse d’une erreur de calcul dans une prime de fin d’année, et ce eu égard aux missions légales dont il est investi et à ses obligations d’information et de prudence dans la gestion des dossiers des affiliés.

Les faits

Une société, active dans le bassin de Charleroi, dépendant pour ses employés de la commission paritaire 209 et pour les ouvriers de la 111, change de secrétariat social fin 2013. Il apparaît plus tard que la prime de fin d’année pour les ouvriers a été mal calculée, le (nouveau) secrétariat social ayant appliqué un pourcentage de 8,33% au lieu de 4%.

Interrogé, le secrétariat social répond qu’il n’a fait que poursuivre les règles antérieures, étant qu’il a continué à appliquer le pourcentage de 8,33%, dont il avait constaté qu’il s’agissait d’une exception. La société fait alors une mise en demeure, demandant le paiement d’une somme de l’ordre de 8.350 euros. Quelques semaines plus tard, elle réclame la partie des primes de fin d’année payée indûment, depuis l’année 2006, le montant avoisinant 29.500 euros.

Une procédure est introduite par la société devant le Tribunal de première instance du Hainaut (division Charleroi), qui la déboute par jugement du 16 juin 2017.

Elle interjette appel.

Décision de la cour d’appel

En droit, la cour rappelle l’article 27 de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs salariés. Les secrétariats sociaux agréés sont des prestataires de services sociaux qui, en vertu d’un agrément, perçoivent les cotisations sociales de leurs employeurs-affiliés en vue de leur versement aux institutions chargées de la perception de ces cotisations. Dans le cadre de ses missions, le secrétariat social doit notamment respecter une obligation d’information et de conseil à l’égard de ses employeurs-affiliés. Cette obligation porte sur l’application de la loi sociale. La cour retient également que le secrétariat social a une obligation de prudence et de diligence, qui le contraint de veiller au respect de la législation sociale.

Reprenant la doctrine (C. DE BECO et R. CAPART, « La responsabilité civile des secrétariats sociaux », For. Ass., 2011-9, pp. 189 et ss.), la cour rappelle que les obligations du secrétariat social tiennent tantôt à un mandat, tantôt à un contrat de services. Tel est le cas, pour ce dernier, de la préparation des fiches de traitement et des documents sociaux, ou encore du calcul des rémunérations ou des durées de préavis.

L’obligation contractée est une obligation de moyen, pour ce qui est de l’information claire et précise à donner, ainsi que pour le calcul des rémunérations.

Enfin, renvoyant aux principes généraux en matière de responsabilité civile, la cour d’appel retient encore que le secrétariat social doit apporter à sa mission les soins que l’on peut attendre d’un professionnel de sa spécialité normalement prudent et diligent.

La cour applique ces règles aux éléments qui lui sont soumis, partant de la prémisse que le secrétariat social devait effectuer le calcul des salaires et était tenu d’une obligation d’information actualisée claire, pratique et fiable.

Aucune explication n’est donnée par le secrétariat social sur les modalités de la reprise du dossier, de telle sorte que la cour retient que l’erreur préalable n’est pas établie et que, si elle l’avait été, il appartenait au secrétariat social d’attirer l’attention de l’employeur sur l’anomalie constatée. A tout le moins, il aurait dû interpeller la société et vérifier s’il y avait lieu à dérogation aux règles de la convention collective de travail. Ceci n’a pas été fait. Ce silence a créé l’impression fausse, dans le chef de la société affiliée, qu’il y avait lieu à application du taux de 8,33%. La cour renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Liège du 8 septembre 2004 (C. trav. Liège, 8 septembre 2004, J.T.T., 2005, p. 211). Elle en déduit que celui-ci ne s’est pas comporté comme un secrétariat social normalement prudent et diligent placé dans les mêmes conditions.

La cour retiendra encore, à partir d’éléments de fait (correction manuelle du taux résultant du calcul informatique habituel et absence d’instructions précises données par la société à cet égard), que la faute est dûment établie. Celle-ci est en lien direct avec le dommage subi.

Le secrétariat social faisant encore valoir que la société aurait dû limiter son dommage, en tentant de récupérer auprès des travailleurs, la cour rappelle que la victime d’un dommage a droit en règle à la réparation intégrale de son préjudice et renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 14 mai 1992 (Cass., 14 mai 1992, n° 9.336), qui a jugé que la victime d’un dommage doit uniquement prendre les mesures raisonnables pour limiter celui-ci et qu’elle n’est tenue de pareille obligation que si tel eut été le comportement d’un homme raisonnable et prudent.

La cour fait dès lors droit à l’appel et prononce la condamnation du secrétariat social aux sommes réclamées.

Intérêt de la décision

Cette affaire mue devant le Tribunal de première instance du Hainaut (division Charleroi) et, ensuite, devant la Cour d’appel de Mons oppose l’employeur, en qualité d’affilié à un secrétariat social, à ce dernier. Il ne s’agit pas – comme on l’aura compris immédiatement – d’une procédure menée devant les juridictions du travail. Dans le cadre du contrat signé entre l’employeur et le secrétariat social, les tribunaux de première instance sont en effet compétents pour connaître du litige.

La cour a rappelé les principes à la base de la mission du secrétariat social, dont elle rappelle qu’elle est à la fois un mandat et un contrat de services. Les obligations générales de prudence, d’information et de conseil reviennent à plusieurs reprises et la cour retient la responsabilité du secrétariat social, vu une mauvaise application des conventions collectives et des droits des travailleurs manuels à la prime de fin d’année. C’est à la fois en raison de l’absence d’information quant à l’erreur du taux retenu et de la mauvaise application de la convention collective – qui n’est manifestement pas en l’espèce une dérogation décidée par l’employeur – que la faute est admise.

L’on peut encore renvoyer, sur cette question de responsabilité du secrétariat social, à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 20 juin 2017 (C. trav. Bruxelles, 20 juin 2017, R.G. 2015/AB/423 – précédemment commenté) pour l’hypothèse du paiement d’une rémunération insuffisante, et à un autre arrêt de la même cour du 15 décembre 2010 (C. trav. Bruxelles, 15 décembre 2010, R.G. 2008/AB/51.603 et 2009/AB/51.790 – également précédemment commenté) pour ce qui est de la responsabilité civile du secrétariat social en cas de manquements aux obligations contenues dans son règlement organique.

Enfin, le lien de causalité direct entre la faute contractuelle et le dommage vanté doit également être retenu. L’on peut sur cette question renvoyer encore à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 4 décembre 2012 (C. trav. Bruxelles, 4 décembre 2012, R.G. 2011/AB/430).


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