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Allocations familiales d’orphelin et Règlement n° 883/2004/CE

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Arlon), 12 juin 2018, R.G. 16/8/A

Mis en ligne le mardi 7 mai 2019


Tribunal du travail de Liège (division Arlon), 12 juin 2018, R.G. 16/8/A

Terra Laboris

Par jugement du 12 juin 2018, le Tribunal du travail de Liège (division Arlon) rappelle les spécificités de l’allocation familiale d’orphelin en droit belge ainsi que les règles du Règlement n° 883/2004 en cas d’application possible de la législation de deux Etats membres.

Les faits

Une allocataire, résidant en France et travaillant en Belgique, perçoit des allocations d’orphelin de la part d’une caisse belge d’allocations familiales. Cette situation se déroule jusqu’au 31 août 2015, date à laquelle la caisse, se fondant sur les nouvelles dispositions du Règlement européen n° 883/2004, lui signale qu’elle doit interroger la caisse française aux fins de savoir si la France n’est pas l’institution compétente. La caisse française répond, quelques jours plus tard, que l’intéressée a effectivement droit à un « soutien familial » en France. Cette prestation consiste en une allocation différentielle du fait de l’activité de la mère, exercée sur le territoire belge. Pour la caisse française, il résulte que la législation belge prévoit le droit aux allocations d’orphelin et que la caisse belge est compétente. Pour la caisse belge, la caisse française ne fait pas application de la législation européenne et un avis est demandé à Famifed.

Suite à l’avis de Famifed, la caisse suspendra le paiement en janvier 2016, faisant valoir que, vu les articles 68 et 69 du Règlement n° 883/2004, le droit au soutien familial en France est prioritaire. La Belgique n’est dès lors pas compétente.

Le Centre des Liaisons Européennes et Internationales de Sécurité Sociale (C.L.E.I.S.S.) est saisi de la question et il confirme la position de la France.

Un recours est dès lors introduit par l’intéressée. Celui-ci est formé à la fois contre Famifed et contre la caisse.

Position des parties devant le tribunal

Pour l’allocataire – demanderesse –, la loi belge est applicable pour le paiement des prestations familiales, compte tenu des droits ouverts au titre de l’activité salariée en Belgique. Dès lors que la loi belge prévoit des allocations d’orphelin, la Belgique est compétente. La loi française ne doit valoir que pour une allocation différentielle.

Famifed considère qu’elle n’a émis qu’un avis et qu’elle n’est pas débitrice des allocations. Elle donne cependant sa position en droit, étant que le régime orphelin a une priorité inconditionnelle sur les autres droits (article 64, L.G.A.F.). Au sens du droit européen, les allocations d’orphelin sont des allocations supplémentaires visées à l’article 69 du Règlement. La Belgique a choisi de faire figurer cette allocation familiale dans la liste des prestations qui relèvent de cet article, de telle sorte que les articles 67 et 68 ne trouvent pas à s’appliquer. Il ne s’agit, en outre, pas d’un complément à une allocation de base mais d’une allocation spécifique versée aux orphelins. Famifed expose encore que les termes de l’article 69 du Règlement posent problème, puisque celui-ci vise une prestation familiale « en complément », dans la mesure où l’assuré social pourrait bénéficier d’un double paiement (l’allocation ordinaire dans un Etat et l’allocation spéciale dans un autre), alors que l’objectif est que l’assuré social perçoive le montant plus élevé prévu par l’une des deux législations, mais en en limitant les cumuls.

La caisse se réfère à l’avis de Famifed.

La décision du tribunal

Le tribunal entreprend de départager les deux interprétations du Règlement. Il reprend en premier lieu les dispositions de droit interne, étant l’article 64, L.G.A.F., dont le § 1er précise que l’orphelin (au sens légal) exerce son droit par priorité. L’article 56bis de la loi précise que l’orphelin lui-même est attributaire si, au moment du décès de l’un de ses parents, les conditions légales sont remplies.

Le tribunal rappelle le principe du Règlement n° 883/2004, étant que le principe de libre circulation ne peut aboutir à la réduction, la modification, la suspension ou la suppression de droits. Il instaure des règles anti-cumul.

Il reprend de longs extraits de l’avis de l’Auditeur du travail, dans lequel reviennent divers arrêts de la jurisprudence de la C.J.U.E. Il rappelle que ces prestations sont exportables, le Règlement n° 888/2004 ayant innové à propos de ce principe d’exportation, qui vaut actuellement pour l’ensemble des prestations en espèces, et non plus celles qui étaient versées pour une durée indéterminée (pension ou rente). Actuellement, seules les prestations spéciales à caractère non contributif de l’annexe X ne le sont pas.

Le tribunal souligne, ensuite, la règle de base, étant que la personne qui exerce une activité salariée ou non dans un Etat est soumise à la législation de celui-ci. C’est le principe de la territorialité des prestations et une règle essentielle du Règlement. Les prestations familiales sont visées au chapitre 8 du Règlement, qui les définit comme toutes les prestations en nature ou en espèces destinées à compenser les charges de famille, à l’exclusion des avances sur pensions alimentaires et des allocations spéciales de naissance ou d’adoption visées à l’annexe I. Il reprend les articles 67 (famille résidant dans un autre Etat membre), 68 (priorité en cas de cumul) et 69 (dispositions complémentaires).

En l’espèce, l’allocataire est travailleuse salariée en Belgique. Son époux était également salarié au moment de son décès. Pour le tribunal, elle revendique, sur cette base, un droit en tant qu’allocataire et peu importe la personne désignée comme attributaire. Le tribunal rappelle que l’enfant orphelin est attributaire lui-même (moyennant certaines conditions d’assurabilité, étant qu’existait précédemment un attributaire qui ouvrait le droit, au moment de son décès, aux allocations, et ce vu qu’il avait une assurabilité de six allocations forfaitaires au cours des douze mois précédant celui-ci). L’enfant est dès lors attributaire et la mère reste allocataire.

Pour ce qui est du droit français, tout enfant orphelin peut bénéficier d’une allocation de soutien familial, et ce en vertu du Code français de sécurité sociale. Ce droit n’est pas soumis à une règle d’assurabilité. Il s’agit d’une prestation familiale au sens du Règlement.

Pour le tribunal, il y a dès lors un conflit de loi à régler au regard des dispositions du chapitre 8.

Après avoir rejeté l’application à l’espèce de l’article 67 (qui ne concerne pas la présente cause), ainsi que de l’article 69 (qui envisage des dispositions complémentaires), le tribunal retient qu’il faut examiner le droit eu égard à l’article 68.

Exerçant une activité salariée, la demanderesse peut avoir la qualité d’allocataire. Le changement d’attributaire n’a aucune incidence sur son droit subjectif à être allocataire des allocations familiales d’orphelin.

Enfin, si la Belgique a considéré les allocations familiales comme faisant partie de l’article 69 du Règlement, ceci n’exclut en rien l’application de l’article 68. Cette mention ne peut d’ailleurs avoir pour effet de réduire le droit de la demanderesse aux allocations.

Intérêt de la décision

Ce jugement du Tribunal du travail de Liège règle une question certes fréquente, étant celle de la disposition applicable (articles 67, 68, 69 ?) en cas de perception d’allocations familiales dès lors que deux Etats membres sont concernés, l’un au titre de résidence du travailleur et l’autre à celui de lieu d’exercice de l’activité professionnelle.

La particularité de l’espèce est qu’elle vise des allocations familiales d’orphelin et qu’il aurait pu être compris que la majoration de ces allocations permettait de faire entrer celles-ci dans les « dispositions complémentaires » de l’article 69 du Règlement.

Or, comme l’a très justement rappelé le tribunal, l’allocation familiale d’orphelin présente des caractéristiques propres. Parmi celles-ci figure l’allocation elle-même, étant qu’elle ne comprend pas une allocation ordinaire plus un complément, mais qu’elle est en elle-même une allocation majorée. Par ailleurs, le tribunal rappelle la règle des 6/12, étant la condition d’assurabilité permettant à l’orphelin de devenir son propre attributaire. Comme le retient très bien la conclusion du jugement, il y a eu en l’espèce modification d’attributaire (initialement le père et, ensuite, l’enfant orphelin), l’allocataire étant resté inchangé.


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