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Citoyen européen chercheur d’emploi : droit à une adresse de référence ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 juin 2018, R.G. 2016/AB/1.154

Mis en ligne le lundi 29 avril 2019


Cour du travail de Bruxelles, 13 juin 2018, R.G. 2016/AB/1.154

Terra Laboris

Par arrêt du 13 juin 2018, la Cour du travail de Bruxelles fait le lien entre le droit à la dignité humaine visé à l’article 1er de la loi organique des C.P.A.S. et la situation d’un citoyen européen chercheur d’emploi, sans titre de séjour, sollicitant son inscription à une adresse de référence (auprès du C.P.A.S.) : celle-ci doit être accordée, étant une condition susceptible de faciliter la recherche d’un emploi.

Les faits

Un citoyen français se voit refuser le revenu d’intégration sociale (sous forme d’aide sociale équivalente) au motif qu’il ne dispose pas d’un titre de séjour valable. Le C.P.A.S. refuse de l’inscrire à son adresse en tant qu’adresse de référence.

Le motif est que, s’agissant d’un ressortissant de l’Union européenne, il n’est ni inscrit aux registres de la population ni en possession d’un titre de séjour valable.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, qui le déboute.

L’intéressé interjette appel, demandant, dans sa requête d’appel, sa domiciliation auprès du C.P.A.S.

L’avis du Ministère public

Pour le Ministère public, l’adresse de référence suppose un droit au séjour. Il reprend l’arrêt VATSOURAS et KOUPATANTZE de la Cour de Justice de l’Union européenne (C.J.U.E., 4 juin 2009, Aff. n° C-22/08 et C-23/08, VATSOURAS et KOUPATANTZE), qui a considéré que la possibilité d’exclure les demandeurs d’emploi des prestations d’assistance sociale est en conformité avec le principe de non-discrimination en raison de la nationalité (article 18, T.F.U.E.). Ne sont pas assimilables à des prestations d’assistance sociale telles que visées à l’article 24, § 2, de la Directive n° 2004/38/CE, les prestations de nature financière destinées à faciliter l’accès au marché du travail (et ce indépendamment de leur qualification dans le droit national). Celles-ci ne peuvent être refusées à un demandeur d’emploi européen. L’Etat membre peut cependant exiger l’existence d’un lien réel entre ce demandeur d’emploi et le marché du travail.

Le Ministère public poursuit sur la méthode à suivre pour distinguer une prestation d’assistance sociale et une prestation destinée à faciliter l’accès au marché du travail : il faut analyser les éléments constitutifs de celle-ci et notamment ses finalités et ses conditions d’octroi, ainsi que l’objectif de la prestation en fonction des résultats de celle-ci et non sa structure formelle.

Pour le Ministère public, en l’espèce, l’octroi d’une adresse de référence faciliterait la vie de l’intéressé dans sa recherche d’emploi. Il ne s’agit pas en l’espèce d’une demande relative à une prestation d’assistance sociale.

La décision de la cour

La cour met en exergue l’article 1er de la loi du 8 juillet 1976, selon lequel toute personne a droit à l’aide sociale nécessaire pour lui permettre de mener une vie conforme à la dignité humaine. Elle rappelle la limitation du droit à l’aide sociale prévu à l’article 57 de la loi organique, soulignant que celle-ci ne s’applique pas à l’étranger qui n’est pas susceptible d’être expulsé.

Elle examine ensuite les dispositions de la Directive n° 2004/38/CE du Parlement et du Conseil du 29 avril 2004 relative aux droits des citoyens de l’Union et des membres de leur famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres. Elle en rappelle l’article 14, § 4 (relatif à l’interdiction d’une mesure d’éloignement dès lors que le citoyen de l’Union est entré sur le territoire pour y chercher un emploi).

Par ailleurs, en venant à la loi du 15 décembre 1980 et à son arrêté royal d’exécution du 8 octobre 1981, la cour reprend les conditions de séjour des citoyens de l’Union. Il en résulte que, si un « chercheur d’emploi » ne dispose pas d’une adresse à laquelle il peut être contacté, il sera en difficulté pour établir qu’il a une chance réelle d’être engagé et donc pour justifier son droit de séjour.

La cour en vient ensuite à la loi du 19 juillet 1991 relative aux registres de la population, aux cartes d’identité, aux cartes des étrangers et aux documents de séjour. Le paragraphe 2 de l’article 1er concerne l’inscription à une adresse de référence, inscription par la commune où les personnes concernées sont habituellement présentes, soit qu’elles séjournent dans une demeure mobile, soit que, pour des raisons professionnelles ou par suite de manque de ressources suffisantes, elles n’ont pas ou n’ont plus de résidence. La loi donne la définition de l’adresse de référence et les conditions dans lesquelles des particuliers ou des personnes morales peuvent remplir les conditions pour permettre cette inscription. Il est spécialement prévu que les personnes qui, par manque de ressources suffisantes, n’ont pas ou n’ont plus de résidence et qui, vu le défaut d’inscription dans les registres de la population, se voient priver du bénéfice de l’aide sociale du C.P.A.S. ou de tout autre avantage social, sont inscrites à l’adresse du C.P.A.S. de la commune où elles sont habituellement présentes.

Elle rappelle les discussions auxquelles a donné lieu l’article 1er, § 1er, alinéa 1er, 1°, de la loi, la première interprétation de cette disposition considérant que l’inscription en adresse de référence pour le chercheur d’emploi n’est possible que si l’intéressé est autorisé à séjourner plus de 3 mois sur le territoire et la seconde interprétation concluant que, pour bénéficier d’une inscription auprès du C.P.A.S., la condition de séjour ne doit pas être remplie, et ce au motif que le champ d’application ratione personae de l’article 1er, § 2, alinéa 5, de la loi ne renvoie pas à l’article 1er, § 1er.

La cour renvoie également à une décision du Tribunal du travail de Bruxelles (Trib. trav. Bruxelles, 17 juin 2008, C.D.S., 2010, p. 110), selon laquelle, faute de restriction légale en ce sens, un étranger, même en séjour illégal, peut demander à bénéficier de l’adresse de référence. La cour reprend encore la doctrine de H. MORMONT et de K. STANGHERLIN (H. MORMONT et K. STANGHERLIN, Aide sociale – Intégration sociale. Le droit en pratique, La Charte, 2011, pp. 26 et 27), pour qui cette seconde interprétation a « l’immense mérite » de permettre de briser le cercle vicieux de l’absence d’adresse, qui empêche de régulariser la situation de séjour.

En outre, pour les citoyens européens, la cour souligne que cette interprétation doit d’autant plus être préférée qu’elle n’ajoute rien à ce que prévoit la Directive. Celle-ci n’exclut pas la situation des personnes résidant dans le pays d’accueil en tant que sans-abri et qui n’y disposent que d’une adresse administrative du type de l’adresse de référence.

Il en découle que, pour l’espèce jugée, s’agissant d’une personne qui n’a pas (encore) droit au séjour, l’adresse de référence ne peut prendre la forme que d’une aide administrative, étant limitée à la réception du courrier au C.P.A.S., et ce tant que le droit au séjour n’est pas reconnu. Elle n’ouvre pas comme telle le droit à une inscription dans le registre de la population. Pour la cour, le fondement est la combinaison de la loi du 8 juillet 1976 et de l’article 1er, § 2, de la loi du 19 juillet 1991.

L’aide sociale aura, pour la cour, pour effet de sortir l’intéressé de la « zone de non-droit » dans laquelle il se trouve depuis de nombreuses années, ce qui est la mission des C.P.A.S. donnée par la loi du 8 juillet 1976.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la cour du travail rapproche les dispositions de la Directive n° 2004/38/CE concernant le droit au séjour des citoyens européens, notamment s’ils peuvent avoir le statut de chercheurs d’emploi, ainsi que de la loi du 15 décembre 1980, de son arrêté d’exécution et, encore, de la loi du 19 juillet 1991 relative aux registres de la population, aux carte d’identité, aux cartes des étrangers et aux documents de séjour.

La divergence d’interprétation de l’article 1er, § 1er, alinéa 1er, 1°, de la loi (qui vise trois catégories d’étranger) est rappelée. Pour la cour, qui se rallie à la seconde interprétation de la disposition, le chercheur d’emploi citoyen européen qui manque de ressources suffisantes et n’a dès lors pas une résidence se trouve dans un cercle vicieux si lui est refusée l’adresse de référence au C.P.A.S. afin d’obtenir le droit de séjour auquel il pourrait prétendre. La cour revient également sur l’importante contribution doctrinale de H. MORMONT et K. STANGHERLIN (coord.) dans l’ouvrage Aide sociale – Intégration sociale. Le droit en pratique.
(arrêt cassé par Cass., 12 octobre 2020, S.18.0065.F)


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