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Travailleur engagé en vue de son détachement vers un autre Etat membre : législation applicable

Commentaire de C.J.U.E., 25 octobre 2018, Aff. n° C-451/17 (WALLTOPIA AD c/ DIREKTOR NA TERITORIALNA DIREKTSIA NA NATSIONALNATA AGENTSIA ZA PRIHODITE – VELIKO TARNOVO)

Mis en ligne le vendredi 26 avril 2019


Cour de Justice de l’Union européenne., 25 octobre 2018, Aff. n° C-451/17 (WALLTOPIA AD c/ DIREKTOR NA TERITORIALNA DIREKTSIA NA NATSIONALNATA AGENTSIA ZA PRIHODITE – VELIKO TARNOVO)

Terra Laboris

Par arrêt du 25 octobre 2018, statuant dans une affaire bulgare, la Cour de Justice de l’Union européenne se penche sur l’articulation de l’article 14, § 1er, du Règlement d’application n° 987/2009 avec la règle de l’article 12, § 1er, du Règlement de coordination, étant que la personne « demeure soumise » à la législation de l’Etat membre dans lequel l’employeur qui la détache est établi, ce qui confirme que cette personne doit déjà être soumise à cette législation avant son détachement. Elle donne également les règles fixant les conditions à respecter par les Etats membres eu égard aux normes européennes de coordination.

Les faits

Un ressortissant bulgare est engagé par une société établie en Bulgarie le 15 septembre 2016. Il doit effectuer des prestations de travail à Sofia à partir du 16 septembre 2016. Le contrat est assorti d’une période d’essai de six mois.

Précédemment, il a été occupé pour plusieurs employeurs, et ce jusqu’au 1er mars 2015.

La société qui l’engage en septembre 2016 l’envoie au Royaume-Uni (détachement) pendant deux semaines. Il est ensuite rapidement licencié.

La société demande à l’administration bulgare de délivrer le certificat A1 attestant que la législation bulgare était applicable au moment du détachement du travailleur. Elle précise notamment que l’intéressé a été recruté en vue de ce détachement et qu’il a bénéficié pendant la durée de celui-ci d’une assurance sociale (en matière de soins de santé). L’administration refuse, dans la mesure où figure une condition dans la loi bulgare, qui n’est pas remplie en l’espèce, étant que le travailleur salarié doit avoir été soumis à la législation interne au moins un mois avant son détachement. Cette décision est confirmée par l’autorité administrative d’appel et un recours est introduit contre ce refus auprès du Tribunal administratif de Veliko Tarnovo.

Cette juridiction pose à la Cour de Justice quatre questions préjudicielles.

Les questions préjudicielles

Pour la Cour de Justice, les questions doivent être examinées ensemble. Elle reformule celles-ci comme suit : l’article 14, § 1er, du Règlement n° 987/2009, lu en combinaison avec l’article 12, § 1er, du Règlement n° 883/2004, doit-il être interprété en ce sens qu’un salarié recruté en vue de son détachement dans un autre Etat membre doit être considéré comme ayant été « juste avant le début de son activité salariée déjà soumis à la législation de l’Etat membre dans lequel est établi son employeur » (article 14, § 1er, du Règlement n° 987/2009) lorsque, juste avant le début de cette activité salariée et alors même qu’il n’avait pas la qualité d’assuré au titre de cette législation, il avait la nationalité dudit Etat membre et sa résidence dans celui-ci (article 1er, sous j), du Règlement n° 883/2004) ?

La décision de la Cour

La Cour rappelle le principe de l’article 12, § 1er, du Règlement de coordination, étant que la personne qui exerce une activité salariée dans un Etat membre pour le compte d’un employeur qui y exerce normalement les siennes et qui est détaché par cet employeur pour effectuer pour son compte un travail dans un autre Etat membre demeure soumise à la législation du premier Etat membre à la condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas vingt-quatre mois et que la personne ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne détachée.

Vu par ailleurs les termes de l’article 14, § 1er, du Règlement n° 987/2009, la circonstance qu’une personne est recrutée en vue de son détachement dans un autre Etat membre ne peut faire obstacle à ce qu’elle soit considérée comme une « personne qui exerce une activité salariée dans un Etat membre pour le compte d’un employeur y exerçant normalement ses activités et que cet employeur détache pour effectuer un travail pour son compte dans un autre Etat membre » (article 12, § 1er, du Règlement de coordination). Dans cette hypothèse, la personne demeure soumise à la législation de l’Etat membre dans lequel l’employeur exerce normalement ses activités.

Il n’est dès lors pas exigé qu’avant son détachement, la personne recrutée en vue de celui-ci ait exercé une activité salariée dans l’Etat membre. Elle doit cependant avoir été, juste avant le début du détachement, déjà soumise à la législation de l’Etat membre dans lequel est établi l’employeur.

La Cour rappelle que les dispositions du Titre II du Règlement n° 883/2004 constituent un système complet et uniforme de règles de conflits de lois. Elles ont pour but non seulement d’éviter l’application simultanée de plusieurs législations nationales et les complications qui peuvent en résulter, mais également d’empêcher la privation d’une protection en matière de sécurité sociale, faute de législation applicable, la Cour renvoyant ici essentiellement à son arrêt TOLLEY (C.J.U.E., 1er février 2017, Aff. n° C-430/15, TOLLEY, point 58 et jurisprudence y citée).

La Cour rappelle que, si la nationalité d’une personne peut, le cas échéant, s’avérer pertinente aux fins de déterminer si elle relève du champ d’application personnel de la coordination, elle ne compte pas en tant que telle, pour autant, parmi les critères énoncés dans les règles de conflits du Titre II. En l’occurrence, le fait que l’intéressé possède la nationalité ne peut en tout état de cause à lui seul être déterminant.

Par ailleurs, sur la position de l’autorité nationale, qui avait considéré que l’intéressé n’avait plus de droits en matière d’assurance santé et que la législation bulgare ne lui était dès lors pas applicable, la Cour rappelle que le Titre II a pour seul objet de déterminer la législation nationale applicable aux personnes qui relèvent du champ d’application personnel du Règlement et qu’il n’a pas pour objet de fixer les conditions de l’existence du droit ou de l’obligation de s’affilier à un régime de sécurité sociale déterminé. Ceci relève de la législation de chaque Etat membre, qui en détermine les conditions.

Cependant, renvoyant à de nombreux arrêts de sa jurisprudence, dont le récent arrêt SOZJA (C.J.U.E., 13 juillet 2017, Aff. n° C-89/16, SZOJA), la Cour reprend le principe selon lequel les conditions de l’existence du droit de s’affilier à un régime de sécurité sociale doivent être fixées par les Etats membres dans le respect du droit de l’Union et celles-ci ne peuvent avoir pour effet d’exclure du champ d’application des personnes auxquelles la législation est applicable en vertu du Règlement de base de la coordination. Il faut en effet éviter que des personnes soient privées de protection en matière de sécurité sociale, faute de législation applicable.

La Cour répond dès lors positivement à la question posée (reformulée), étant que le salarié recruté en vue de son détachement dans un autre Etat membre doit être considéré « juste avant le début de son activité salariée déjà soumis à la législation de l’Etat membre dans lequel est établi son employeur » au sens des dispositions en cause, alors même que ce salarié n’avait pas la qualité d’assuré en application de la législation de cet Etat membre juste avant le début de son activité salariée, dès lors qu’il y avait sa résidence.

Intérêt de la décision

Cet arrêt revient sur la combinaison des règles entre l’article 14, § 1er, du Règlement d’application et l’article 12, § 1er, du Règlement de base.

Dans le rappel de sa jurisprudence, figure la référence à l’arrêt SOZJA, rendu le 13 juillet 2017. Cet arrêt (précédemment commenté) porte sur l’articulation entre l’article 13, § 1er, du Règlement de base et des articles 14 et 16 du Règlement d’application. Il concerne l’exercice d’une activité marginale dans l’un des deux Etats où des prestations de travail ont été effectuées, s’agissant en l’espèce d’une activité non salariée en Pologne et d’une activité salariée en Slovaquie. L’intéressé ayant sa résidence en Pologne, l’organisme polonais d’assurances sociales avait considéré qu’il relevait de la réglementation polonaise, son activité sur le territoire slovaque étant marginale. La conséquence de cette décision était la privation des assurances maladie, retraite et chômage obligatoires auprès de l’employeur slovaque.

La Cour avait renvoyé, pour ce qui est du mécanisme de l’article 13 du Règlement de base, aux règles de procédure qui y sont reprises, aux fins de déterminer la législation applicable.


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