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Quelle est la sanction judiciaire de la non-reprise de personnel ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 11 juin 2018, R.G. 2014/AB/364

Mis en ligne le vendredi 12 avril 2019


Cour du travail de Bruxelles, 11 juin 2018, R.G. 2014/AB/364

Terra Laboris

Par arrêt du 11 juin 2018, la Cour du travail de Bruxelles prononce la résolution judiciaire d’un contrat aux torts d’une société qui n’avait pas repris une travailleuse en incapacité de travail, au motif qu’elle n’était pas « occupée » par l’entreprise au moment de la signature de la convention de cession de clientèle, par laquelle elle s’était engagée à reprendre l’ensemble du personnel occupé.

Les faits

Une société étant tombée en faillite (secteur du nettoyage), le curateur négocie avec une autre société une convention de cession de clientèle et cette dernière s’engage, dans celle-ci, à reprendre l’ensemble du personnel occupé, avec maintien des conditions d’ancienneté et de rémunération.

Parmi les membres du personnel, figure une personne en incapacité de travail. Celle-ci adresse, une quinzaine de jour après la signature de la convention de cession, son certificat médical de prolongation et il lui est répondu que, dans la mesure où elle est en incapacité de travail depuis une longue durée, « il n’a pas été possible pour notre société de vous reprendre ». Elle est invitée à retourner vers le curateur. Le curateur, pour sa part, la renvoie vers la société repreneuse.

L’incapacité de travail se termine quelques semaines plus tard et l’intéressée se voit confirmer un refus de reprise, au motif qu’elle ne faisait pas partie du personnel cédé par le curateur, vu son incapacité de travail. La société fait valoir que, de ce fait, elle n’avait pas la qualité de « personnel occupé ».

Le jugement du tribunal

Une procédure est introduite par l’intéressée contre la société repreneuse. Le curateur intervient volontairement à la cause.

Le jugement rendu par le Tribunal du travail du Brabant wallon a prononcé la résolution judiciaire du contrat, vu le non-respect par la société de ses obligations d’employeur. Il rejette la partie de la demande relative à des arriérés de rémunération, et ce au motif que l’intéressée n’a pas travaillé pour la société. De même, il n’accorde pas des dommages et intérêts liés à la résolution judiciaire, dès lors que l’intéressée n’aurait pas formé de chef de demande spécifique, même si elle avait introduit une demande de dommage (6.000 euros), aucunement justifiée.

Il a, vu la rupture, été fait droit à une demande de délivrance de documents sociaux et fiscaux sous peine d’astreinte.

L’appel

L’intéressée a interjeté appel de ce jugement, vu l’absence d’indemnisation du préjudice subi suite au non-respect par la société de ses obligations.

Devant la cour, elle réclame environ 15.000 euros de dommage matériel suite à la résolution judiciaire, montant majoré de 6.000 euros au titre de dommage moral.

La société forme par ailleurs appel incident, faisant grief au tribunal d’avoir retenu qu’elle avait la qualité d’employeur. Elle renvoie à l’article 12 de la C.C.T. n° 32bis, qui dispose qu’en cas de reprise de l’actif après faillite, le choix des travailleurs que le candidat-employeur désire reprendre incombe à ce dernier. Selon elle, c’est le choix qu’elle a opéré, étant qu’elle reprenait uniquement le personnel actif et occupé – dernière condition que l’intéressée ne remplissait pas, puisqu’elle était prise en charge par la mutuelle.

La société s’appuie en outre sur l’article 1156 du Code civil, qui impose dans les conventions de rechercher la commune intention des parties, et demande à la cour de retenir que la convention qu’elle a signée est une convention de cession de clientèle, la reprise du personnel n’étant qu’un « accessoire » de celle-ci.

Elle renvoie en outre aux articles 1161 du même Code (selon lequel toutes les clauses des conventions s’interprètent les unes par rapport aux autres en donnant à chacune le sens qui résulte de l’acte entier) et 1163 (qui énonce que quelque généraux que soient les termes dans lesquels une convention est conçue, elle ne comprend que les choses sur lesquelles il paraît que les parties se sont proposé de contracter).

La décision de la cour

La cour rejette la position de la société, et ce au motif des engagements figurant dans la convention elle-même, puisqu’il est fait référence à « l’ensemble du personnel occupé » par la société. La cour retient que le curateur a communiqué la liste de ce personnel et que l’intéressée figurait dans celle-ci.

La société a dès lors, conformément à l’article 12 de la C.C.T. n° 32bis – sur lequel elle s’appuie notamment –, fait un choix et le choix a été de reprendre l’ensemble du personnel, la convention étant claire et explicite.

La cour considère par ailleurs que le terme « occupé » est synonyme de « employé », l’incapacité de travail ayant entraîné non la suspension du contrat mais celle de son exécution.

Les renvois par la société aux articles du Code civil ci-dessus sont rapidement balayés par la cour, qui retient que le texte a un sens clair et qu’il n’y a dès lors pas lieu d’interpréter celui-ci, la Cour de cassation ayant rendu de nombreux arrêts à cet égard (dont Cass., 21 février 1967, Pas., 1967, I, p. 775).

La cour considère, ensuite, que c’est à bon droit que le tribunal du travail a prononcé la résolution judiciaire aux torts de la société, soulignant notamment qu’il ne peut être reproché à la travailleuse de ne pas avoir fait suivre les certificats médicaux suivants, celle-ci étant l’objet, telle une balle de ping-pong, d’un renvoi systématique du curateur à la société et l’inverse.

En ce qui concerne la date de la résolution judiciaire, le tribunal l’avait fixée au jour de la cession de la clientèle, qui est la date à laquelle le contrat n’a plus été poursuivi. La cour confirme celle-ci, rappelant que la résolution judiciaire peut avoir un effet rétroactif à partir du moment où l’exécution du contrat n’est plus poursuivie et où il n’y a, par conséquent, pas lieu à restitution.

Elle en vient, enfin, à l’indemnisation de l’intéressée, rappelant, avec la doctrine, que le préjudice peut être évalué ex aequo et bono même si c’est le préjudice réel qui doit être indemnisé.

L’intéressée a fixé celui-ci à un an de rémunération nette et la cour fait droit à sa demande tant en son principe qu’en son calcul. Il estime que ceci constitue une indemnisation « plus que modérée » du préjudice matériel subi.

Ces dommages et intérêts ne peuvent cependant être cumulés avec d’autres indemnités ayant le même objet et tel est le cas des revenus de remplacement perçus, ceux-ci ayant pour vocation de pallier l’absence de rémunération. Ils sont dès lors déduits, s’agissant d’indemnités de mutuelle (de l’ordre de 5.600 euros) et d’un léger montant (385 euros) versé par le Fonds social pour les entreprises de nettoyage.

La cour admet également un dommage moral, puisque l’intéressée non seulement s’est trouvée démunie moralement (vu le ping-pong), mais a également été dans une situation que la cour considère comme particulièrement angoissante, étant qu’elle s’est retrouvée sans revenus, sans savoir vers qui se retourner ou à qui s’adresser, la situation dans laquelle elle se trouvait étant inextricable. La cour admet ici les 6.000 euros réclamés à titre de dommage moral.

Intérêt de la décision

Cet arrêt reprend quelques points de droit d’un intérêt certain.

La société ayant renvoyé aux principes civils en matière d’interprétation des conventions, la cour du travail a rappelé l’abondante jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle il n’y a pas lieu d’interpréter des textes clairs, ceux-ci se suffisant à eux-mêmes.

Pour ce qui est des questions de droit social, la cour en aborde plusieurs, dont la possibilité pour le repreneur, dans le cadre d’un transfert après faillite, de choisir les travailleurs repris.

Cependant, c’est la délicate question de l’indemnisation du travailleur suite à la résolution judiciaire prononcée aux torts de l’employeur qui appelle l’attention. Celle-ci a été fixée, au titre de dommages et intérêts, à une année de rémunération nette, la cour rappelant d’ailleurs à juste titre à cet égard que les dommages et intérêts ne sont pas passibles de cotisations sociales et de précompte professionnel. Cette indemnisation est sollicitée au titre de dommage matériel et, dans l’évaluation de celui-ci, la cour conclut très logiquement à l’impossibilité de cumuler cette rémunération avec des revenus de remplacement. Il s’agit plus exactement d’une limitation du préjudice subi vu précisément la perception de tels revenus. Il y a dès lors lieu d’être attentif à la question, la détermination du préjudice sur la base d’une rémunération nette laissant sans solution la question de la couverture de sécurité sociale pendant la période en cause.


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